Moi, l’assassin d’Aimé Césaire !
« Salut jeune homme. Je suis un de vos compatriotes, vivant en France, en troisième cycle de droit. Suite à la lecture de plusieurs de vos articles dans des journaux togolais, j’ai décidé d’acheter un de vos livres. Mais permettez-moi de vous dire que c’est avec un grand regret que je referme votre livre, Le Gigolo de la réforme, que j’ai acheté il y a deux jours. Sans détours, je vous dis, jeune homme, que c’est très dommage qu’un jeune écrivain qui a tant de souffle et un style si charmeur puisse prêter sa plume à une cause si vile. Votre démarche d’écrivain ne vise qu’à ridiculiser l’Afrique, déchargeant l’Occident, qui doit sûrement être votre obsession, de toute charge dans les problèmes actuels de notre continent. Vous prenez déjà la voie de ces écrivains africains affamés qui marchandent, généralement en France, leur talent contre des faveurs de leur pays d’accueil, en ridiculisant l’Afrique. Et c’est ce qui est devenu pour vous la mode aujourd’hui, vous écrivains africains surtout de l’Afrique subsaharienne. Et je vous dis que c’est très triste. Une de vos nouvelles m’a particulièrement révolté, celle dans laquelle vous présentez les Africains comme des hommes méchants, sans cœur, à travers la scène d’une jeune pauvre maman qui a été obligée d’aller déposer son fils malade dans une cathédrale, devant une statue de la Vierge Marie, demandant à celle-ci de sauver son enfant que personne ne voulait sauver. N’avez-vous pas honte de traduire une image si fausse de votre continent ? Croyez-vous que l’Afrique, le seul continent où l’on peut encore retrouver des traces de solidarité et d’humanisme, puisse être aussi méchante ? Jeune homme, Aimé Césaire et d’autres écrivains que vous avez sans doute lus ont passé toute leur vie à corriger l’image de la race noire et du continent africain bafouée par les Occidentaux impérialistes, et c’est dommage que vous, pour sûrement des intérêts pécuniaires, vous salissiez ainsi cette race. Vous n’y arriverez pas, vous et tous ces écrivains et intellectuels qui vendez la dignité africaine pour les quelques pièces de monnaie que vous offre l’Occident, surtout la France. Vous êtes encore très jeune, et vous avez la chance de faire partie de ces écrivains qui débutent très jeunes leur carrière et construisent une œuvre consistante. Vous avez un beau style, porté par un humour charmeur, mais vous devez revoir votre démarche intellectuelle. Vous aurez un lectorat qui vous respectera, et même une petite fortune, si c’est de cela que vous rêvez, même en évitant de ridiculiser l’Afrique pour plaire aux Occidentaux. J’achèterai, cette semaine, un autre de vos livres, et je reviendrai une nouvelle fois vers vous pour mes remarques. Bonne chance, jeune homme. »
Que répondre ? Toujours la même formule quand on me critique : « Merci, Monsieur, d’avoir acheté mon livre. Je suis très content que vous m’ayez, du fond de votre cœur, fait des remarques si pertinentes. J’en tiendrai compte parce que les critiques et remarques construisent. N’hésitez pas, une fois que vous aurez lu le second livre, de me faire toutes les remarques et critiques que j’accepterai avec joie. Merci Monsieur, et bonne journée ».
Rien à ajouter. Je suis pris par le temps. Je suis invité, dans quelques minutes, sur une radio privée de Bamako par un étudiant en communication, pour parler, avec des journalistes maliens, de l’intervention de la coalition internationale en Libye. Et là, dans ce groupe d’une dizaine d’invités, je serai peut-être le seul à crier que je suis d’accord avec cette intervention, que je suis d’accord que des puissances étrangères viennent bombarder mon continent, que je suis d’accord que l’on ne sollicite pas l’Union africaine dans le règlement des crises africaines. Que je donne mon feu vert au néocolonialisme, à l’impérialisme, au pillage des ressources de l’Afrique, que je collabore avec le colonisateur, celui-là qui a acheté et vendu, comme une vulgaire marchandise, mes grands-parents… J’irai encore, pour une énième fois, affirmer mon engagement derrière l’Occident contre mon continent. Assassiner Aimé Césaire qui a passé toute sa vie à défendre l’Afrique et la race noire contre les colonisateurs. J’irai encore soutenir que le premier ennemi de l’Afrique d’aujourd’hui ce sont ces intellectuels malhonnêtes – presque tous naturalisés français – qui racontent trop de mensonges, trop de chimères, qui font trop de discours, qui émettent trop de théories verbeuses, qui soutiennent des dictateurs cherchant à s’accrocher par tous les moyens au pouvoir prétendant défendre les intérêts de leurs peuples, que l’Afrique dont avait rêvé Césaire, l’Afrique qu’a aimée Césaire n’est pas celle-là que nous avons aujourd’hui, une Afrique trop irresponsable, trop hypocrite… J’irai dire que je veux que l’Afrique ait, enfin, le courage de se voir en face, de comprendre qu’elle nourrit encore trop de dictatures, trop de paresse, trop de mythes, trop d’orgueil, trop de méchanceté, trop de rêves, trop d’imperfections… J’y crois, et j’irai, encore, défendre ma foi, contre une récompense, les injures et menaces des anti-impérialistes, des antifrançais, des antioccidentaux.
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