Le jean de l’Etranger (Nouvelle)

21 juin 2011

Le jean de l’Etranger (Nouvelle)

 

Le jean de l’Etranger (Nouvelle)

(Première partie)

Nouvelle inspirée de l’histoire d’un jeune diplômé togolais fuyant le chômage chez lui, arrivé au Mali en 2008.

Okitina kiti, akota bé nya yé !

Comment vous traduire ? Une petite nostalgie pour me rappeler ces temps où dans les coins de rue on jouait aux cartes, là-bas, chez moi ! Rien d’une incantation, mes chers ! Juste pour dire qu’il faut avoir une large poitrine pour supporter. C’est pas facile, vous dis-je !

Mais je suis encore debout ce matin. Pour toi, Mère Marthe. Je souris légèrement, comme un collégien sur une photo passeport. Une belle fille, comme le sont la plupart des filles de ce pays, me dépasse et croit qu’à elle mon sourire est adressé. Elle me regarde en plongée pour me dire, Crois-tu que toi-là aussi tu peux ? Pas gagné, ma sœur, je suis loin, très loin de toi. Trop loin.

Déjà quinze minutes à attendre ces sales bus ! Que faire ? A défaut d’une jeune fille, une veuve s’appelle mon amour, sagesse de chez moi. Même tout mon corps, chair, os et sang confondus, ne peut me valoir six mille balles pour prendre un taxi aller et retour. Attendre donc le bus, mon frère. Splaash… de l’eau sale sur mon pantalon. Le jeune conducteur ne me regarde même pas. Qu’ils peuvent être mal éduqués, les enfants de ce pays ! Surtout quand ils sont recroquevillés sur ces motos en plastique qui ne valent même pas la crotte d’un chien de cultivateur en Chine ! Je lui fais un signe du pouce qui chez moi signifie le con de ta mère, mais il ne me voit pas. Sa moto n’a pas de rétroviseurs. Les motos n’ont pas de rétroviseurs ici. Affaire de mode, va voir, mon vieux !

Le bus, le bus. Vite, rentre, idiot, au lieu de critiquer les autres. Quand on ne veut pas bouffer du caca, on ne va pas au Royaume des porcs.

Poussez un peu, monsieur, vous me serrez trop, je suis une femme mariée. Dans la langue du Sahéli que je ne comprends pas. Indifférent, fixant le vide, les idées très loin. Monsieur, vous me serrez trop, vous dis-je, vous devez pousser, c’est quoi ça, merde alors. Pièce jointe, un long juron. Je ne comprends toujours pas et je continue de fixer le vide. La femme s’énerve et commence à insulter, en français, Cela a toujours été comme cela avec vous les étrangers, aucune notion de morale. Après tout c’est pour aller raconter sous tous les cieux que les femmes de ce pays sont des putes, comme si les vôtres sont mieux. Vous rentrez dans un bus  pour vous coller contre une femme mariée comme un bébé à sa mère. Et je le dis, vous n’avez même pas la moindre politesse de vous pousser. C’est insupportable tout ceci. Je me demande ce qui vous pousse à quitter vos pays que vous louez ici comme étant des paradis sur terre. Un autre long juron. Elle s’adresse à moi donc ! Lui répondre. Impérativement ! En vrai fils de ma mère, Mère Marthe. Madame, vous reconnaissez au moins que je suis un étranger et vous me parlez dans votre langue, comment voulez-vous que je comprenne ? Elle se tourne vers moi, menaçante, Etranger, étranger, toujours la même chanson, est-ce obligatoire de ne pas comprendre la langue de ce pays quand on est étranger ? Vous ne comprenez pas la langue de ce pays mais vous savez au moins diffamer les femmes de ce pays. Vous ne comprenez pas la langue de ce pays mais vous savez faire rebeller ses filles contre leurs parents. Vous ne comprenez pas la langue de ce pays mais vous savez pousser ses jeunes garçons à se droguer comme vous. Etranger, étranger, mon cul.

Eh Mère Marthe, tu avais l’habitude de me le dire, quand tu ne vas pas chercher le malheur, c’est lui qui vient te chercher. Le malheur me cherche, ma mère. Madame, je ne crois pas vous avoir manqué de respect parce que quand vous parliez je ne comprenais pas. Je n’ai aucun intérêt à me coller contre vous parce que je vous respecte, vous avez l’âge de ma mère et… Elle se lève et me fait face, me dominant de sa grande taille. Encore un Ivoirien qui embête, ils vont nous tuer dans ce pays. Je pense que la guerre est terminée chez eux, ils font encore quoi ici, hein, lance une voix derrière moi. La femme, les yeux rouges baignés de rage, comme ceux d’un militaire ivre, me hurle en tapant des mains, Répète ce que tu viens de dire, idiot, tu me prends pour une vieille femme ou quoi, hein, tu oses me dire que moi je suis de l’âge de ta mère. Eh, Allah, je vais vraiment voir des choses dans ma vie, hein, ce vieux nain se croit petit et me dit que je peux être de l’âge de sa mère. Ecoute-moi très bien, drogué, je ne sais pas si c’est un esprit qui t’a envoyé contre moi ce matin mais sache que je ne vais pas hésiter à te gifler si tu bronches encore parce que… Là, c’est trop, même l’âne finit par se révolter quand on lui tire trop la queue. J’explose comme le Vésuve, Eh, madame, vous savez quoi, je suis un étranger mais j’ai un cœur, un cœur qui s’enflamme quand on me manque de respect, la gifle, c’est moi plutôt qui vais te la foutre si… Vlan… Une gifle m’atteint de derrière, je me retourne et me retrouve face-à-face avec un monsieur d’une quarantaine d’années, Cela t’apprendra à ne plus manquer de respect à une femme. Vous êtes trop impolis, vous les Ivoiriens. Et très inhospitaliers. J’ai fait plus de dix ans en Côte d’Ivoire et Dieu seul sait ce qu’ils m’ont fait subir. Nous continuons de vous accepter ici juste parce que nous avons bon cœur et nous sommes hospitaliers. Je vais te faire sortir tout de suite de ce bus si tu bronches encore. Ne me fais pas vomir sur toi toute la rancune que j’ai gardée contre ton pays.

J’ai les larmes aux yeux. Le malheur m’a cherché, le malheur m’a trouvé. Monsieur, c’est parce que vous avez été maltraité en Côte d’Ivoire que vous… Vlan, vlan, deux gifles. Pièce jointe, un coup de poing dans le dos par une main inconnue. Je pousse un long soupir et éclate en sanglots.

Trop lourde, la torture du cœur. Mère Marthe, tranquillement sortir de ce bus. Je paie combien, hein, je veux descendre, je demande à l’apprenti. Le double du tarif normal parce que tu vas nous faire arrêter avant le point d’arrêt. Je mets la main à la poche pour payer. Il ne va pas descendre, il a manqué de respect à une femme mariée et il doit lui présenter des excuses à la descente. Nous allons vous apprendre à être polis dans ce pays, comme on ne vous éduque pas chez vous. Je ne veux pas une autre gifle, je me calme et reprends ma place, toujours en pleurant.

Quel que soit ce qui t’arrivera, garde le silence et continue la lutte. Pense toujours à Christ dans les moments difficiles. Ces gens vont difficilement t’accepter, parce que tu es différent d’eux en tout. Nous ne sommes pas les mêmes. Mais supporte en te taisant. Tu es là pour quelque temps seulement, et quand les choses vont s’améliorer ici, tu reviendras, m’avais-tu dit, Mère Marthe.

Tout le bus a maintenant le regard fixé sur moi. Je regarde dans le vide, les yeux toujours en larmes. Quand les choses s’amélioreront chez moi, je retournerai. Mais quand ? Les choses s’amélioreront là-bas quand, Mère Marthe ? Trop de malheurs en si peu de temps, Mère. Il y a à peine un mois, j’ai été accusé d’avoir volé une moto. Elle était garée dans la cour la nuit, et on ne la retrouva pas au matin. Trois indices avaient servi au commissaire de conclure que c’était moi le voleur. D’abord, j’étais le dernier à renter cette nuit, car j’étais dehors, en train de lire quand tout le monde était rentré. Donc, je devais obligatoirement connaître le voleur qui n’était que mon complice si ce n’était moi-même. Ensuite, les motos avaient toujours été garées dans la cour et aucune n’avait été volée avant mon arrivée, il y avait seulement cinq jours. Enfin, il était connu de tous dans la maison que je ne travaillais pas, je passais toutes mes journées enfermé dans ma chambre quand tout le monde partait au travail, mais je mangeais. Où trouvais-je donc de l’argent, moi qui étais étranger et ne connaissais personne dans ce pays ? Eh bien, monsieur, vous voyez de vous-même que toutes ces preuves montrent que vous êtes le voleur de la moto. Vous serez détenu jusqu’à ce que vous n’ayez payé la totalité de la somme. Mais vous avez un délai de deux mois pour le faire sinon vous serez déféré vers la prison civile. D’ailleurs, qu’est-ce qui vous a amené dans ce pays, hein, votre pays, paraît-il, est un petit pays très riche, possédant même un port en eau profonde, l’un des plus importants en Afrique occidentale et même en Afrique. Vous n’avez donc pas de raison d’être ici au Sahéli où il n’y a rien à part le sable du désert et un soleil qui vous la cuit toute la tête à longueur de journée, sans oublier les rebelles du Nord. Vous n’êtes même pas étudiant, d’ailleurs il paraît que vous êtes des références en matière d’études en Afrique, même avant le Sénégal, et vos écoles sont les plus renommées du continent. Vous passez même, paraît-il, votre temps à critiquer notre système éducatif qui devant le vôtre ne vaut rien. Qu’êtes-vous donc venu chercher ici si vous n’êtes pas un délinquant sans vergogne poursuivi par votre police ? Comme toujours quand je suis fortement affligé, je pleurais, Monsieur le commissaire, je ne suis pas un voleur, je n’ai jamais volé de toute ma vie, je suis un étudiant en fin de formation et… Il sourit, ressemblant à la vache du fromage La vache qui rit, et se leva, Vous avez fait quelle formation, hein. Il m’observait de la tête aux pieds. Monsieur le commissaire, je suis titulaire d’une maîtrise en droit. Il riait toujours, Encore un nouvel opposant ! Et pourquoi ne pas rester chez vous, cher juriste, au lieu de venir traînailler ici pour voler les motos des pauvres gens ? On vous voit maintenant dans tous les coins de rue dans ce pays, glosant que vous êtes des diplômés étrangers cherchant du travail, comme si ce pays n’avait pas de diplômés. Vous fuyez la misère chez vous et au lieu de venir vous adonner à des métiers honnêtes, vous êtes là, orgueilleux que vous avez toujours été, à refuser les petits métiers, volant pour trouver de l’argent pour faire ripaille en boîte, violer et sodomiser nos filles. Tu en as déjà déchiré combien, nos petits culs, mon grand ? Vous croyez donc que le Sahéli est prêt à accueillir toutes les misères de la Terre ? Tu as été averti, deux mois sans payer et tu vas en prison, petit voleur. Il nous demanda de nous mettre à genoux, moi et ma misère que j’ai amenée de mon pays. Mon pote, tu as raison. Le Sahéli n’est pas prêt à accueillir toutes les misères de la Terre. De quoi te faire décerner la Légion d’honneur par Monsieur Sarkozy et son ministère de l’Immigration. Mais rappel, mon vieux, tes frères et sœurs qui pullulent partout où vivent des âmes humaines, qui ne peuvent rien faire à part vendre dans de sales boutiques remplies de gris-gris, tes frères qui n’hésitent pas à salir tous les quartiers dans lesquels ils s’installent à l’étranger, tes frères illettrés qui emmerdent tout le monde avec vos multiples coutumes et traditions rétrogrades, sont des plus-que-misères, des calamités, qu’acceptent les autres. Pardonnez-moi, honnêtes âmes du Sahéli… On m’enferma pendant deux semaines. Mes compatriotes, alertés par mon ami Parfait, cotisèrent pour rembourser la moto que je ne connaissais pas mais que j’avais volée. Je promis leur payer dans les meilleurs délais.

A suivre…

© 2011 – David Kpelly – Tous droits réservés

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David Kpelly
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