Indignez-vous, Africains, avec Edem Kodzo !
Edem Kodjo est, sans aucun doute, l’un des plus brillants intellectuels et l’un des hommes politiques les plus influents d’Afrique. Mais au Togo, son pays d’origine, il passe aux yeux de beaucoup de ses compatriotes, à commencer par moi et presque toute ma génération des années 80 qui n’avons connu que les atrocités de la dictature d’Eyadema, pour l’un de ces hommes détestables à la source des malheurs de notre pays. Secrétaire général de l’ex Organisation de l’Unité Africaine, OUA, il fut tour à tour Premier ministre sous Gnassingbé Eyadema et son fils. De quoi justifier, valider cette haine dont on le couvre, dans un pays où tout ce qui collabore avec le régime dictatorial cinquantenaire est mordicus classé sur la liste rouge des pestiférés de la République. Sa vie d’homme politique a presque masqué sa carrière d’écrivain pourtant riche avec des ouvrages comme Et demain l’Afrique, Au commencement était le glaive…
Je viens de terminer son essai Lettre ouverte à l’Afrique cinquantenaire publié en 2010 chez Gallimard, à l’occasion du cinquantenaire des indépendances de la plupart des pays africains francophones, un livre que j’ai commencé à lire en m’attendant à un homme politique grillé, fini, qui essaie de récupérer à travers du verbiage oiseux quelques reliquats de crédibilité. Mais je referme ce livre ému, oui, très ému. Et j’ai noté le passage suivant :
« Vérité profonde, indéniable, toujours vérifiée et avérée au long des âges, au long des temps, et qui s’impose aujourd’hui à toi, chère Mère-Afrique! Tes enfants sont ta matière première et ta première richesse, mais je veux parler d’enfants debout, droits comme des baobabs, prêts pour la lutte et la souffrance, ne redoutant ni épreuves ni tourments, des enfants éduqués, conscients et consciencieux, torrentueux, tournés vers l’action, ayant comme idéal ton destin et pour objectif ton avenir. Oui, de solides enfants, de corps, de coeur et d’âme; non pas des crapules qui arpentent les chaussées de tes cités à la recherche du gain facile et de l’arnaque aisée; non pas ceux qui bayent aux corneilles, mollusques avachis et qui prétendent faire du commerce, non ! De vrais hommes et de vraies femmes qui savent ce qu’effort veut dire… qui sont convaincus qu’ils ont entre leurs mains leur propre sort et que leur destin ne se forge pas ailleurs, qui ne perdent pas leur temps à s’en prendre à d’autres, lorsque l’horizon s’assombrit et que le quotidien se complexifie. »
Que dire ?
Que nous devons nous indigner devant l’émouvante indignation de cet homme de pouvoir, cet homme qui s’est déjà accompli, qui a déjà, avec ou sans l’Afrique, montré aux yeux de toute la Terre toutes ses potentialités, ses incommensurables potentialités.
Que nous devons écouter les cris de cet homme qui connaît tant l’Afrique, et qui lui montre – comme si elle ne les connaissait pas, ses maux, ses éternels maux. Qui lui dit, à cette Afrique qui ne pousse pas, qui ne veut pas pousser, les vérités, toutes les vérités que nous devons tous connaître aujourd’hui. Nos vérités.
Que nous devons sangloter, comme le fait Edem Kodzo dans cette lettre de soixante-dix pages, pas devant l’Occident mais devant notre Afrique, et la prier de se voir enfin en face. D’avoir la force, le courage de se voir. De se supporter.
Que nous devons comprendre, enfin, que la victimisation et la haine contre l’Occident ne sont pas les solutions à notre éternel malaise. En ces temps où nos tristement célèbres pantins d’antioccidentaux, bourrés de contradictions et d’incohérences, prêts à dénoncer la France qui bombarde la Libye mais à l’applaudir quand elle met la Côte d’Ivoire en feu, nous font leurs sinistres lois.
Que notre destin, ne se forge pas ailleurs, en Occident, comme nous le martelons, éhontés, du fond des eaux troubles de notre ignorance et hypocrisie, mais ici, en Afrique, entre nos mains.
Que le monde a trop écouté nos pleurs, supporté nos lamentations sur l’esclavage, la colonisation, le néocolonialisme… et tous les autres mots vides que nous inventons pour justifier nos maux. Et qu’il y aura des Discours de Dakar après des Discours de Dakar tant que nous n’aurons pas compris que personne, mais alors personne ne viendra nous sauver ici, pas même cette Chine opportuniste devenue aujourd’hui notre messie.
« La rigueur , encore la rigueur, toujours la rigueur et nos nations seront sauvées ! La rigueur personnelle, dans la pensée, dans le comportement, dans le mode de vie, est la pierre philosophale contemporaine. »
Oui, Edem Kodzo, la rigueur, et cette Afrique que tu as si bien pleurée dans ce livre, que tu as mise à nue dans cette lettre, cette Afrique à qui tu as mal, sera sauvée. La rigueur au sein de l’Union africaine, dans nos gouvernements, parlements, dans nos oppositions, dans nos écoles et universités, dans nos maisons, nos familles… la rigueur avec nous-mêmes, la rigueur personnelle, que tu l’appelles, et nous serons, enfin, Nous. Nous-mêmes.
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