Indignez-vous, Africains, avec Edem Kodzo !

28 juin 2011

Indignez-vous, Africains, avec Edem Kodzo !

Edem Kodzo

Edem Kodjo est, sans aucun doute, l’un des plus brillants intellectuels et l’un des hommes politiques les plus influents d’Afrique. Mais au Togo, son pays d’origine, il passe aux yeux de beaucoup de ses compatriotes, à commencer par moi et presque toute ma génération des années 80 qui n’avons connu que les atrocités de la dictature d’Eyadema, pour l’un de ces hommes détestables à la source des malheurs de notre pays. Secrétaire général de l’ex Organisation de l’Unité Africaine, OUA, il fut tour à tour Premier ministre sous Gnassingbé Eyadema et son fils. De quoi justifier, valider cette haine dont on le couvre, dans un pays où tout ce qui collabore avec le régime dictatorial cinquantenaire est mordicus classé sur la liste rouge des pestiférés de la République. Sa vie d’homme politique a presque masqué sa carrière d’écrivain pourtant riche avec des ouvrages comme Et demain l’Afrique, Au commencement était le glaive…

Je viens de terminer son essai Lettre ouverte à l’Afrique cinquantenaire publié en 2010 chez Gallimard, à l’occasion du cinquantenaire des indépendances de la plupart des pays africains francophones,  un livre que j’ai commencé à lire en m’attendant à un homme politique grillé, fini, qui essaie de récupérer à travers du verbiage oiseux quelques reliquats de crédibilité. Mais je referme ce livre ému, oui, très ému. Et j’ai noté le passage suivant :

« Vérité profonde, indéniable, toujours vérifiée et avérée au long des âges, au long des temps, et qui s’impose aujourd’hui à toi, chère Mère-Afrique! Tes enfants sont ta matière première et ta première richesse, mais je veux parler d’enfants debout, droits comme des baobabs, prêts pour la lutte et la souffrance, ne redoutant ni épreuves ni tourments, des enfants éduqués, conscients et consciencieux, torrentueux, tournés vers l’action, ayant comme idéal ton destin et pour objectif  ton avenir. Oui, de solides enfants, de corps, de coeur et d’âme; non pas des crapules qui arpentent les chaussées de tes cités à la recherche du gain facile et de l’arnaque aisée; non pas ceux qui bayent aux corneilles, mollusques avachis et qui prétendent faire du commerce, non ! De vrais hommes et de vraies femmes qui savent ce qu’effort veut dire… qui sont convaincus qu’ils ont entre leurs mains leur propre sort et que leur destin ne se forge pas ailleurs, qui ne perdent pas leur temps à s’en prendre à d’autres, lorsque l’horizon s’assombrit et que le quotidien se complexifie. »

Que dire ?

Que nous devons nous indigner devant l’émouvante indignation de cet homme de pouvoir, cet homme qui s’est déjà accompli, qui a déjà, avec ou sans l’Afrique, montré aux yeux de toute la Terre toutes ses potentialités, ses incommensurables potentialités.

Que nous devons écouter les cris de cet homme qui connaît tant l’Afrique, et qui lui montre – comme si elle ne les connaissait pas, ses maux, ses éternels maux. Qui lui dit, à cette Afrique qui ne pousse pas, qui ne veut pas pousser, les vérités, toutes les vérités que nous devons tous connaître aujourd’hui. Nos vérités.

Que nous devons sangloter, comme le fait Edem Kodzo dans cette lettre de soixante-dix pages, pas devant l’Occident mais devant notre Afrique, et la prier de se voir enfin en face. D’avoir la force, le courage de se voir. De se supporter.

Que nous devons comprendre, enfin, que la victimisation et la haine contre l’Occident ne sont pas les solutions à notre éternel malaise. En ces temps où nos tristement célèbres pantins d’antioccidentaux, bourrés de contradictions et d’incohérences, prêts à dénoncer la France qui bombarde la Libye mais à l’applaudir quand elle met la Côte d’Ivoire en feu, nous font leurs sinistres lois.

Que notre destin, ne se forge pas ailleurs, en Occident, comme nous le martelons, éhontés, du fond des eaux troubles de notre ignorance et hypocrisie, mais ici, en Afrique, entre nos mains.

Que le monde a trop écouté nos pleurs, supporté nos lamentations sur l’esclavage, la colonisation, le néocolonialisme… et tous les autres mots vides que nous inventons pour justifier nos maux. Et qu’il y aura des Discours de Dakar après des Discours de Dakar tant que nous n’aurons pas compris que personne, mais alors personne ne viendra nous sauver ici, pas même cette Chine opportuniste devenue aujourd’hui notre messie.

« La rigueur , encore la rigueur, toujours la rigueur et nos nations seront sauvées ! La rigueur personnelle, dans la pensée, dans le comportement, dans le mode de vie, est la pierre philosophale contemporaine. »

Oui, Edem Kodzo, la rigueur, et cette Afrique que tu as si bien pleurée dans ce livre, que tu as mise à nue dans cette lettre, cette Afrique à qui tu as mal, sera sauvée. La rigueur au sein de l’Union africaine, dans nos gouvernements, parlements, dans nos oppositions, dans nos écoles et universités, dans nos maisons, nos familles… la rigueur avec nous-mêmes, la rigueur personnelle, que tu l’appelles, et nous serons, enfin, Nous. Nous-mêmes.

Edem Kodjo, Lettre ouverte à l’Afrique cinquantenaire

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Commentaires

David Kpelly
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It's on!

jeogo
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J'ai lu quelques extraits de cet essai de monsieur Kodjo;et honnêtement je n'ai pas voulu le terminer.Apparement , ayant contribué depuis toujours à l'étouffement de son propre pays, en s'associant au regime dictatorial de notre pays, monsieur le premier ministre veut aujourd'hui donner des conseils.Et il aime bien le faire; j'ai suivi plusieurs emissions dans lesquelles , invité, il tenait quasiment ce même langage.Au lieu de tenir des langages différents selon ses intérêts, il devrait une fois pour de bon nous dire de quel côté il est;et s'il éprouve des remords, tant mieux, il pourra se rattraper s'il le souhaite réellement.

David Kpelly
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Salut compatriote Joego
Vous savez, tout comme vous, Monsieur Edem Kodzo ne m'emballe pas trop même si j'admire son brillant parcours. Mais ce monsieur est si grand dans ses livres, que je pense que nous devons l'écouter, même si nous ne devons pas, peut-être,suivre ce qu'il fait.Il est très direct! Ce livre, moi je l'ai lu comme une suite de son très brillant, Et demain l'Afrique. Essayez de terminer la lecture, vous aimerez.
Amitiés

Charles Lebon
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Salut compatriote! j'ai eu la chance de lire quelques extraits de cette lettre très émouvante.
Mais, l'auteur, ce compatriote, Mr. Kodjo Eden, aurait pu faire de son existence la foi qu'il proclame.

Il a fait son temps. Quoique je peut dire de lui, je crois, que ce livre nous aidera, nous jeunes, à ne plus attendre nos vieux jours avant de voir claire. Agissons!

Je tiens à souligner une des idées que tu as aussi évoqué dont je suis convaincu : "Que nous devons comprendre, enfin, que la victimisation et la haine contre l’Occident ne sont pas les solutions à notre éternel malaise."

David Kpelly
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oui, mon cher Charles, n'attendons pas de vieillir avant de voir clair, et ce livre d'Edem Kodzo doit être un de nos livres de chevet.
Amitiés, ennemi!

jean baptiste kouadio
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C'est ça aussi les réalités sur notre continent de cadres incapables et manquants de courage. EDEM KODJO était un grand sg de l'oua mais il a manqué de courage politique.Ce n'est pas derrière des écrits qu'il va se cacher pour dire ce qu'il devrait dire plus haut .Autrement il a dit des choses justes sur l'Afrique mais combien sont ils ceux qui auront la possibilité de lire cet ouvrage ?
De toutes les façon notre continent a encore des années devant pour vivre le cauchemar, la misère ,la pauvreté et les guerres.

David Kpelly
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D'accord avec toi, mon cher Kouadio. Mais je pense que si nous autres jeunes nous écoutons ce que disent certains de nos cadres dans leurs bouquins et débats, nous pourrons, peut-être, faire quelque chose pour ce continent! Peut-être, je dis bien.Rien n'est sûr. Mais nous devons quand même essayer.
Amitiés

kouami
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salut cher kpelly,je pense aussi pour ma part que M. Kodjo Edem est l'un des plus illustres intellectuels en Afrique aujourd'hui. Mais il ne suffit plus aujourd'hui de servir de beaux discours et faire autre chose dans le concret. j'ai l'habitude d'écouter ses interventions sur les médias. Il sert généralement de idées louables dont nos dirigeants en afrique ont toujours conscience mais qu'ils n'ont jamais mis en pratique. Aujourd'hui les Africains et surtout les Togolais ont besoin de vivre concretement des changements aulieu d'en rèver comme toujours.

David Kpelly
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La lutte? Je suis partant, mon cher Kouami, mais je pense que nous devons partir sur une bonne base. Nous ne pouvons pas lutter avec des têtes vides. Une tête vide, ça ne peut pas lutter. Nous avons besoin de nous former, de comprendre, enfin, que notre lutte de libération doit commencer par nous mêmes. Et c'est ce qu'essaie de faire Edem Kodzo dans ce livre. Le monsieur, je l'ai toujours apprécié, mais je ne sais pas si je l'aime. Mais j'aime l'auteur de ce livre, l'Edem Kodzo qui a écrit.
Amitiés

Charles Lebon
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"Une tête vide, ça ne peut pas lutter." Merci David pour cette phrase!

Amités

David Kpelly
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Bah, Charles! Si des têtes vides étaient en mesure de lutter, je pense que notre continent aurait depuis fort longtemps réussi à ne plus être ce qu'il est aujourd'hui. C'est juste parce que nous refusons de nous former sur notre propre histoire, de savoir ce que nous sommes réellement, de reconnaître ce que nous avons fait de notre passé et ce que notre passé a fait de nous, que nous trainons toujours. En fait, c'est ce que je pense.