Le pauvre Christ des voleurs1

7 juillet 2011

Le pauvre Christ des voleurs1

 

– Tu sais, mon frère, vous êtes congolais et je suis togolais, nous sommes tous des étrangers dans ce pays, et nous avons besoin de nous comprendre. Je vous jure que cet argent c’est tout mon salaire du mois passé, qui doit me permettre de passer ce mois, et je ne sais pas comment je vais me débrouiller dans ma situation actuelle, pardon, mon frère, rends-le-moi, s’il te plaît, ou au moins essaie de m’en donner juste une partie, Dieu te récompensera d’une autre manière.

– Huuum, tu sais, je ne sais pas combien de fois je suis obligé de te le répéter, mais je ne suis pas un voleur. Je suis un fervent chrétien et je n’ai jamais volé de toute ma vie. Je reviens d’ailleurs d’une veillée de prière. Ma foi chrétienne ne me permet pas de prendre quelque chose qui ne m’appartient pas. Essaie encore de chercher ton argent. Si tu es sûr que tu l’as déposé dans ta chambre et que personne n’est passé par là, tu vas le retrouver. Je peux disposer ? Je dois aller à l’église, il est presque l’heure.

Peuh ! Qu’un chrétien autoproclamé peut être moche en mentant ! En poussant un soupir de découragement, je lui demande une fois de plus, en souriant, s’il est sûr de ne pas avoir chapardé mon argent. Que nenni, me fait-il pour la énième fois.

Et pourtant, elle est là, la preuve. Cette petite caméra qu’a placée Ruth dans sa féroce jalousie, dans ma chambre, il y a plus d’un mois, en me mettant en garde : « N’oublie pas de la débrancher chaque fois que tu amèneras une de tes dévergondées d’étudiantes. » La caméra, qui filme toutes les entrées et sorties de ma chambre, a immortalisé mon Congolais, rentrant dans ma chambre. Lui qui nie depuis trente minutes ne pas y avoir mis pied.

Mes cent vingt mille francs, Bon Dieu ! Une bonne partie de mon salaire de débrouillard ! Je l’ai fait venir chez moi pour me monter un bureau au salon, et il a pénétré dans ma chambre, a ramassé ma sueur d’un mois, quand j’étais occupé à raconter mes niaiseries à zéro centime à ma voisine dans la cour. Mon salaire, Ciel ! Cette insignifiante fortune que je gagne trop difficilement, après avoir bavardé comme un fou du matin au soir devant des étudiants distraits qui se demandent sûrement comment un jeune garçon comme moi ai pu ne rien trouver à faire à part enseigner ! « Le marketing est ceci, le marché est cela, le consommateur aime machin, le concurrent n’aime pas bidule, le prix nique celle-ci, l’offre et la demande sucent celui-là… » du matin au soir, pendant tout un mois, et se faire dépouiller si facilement !

– Mon frère, je peux partir ? Je suis en retard pour l’église. Essaie de chercher ton argent, je ne l’ai pas pris.

Audience levée. Il claque la porte après m’avoir souhaité une bonne journée. Ah, qu’il est difficile de faire du mal, mes fétiches ! Il suffit que j’amène cette vidéo le trahissant au commissariat de police à moins d’un kilomètre de ma maison, et ces policiers révoltés contre les étrangers ne tarderont pas à aller l’arrêter chez lui, lui distribuer gifles et coups, avant de l’enfermer à moitié mort. Mais comment arriverai-je à dormir après ? Depuis le jour où j’ai vu trois de ces policiers maliens super zélés, excités par le thé et la cigarette, maltraiter un Camerounais supposé avoir volé une moto – la scène m’a d’ailleurs inspiré une nouvelle à paraître dans mon prochain livre -, je me suis juré de ne jamais livrer quelqu’un à la police malienne, sauf celui qui m’arrachera Ruth.

Aïe ! Ce menuisier congolais, fervent chrétien juré craché, m’a volé mes cent vingt mille ! Cent vingt mille ! Toute une semaine de délices avec de petites Ivoiriennes bling bling débarquées ces derniers temps dans notre quartier, et qu’on dit très intéressées par des soirées chaudes ! Cent vingt mille ! Un week-end à Mopti, la ville surnommée la Venise du Mali, dans une chambre d’hôtel avec vue sur le fleuve Niger, dans les bras d’une belle petite peuhle allumeuse genre Nafissatou Diallo ! Cent vingt mille ! Des chemises, des bijoux, des paires de chaussures… de la drague en mode BCBG !

Que faire quand on se fait voler cent vingt mille, son salaire, par un menuisier congolais en début de mois ? Aller pleurer à l’église pour que Dieu, Celui des pauvres, ne vous abandonne pas durant ce mois d’un chemin de croix annoncé. J’ai cette bizarre habitude d’aller à l’église chaque fois que je me sens désespéré. N’est-ce pas le propre de l’esprit humain ? Chercher une force à laquelle s’accrocher dans les moments difficiles, une échappatoire pour fuir le désespoir. Pourvu que Dieu ne prenne pas la fatale résolution de me frapper d’un malheur chaque samedi pour me faire aller à l’église chaque dimanche.

«  Hosanna au plus haut des cieeeeeuuuuuuuux, paix sur la terre aux hommes de bonne volontéééééééééééé… » Je l’ai toujours dit, Dieu doit beaucoup aimer les Congolais, car ils savent très bien Le magnifier en louanges. S’il doit y avoir une chorale africaine au paradis, elle doit être congolaise. Ils chantent très bien, que ce soit en lingala ou en français. Et chaque fois qu’ils chantent à l’église, c’est tout un groupe de cameramen de circonstance, appareils photo numériques  en main, qui se forme autour de leur chorale, pour les filmer.

En jeune m’as-tu-vu qui se respecte, je me lève, mon Samsung flambant neuf en main, pour filmer les séraphins. Surprise d’un nouveau marié qui la nuit de noces, le feu au cul, découvre que sa nouvelle femme est un travesti. Je crois être distrait. En rêve peut-être. Je me concentre, comme un impuissant sur un film X. Ben, c’est lui ! Mon menuisier-voleur congolais magnifiant le Christ ! Il ne me voit pas et envoie, pour couvrir toutes les voix de son ténor, en crescendo, un « volontéééééééééééé… » qui me fait, je ne sais pas pourquoi, sourire.

Euh, ouais, Christ, voilà mon voleur, mes cent vingt mille balles en poche, te magnifiant de toute son âme, sachant que tout son mois est assuré. Tu l’as si bien dit, tu es le Christ de tous les pécheurs, les voleurs y compris. Eh bien, mon bon vieux Christ, moi qui ai travaillé durant tout un mois pour rien, moi qui ne pourrai plus me taper une de ces petites merveilles d’Ivoiriennes de notre quartier, moi qui ne pourrai plus me faire gratifier de quelques câlins peulhs dans une chambre d’hôtel avec vue sur le fleuve Niger, moi qui ne sais même pas ce que je vais manger durant tout ce mois, c’est qui mon Christ, hein.

1. Titre inspiré du titre Le Pauvre Christ de Bomba de l’écrivain camerounais Mongo Beti.

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Commentaires

David Kpelly
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It's on!

jean baptiste kouadio
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Ce n'est pas un fait nouveau,ce congolais n'est pas le seul chrétien qui vole. Que dire des auteurs des crimes organisés qui prient DIEU avant d'aller tuer?
Meme dans nos villages c'est généralement les chefs des églises locales qui sont souvent à la tete des groupes de sorciers et autres. De nos jours les gens n'ont pas peur de DIEU jusqu'au point où certains vont jusqu'à voler en plein messe.
Que dire des pasteurs qui organisent des pseudo activités pour extorquer de l'argent à leurs fidèles ?

David Kpelly
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Huuum, mon cher Kouadio, je me demande, moi qui cherche toujours sans succès à être un bon chrétien, si je ne dois pas commencer à voler. On dirait que voler, ça fait de quelqu'un un bon chrétien. Bon, c'est dégueu mais...

René Nkowa
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Dans la paroisse catholique près de chez moi, on a, il y a quelques années, démantelé un dangereux gang de servants de messe spécialisés dans le pillage de la quête dominicale. ;)

David Kpelly
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Super terrible, mon cher enfant! Mais que le Seigneur ait pitié de nous pauvres pécheurs... et pauvres pandas!