Le pleurer-rire de la chute du roi Kadhafi
Depuis le 21 Août 2011 où les rebelles libyens ont investi Tripoli la capitale libyenne, la voix du Colonel Mouammar Kadhafi, le guide de la révolution libyenne, le renard du désert, le roi des rois d’Afrique… s’en va, au jour le jour, s’affaiblissant. Elle s’éteindra, cette voix qui a pendant des décennies fait trembler les puissances occidentales, dans un délai plus ou moins long, ou avec la fuite, ou l’arrestation ou la mort de celui qui passe incontestablement pour le dirigeant le plus influent du continent noir des trois dernières décennies. Mouammar Kadhafi est aujourd’hui pourchassé, traqué comme un rat, sa tête mise à prix, sa famille matraquée, son royaume avili, son pays réduit en miettes.
Mouammar Kadhafi a beaucoup donné à la Libye, il faut le lui reconnaître, et cette façon de se débarrasser de lui n’est pas la meilleure. La nationalisation de beaucoup d’entreprises libyennes, l’augmentation, pour la première fois, du prix du baril du pétrole en 1970, une année seulement après sa prise du pouvoir, la construction des infrastructures, l’instauration de l’assurance maladie et l’aide sociale pour les Libyens… Risquant sa vie dans une longue lutte contre le monde occidental, il reste le modèle du dirigeant africain qui sait dire non à toutes les puissances occidentales, chaque fois qu’il sent les intérêts de son pays menacés. Pas même un seul chef d’Etat de notre vaste et vieille Afrique noire n’est jamais arrivé à faire de son pays ce que Mouammar Kadhafi a fait de la Libye, sur le plan matériel.
Mais Kadhafi, c’est aussi, et surtout, un mégalomane louche et presque loufoque, ayant fondé ses quatre décennies de règne sur l’élimination après torture de tous ses potentiels rivaux. L’histoire le témoigne bien, en juin 1996, en deux jours, plus d’un millier de détenus sont tués dans la prison d’Abou Salim par les forces du régime de Kadhafi, une tuerie qu’il reconnaîtra huit ans plus tard, en 2004. Mouammar Kadhafi a essayé de satisfaire les besoins primaires de son peuple, oubliant que l’esprit humain ne se nourrit pas de pain. Tout être humain, tout peuple, qu’il mange à sa faim ou pas, cherche toujours à être libre. Libre de penser, libre de s’exprimer, libre d’aimer ce qu’il veut et rejeter ce qu’il ne veut pas, libre d’utiliser ses potentialités et montrer ses talents… Ce sont des besoins aussi indispensables à l’être humain que les besoins de manger, de boire, de s’abriter… Ce que le guide libyen n’a pas voulu donner à son peuple qu’il gavait, dit-on, de pain.
Bien qu’assimilé par ses partisans, rien qu’à travers ses discours démagogiques, à un panafricaniste, Mouammar Kadhafi n’a jamais ni dans ses actes, ni dans ses propos été un rassembleur de la communauté africaine, s’apparentant plus à un potentat avide de gloire et de louanges, lançant des guerres dites saintes par-ci, distribuant des menaces et intimidations, finançant des rebellions par-là, ses pétrodollars comme seule arme. Ses multiples réalisations dans les pays d’Afrique noire, surtout ceux à dominance musulmane dont le Mali où il a érigé toute une cité ministérielle qui porte son nom, ses litanies sur la création des Etats-Unis d’Afrique – projet qu’il n’a commencé à extérioriser qu’après son échec devant le monde arabe-, son financement de grands projets africains comme celui du premier satellite africain… ont toujours été noyés sous ses divagations cocasses voilant à peine ses désirs secrets d’islamisation de l’Afrique, de conquête du monde noir.
Un dirigeant, qu’il soit patriote ou pas, cesse d’être un bon dirigeant une fois qu’un citoyen, un seul citoyen, succombe sous ses balles. Le 21 avril 1982, quand Thomas Sankara, l’incontournable panafricaniste burkinabé, dont certaines théories impliquent Mouammar Kadhafi dans l’assassinat, démissionnait de son poste de Secrétaire d’Etat à l’information dans le gouvernement du colonel Saye Zerbo, il déclara «Malheur à ceux qui bâillonnent le peuple ». Mais c’est ce peuple, du moins la petite partie qui se révoltait, que Mouammar Kadhafi traitant de « rats » avait en Février 2011 juré d’exterminer jusqu’à la dernière balle. Les rats, appuyés par l’opportunisme notoire de l’Occident, ont eu raison de celui qui, il y a encore un an, du haut de son piédestal de roi des rois d’Afrique qu’il s’est bâti, représentait terreur… et horreur.
Qu’on ne se méprenne point, ce serait une très grave erreur, une insulte, que de comparer la destitution de Mouammar Kadhafi à celles de Ben Ali de la Tunisie et de Moubarak de l’Egypte. Car ces derniers ont été catapultés hors de leurs pays par le peuple, rien que le peuple qui s’est jeté dans la rue, les mains nues, fatigué du trop long règne de leurs potentats, alors que Mouammar Kadhafi a perdu son trône suite à une guerre civile qui a opposé son clan à des rebelles armés et appuyés par l’Occident, la France et l’Angleterre en tête. Encore la main de l’Occident, l’Occident impérialiste, l’Occident parasite qui au jour le jour prouve qu’il ne peut vivre sans le sang de l’Afrique. L’importune, nuisible ingérence de l’Occident dans les affaires africaines. D’une résolution de l’Onu destinée à protéger les civils libyens contre les tueurs de Kadhafi qui a justifié l’intervention des forces de l’Otan en Libye, le 19 mars 2011, et que nous avions soutenue contre les injures et menaces des partisans du guide libyen, on est passés à un bombardement des bases militaires, des édifices, des médias, des entreprises libyens par les aveugles frappes de l’Otan, puis à la fourniture d’armes aux rebelles, puis à la chasse à Mouammar Kadhafi. La brèche de la conquête de la Libye et ses richesses était trop ouverte pour que l’Occident ne s’y engouffre pas. Combien de civils ces frappes de l’Otan ont-elles protégés, ou plutôt combien de civils n’ont-elles pas tués ? Ni les cris de joie qui rassemblent aujourd’hui les rebelles et leurs alliés occidentaux si proches de leur but, ni les larmes et gémissements de Kadhafi et ceux qui le suivent, les perdants, ne peuvent le dire.
Cette victoire des rebelles libyens sur Kadhafi est-elle une de ces victoires-là qui font jubiler ? Le Comité National de Transition peut-il triompher avec gloire devant cette victoire qui lui a été offerte sur un plateau en or par l’Occident ? La Libye d’après Kadhafi restera-t-elle une propriété des Libyens quand elle doit tout à la France, à l’Angleterre, aux Etats-Unis… ? Kadhafi n’est peut-être même pas encore hors de la Libye que l’Occident préparant la nouvelle ère libyenne qu’elle dit démocratique se propose, se charge de suivre les nouveaux dirigeants libyens dans la construction de leur pays !
Mouammar Kadhafi, panafricaniste antioccidental pour certains, dictateur sans cœur et terroriste de première classe pour d’autres, restera encore, pendant très longtemps, cette icône controversée qu’il a toujours été. Certains applaudiront sa chute, la chute de l’une des plus sanglantes dictatures que notre continent ait jamais connus, d’autres le regretteront car ils y verront toujours l’épisode de Patrice Lumumba, Thomas Sankara et tous ces autres panafricanistes assassinés par l’Occident impérialiste.
Mais, disons-le-nous, qu’on soit pour ou contre Kadhafi, notre orgueil d’Africains, notre amour-propre de dignes peuples indépendants doivent toujours nous souffler la honte, pourquoi pas la révolte, devant ces victoires pas éclatantes. Chaque fois que l’Occident, faiseur et ami des plus rudes dictatures d’Afrique, viendra chez nous introniser un dirigeant aussi juste, compétent et démocrate soit-il, ou déloger un autre aussi sanguinaire et barbare soit-il, nous devons filer doux, humiliés, la queue entre les jambes comme un chien vaincu.
La question n’est pas de se terrer dans cette forme d’anti-impérialisme qui semble désormais la chose la mieux partagée entre beaucoup d’intellectuels africains vivant presque tous en Occident, véritables parasites de l’Occident, et qui consiste à débiter injures et insanités contre l’Occident, proclamer la haine de l’Occident, la France surtout. Lutter contre l’impérialisme, la françafrique, ne signifie aucunement pas injurier l’Occident, montrer à travers des discours démagogiques qu’on hait l’Occident et ses institutions l’Onu, le Fmi, l’Otan… Le seul moyen pour l’Afrique de s’affranchir du joug de l’Occident est d’avoir des institutions fortes, nobles, autonomes, financièrement et militairement indépendantes capables de régler efficacement les problèmes, tous les problèmes africains.
L’Union africaine – ah, l’Union africaine ! – a passé tout son temps à tourner sur-elle-même lors de la crise ivoirienne jusqu’à ce que le France ne décide d’aller imposer le Président qui lui plaît. Elle a passé tout son temps à gueuler, cette inutile institution qui n’a jamais depuis sa création réglé un seul problème africain, quand l’Otan détruisait pierre après pierre la Libye. L’Union africaine veut faire croire qu’elle n’a pas encore compris que pour éviter des rebellions en Afrique, il faut savoir déloger, par la force s’il le faut, à temps, tous ces vieux dinosaures qui s’accrochent au pouvoir malgré les protestations du peuple, usant de la chose publique comme un domaine familial. Elle se plaît, toujours, à jouer à la muette et aveugle devant les problèmes africains. Quoi de plus normal, comme elle n’est constituée en majorité que par ces chefs d’Etat détestés, crachés par leurs peuples comme une salive fétide. Et elle ne peut que laisser l’Occident, à qui elle doit tout, faire la loi dans le continent noir.
Hier Laurent Gbagbo, aujourd’hui Mouammar Kadhafi, demain un autre, puis un autre après-demain, puis un autre… Il est là, l’Occident et son impérialisme en bandoulière, pour venir loger et déloger nos dirigeants quand bon cela lui semble, pour s’emparer de nos richesses, tant que nous ne serons pas en mesure de régler, chez nous, nous-mêmes, nos problèmes. Et ce ne sont pas des devises haineuses contre Nicolas Sarkozy, Barack Obama, David Cameron… qui ne sont que des héritiers défendant un impérialisme aussi vieux que la civilisation de leurs continents, aussi vieux que toutes les civilisations, qui nous sauveront.
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