«Mo », notre héros c’est toi
In Memoriam, Mohammed Nabbous (27 février 1983 – 19 mars 2011)
« Aigles qui passez sur nos têtes
Allez dire aux vents déchaînés
Que nous défions leurs tempêtes
Par nos mâts enracinés. »
Alphonse de Lamartine, La Chute d’un ange
Mouammar Kadhafi est mort. Tué. Mort, le mythe. Mort après les milliers et les milliers de Libyens qui ont perdu la vie depuis février 2011, début de la révolution libyenne. Mort, bah ! Mort, ouf ! Mort, hélas ! Mouammar Kadhafi, toute une histoire, une légende !
Et cette histoire, cette légende que fut celui qui pendant quarante-deux ans s’est fait « guide » du peuple libyen, celui qui pendant quatre décennies fut l’un des plus grands cauchemars de l’Occident, véritable icône de la résistance contre l’Occident et l’impérialisme, celui qui pendant quatre décennies fut l’un des tyrans les plus sanglants de notre continent… chacun l’écrira, cette histoire, à sa manière, dans son cœur. Ses adulateurs le hisseront dans leur panthéon, ses détracteurs feront de lui l’un de leurs plus noirs souvenirs. A chacun donc de porter Kadhafi, le monstre-héros, comme il veut.
Mais au-delà de tous les hommages que méritent tous ceux qui sont morts pour la bonne cause, ou innocemment durant cette révolution, que tout jeune digne et fier, de la Libye, d’Afrique et d’ailleurs s’incline aujourd’hui, demain, à jamais devant la mémoire de celui qui fut, dès les premiers jours de cette révolution, le symbole même du courage, de la détermination, du patriotisme, de l’amour de la terre natale… Un jeune homme de vingt-huit ans qui trouva la mort le 19 mars 2011 à Benghazi, abattu par un sniper du monstre-héros. Mohammed Al Nabbous, qu’il s’appelait.
Ce jeune blogueur et journaliste citoyen, ingénieur en télécommunications de formation, avait créé dès les premiers jours de la révolte libyenne la première station de télévision privée établie dans le territoire au nom évocateur : Libya Alhurra TV (Télévision Libye Libre). Exhortant les médias à ne pas oublier la Libye, il défiait les fusillades et bombardements, pour filmer les images des combats à diffuser sur sa chaîne de télévision d’information en continu, pour que le monde entier suive, loin des spéculations des grands médias qui font et défont l’actualité au gré de leurs humeurs et intérêts, ce qui se passait réellement en Libye. Et c’est en filmant, ce 19 mars 2011, les combats, qu’il fut assassiné, laissant derrière lui une femme enceinte.
Il voulait une Libye libre, juste une Libye libre. Et il en avait le droit. Tout citoyen a le droit de vouloir son pays libre. Libre de s’exprimer, libre d’adorer le dieu de son choix, libre de choisir son dirigeant, libre de le révoquer… Il voulait une Libye différente de celle-là que lui avait imposée Kadhafi depuis sa naissance. Et ce fut son erreur, vouloir son pays libre. Il perdit la vie, lui qui devait donner la vie dans quelques mois. Il s’en était allé, s’en avoir jamais vu son pays libre. Peut-être avec une seule consolation, l’histoire retiendra qu’il avait essayé, avec ses moyens, de libérer son pays, de se libérer.
Un symbole émouvant, ce jeune homme. Le symbole de cette jeune génération étouffée libyenne, africaine décidée à s’exprimer, à parler, à crier au monde entier son mal de vivre, sa détresse. Mohammed Nabbous, qui se faisait appeler « Mo », est le symbole de tous ces jeunes-là qui à travers les médias, Internet surtout, les marches de protestation, les batailles au front… cherchent à dévoiler à la face de la terre les souillures et pourritures que cachent leurs pays, les horreurs qu’entretiennent, que nourrissent leurs dictateurs, les atrocités que fabriquent des régimes pour la plupart existant longtemps avant leur naissance et dont ils ne veulent pas. Cette génération africaine sacrifiée sur l’autel de la démagogie, de la corruption, du népotisme, de la prévarication, du meurtre… qui criait hier « Ben Ali, Moubarak, Kadhafi… Dégagez ! », qui crie aujourd’hui à gorge déployée « Abdoulaye Wade, Faure Gnassingbé, Paul Biya, Blaise Compaoré, Sassou N’Gésso… Dégagez ! », qui criera demain, après-demain, toujours…
Mohammed Nabbous, tu es le symbole d’une génération de jeunes Africains étouffés, démunis, aux mains nus, mais fiers, forts, courageux… qui ne se soumettront plus.
Que Kadhafi ou ceux qui l’ont tué reçoivent des honneurs et des honneurs de ceux qui veulent bien leur en donner. Mais toi tu es notre héros. Le héros d’une génération de jeunes qui veulent, désirent, enfin, faire l’histoire de leur continent. La vraie.
Commentaires