En attendant le Wade panafricaniste

11 janvier 2012

En attendant le Wade panafricaniste

Gorgui vous emmerde!

Durant les soulèvements du monde arabe, notamment ceux de la Tunisie, de l’Egypte et de la Libye, certains analystes avaient osé un rapprochement entre le Maghreb et les pays de l’Afrique noire, exigeant ces révoltes dans des pays comme le Togo, le Burkina Faso, le Congo, le Sénégal… Nous avions trouvé leurs analyses de mauvais goût, dans la mesure où presque tous ces pays de l’Afrique noire, le Sénégal surtout, ont un privilège que ces pays du Maghreb n’ont jamais eu : les élections.  Ce serait une injure, avions-nous soutenu, pour la démocratie sénégalaise, que de demander aux Sénégalais de se mettre dans la rue pour renvoyer un président qu’ils ont librement choisi. Abdoulaye Wade était arrivé à la tête du Sénégal en 2000 par un vote, et il ne peut quitter qu’à la fin de son mandat, laissant au peuple sénégalais qui l’a choisi le soin de choisir son successeur. Il fallait, au nom de la démocratie, laisser Abdoulaye Wade terminer son mandat, aussi catastrophique soit-il, pour se retirer en paix.

Mais, hélas, comme le stipule bien l’écrivain congolais Alain Mabanckou dans son essai Le Sanglot de l’Homme noir (Fayard, 2012), tous nos vieillards ne sont pas des bibliothèques, les vieux cons n’ayant pas disparu de ce monde. Abdoulaye Wade arrive à la fin de son mandat et, contre toute attente, contre sa propre parole donnée, contre la volonté de son peuple, ne veut pas s’en aller, plongeant du coup le Sénégal, pendant longtemps considéré comme vitrine de la démocratie en Afrique noire, dans un chaos d’avant la création du monde. Abdoulaye Wade, prototype du brillant intellectuel africain super diplômé, icône de tous ces Africains-là qui rêvent études, grandes universités et gros diplômes, se permet de jouer avec la constitution de son pays, lui qui connaît si bien le poids d’une constitution pour un pays, tout comme le faisait le vulgaire analphabète dictateur togolais Eyadema. Et pourtant il a 86 ans, âge auquel on est supposé avoir une tête blanche, toute blanche, signe de sagesse. Il va désormais falloir se méfier des vieux chauves. Ils n’ont pas de cheveux, et ne se sentent sûrement pas concernés par cette histoire de cheveux blancs signe de sagesse.

Ce qui frappe dans cette bouillabaisse que prépare le président sénégalais à son peuple est le silence des institutions internationales africaines, des chefs d’Etat africains, et surtout des intellectuels et leaders d’opinion africains. On circule, il n’y a rien à signaler. Il n’y a encore rien à signaler. L’Afrique, celle-là qui a une voix pour parler, celle-là qui a le pouvoir pour contraindre, les moyens pour faire dégager Abdoulaye Wade avant qu’il n’embrase le Sénégal, cette Afrique-là donc, reste, une fois de plus, muette, et laisse de jeunes artistes sénégalais, de jeunes journalistes sénégalais, quelques intellectuels sénégalais, et le peuple sénégalais crier son imminent malheur.

Pourtant il est si prévisible, si palpable, et désormais presque inévitable, ce malheur qui s’apprête à s’abattre sur le Sénégal. Ce malheur arrivera si rien n’est fait aujourd’hui, maintenant, pour bloquer Abdoulaye Wade dans cette entreprise sanguinaire dans laquelle il s’est lancé. Nos crises ont toujours ainsi germé, nous le savons tous. Nos pays se sont toujours ainsi embrasés. Un mégalomane ubuesque, pour des raisons sinistres et imbéciles, appuyé par des griots vils et oisifs, qui décide de ne pas quitter le pouvoir, défie son peuple pour organiser des élections qu’il vole et remporte haut les mains, haut les armes, et qui, contesté et hué, massacre toute contestation.

Et le Sénégal, l’incontournable Sénégal, est aujourd’hui sur cette pente, où tout peut facilement s’embraser, saigner, fumer. Mais l’Afrique n’a pas encore compris qu’elle doit réagir. La Cedeao et l’Union africaine n’ont pas encore compris qu’il est temps d’aller conjurer le mauvais sort, d’aller demander à Abdoulaye Wade de s’en aller tranquillement, de ne pas tordre le cou à la démocratie sénégalaise, de ne pas détruire cet édifice que le peuple sénégalais a passé des décennies et des décennies à construire. Les intellectuels et leaders d’opinion africains ne se sentent pas encore prêts pour crier comme ils savent très bien le faire sur ces médias qui aiment tant leur donner la parole, Rfi et France 24 surtout, crier à la face de toute la Terre sur Abdoulaye Wade pour qu’il renonce à ce plan démonique qu’il est en train de réussir petit à petit au jour le jour. On laisse le chanteur Youssou Ndour quémander la pitié de la communauté internationale sur Rfi pour qu’elle intervienne et fasse partir Wade, on laisse seuls les jeunes artistes du collectif « Y en a Marre » demander au vieux président de ne pas faire le faux pas forcé. Le Sénégal c’est le Sénégal, aux Sénégalais donc de faire partir leur peste.

C’est ainsi que ce continent a toujours fonctionné. Afrique ! Quelle hilarante utopie ! Ce continent n’existe pas, comme le dirait l’autre ! L’Afrique n’existe pas ! Ce continent n’existe pas si chaque fois qu’un problème s’annonce dans un pays, nos chefs d’Etat, nos intellectuels et leaders d’opinion peuvent faire semblant de ne pas être concernés à côté, attendre que le sang commence à couler à flots, que des milliers et des milliers de pauvres citoyens soient mutilés ou chassés de leur patrie, que l’Occident, par humanisme ou pour ses intérêts, qu’importe, vienne larguer deux ou trois explosifs sur la tête du tyran têtu, pour crier sur tous les toits ingérence, colonialisme, néocolonialisme, impérialisme… L’Afrique est une grosse, une très grosse arnaque, un mot creux, vide, si nos intellectuels et leaders d’opinion ne peuvent pas prendre la parole chaque fois que le torchon s’apprête à brûler dans un pays africain, n’importe quel pays africain, pour raisonner les têtes, concilier les intérêts et apaiser les cœurs.

Il faut attendre que Wade arrive à massacrer la constitution sénégalaise, voler les élections, tuer des milliers de Sénégalais, que la France et les Etats-Unis envoient leurs militaires l’arrêter ou le tuer, pour commencer à pleurer sur tous les ondes, démontrer comment l’Occident massacre l’Afrique, comment il est jaloux de sa richesse, de la jeunesse de ses enfants, de la libido des Nègres, de la chute de hanches des Négresses… Et déclarer Abdoulaye Wade panafricaniste, antioccidental, le héros protégeant les intérêts de son peuple contre les voleurs occidentaux, le béatifier, le canoniser. Car cet air, chacun peut désormais le chanter par cœur, il suffit à n’importe quel tueur africain d’être arrêté ou tué par l’Occident pour être déclaré panafricaniste. Pauvre Eyadema, pauvre Mobutu, dire que vous n’aviez pas eu l’ineffable honneur d’être tués par l’Occident ! Vous auriez pu devenir des panafricanistes, tous vos crimes et horreurs auraient pu être niés, effacés, et vos opposants que vous aviez liquidés et ceux qui vous contestent taxés de valets de l’impérialisme, vendus à l’Occident, Africains traitres…

Si nos intellectuels et leaders d’opinion panafricanistes à qui l’Afrique qu’ils ont désertée a conféré les pouvoirs de nommer les panafricanistes ne veulent plus voir l’Occident filou et impérialiste s’ingérer dans les affaires africaines, il va falloir qu’ils apprennent à sentir les carnages dans n’importe quel pays africain, et réagir à temps, au lieu d’attendre,  vautrés dans les draps de cet Occident-là qu’ils ne peuvent ouvrir la bouche sans insulter, d’espérer, de souhaiter les massacres en Afrique pour se mettre en vedette.

L’Afrique n’est en rien ni inférieure ni supérieure aux autres continents. Elle marche avec le reste du monde, et ses problèmes touchent les autres continents, constituent pour eux des obstacles. Un régime dictatorial qui appauvrit un pays africain est un régime qui pousse vers l’Occident des vagues de jeunes désespérés sans qualification dont personne ne veut en Occident, qui constituent des parasites, des plaies, des calamités pour l’Occident. C’est pourquoi l’Occident doit venir nous régler nos problèmes à sa manière, si nous n’arrivons à le faire nous-mêmes à temps.

Le peuple sénégalais est là qui attend que l’Afrique, toute l’Afrique qui peut parler, qui peut agir, parle, agisse, aujourd’hui, maintenant, pour que Wade quitte tranquillement le pouvoir. Par respect pour la démocratie sénégalaise. Par respect pour l’Afrique. L’Afrique, toute l’Afrique, doit aujourd’hui parler pour le Sénégal. C’est cela le panafricanisme. Le vrai.

 

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Commentaires

David Kpelly
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Si si, Gorgui vous emmerde! It's on!

Ameth DIA
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On laisse toujours aux autres le soin de parler pour nous et on vient jouer les pompiers quand le feu a fini de tout consumer. Aprés, il ne faut pas s'étonner que les "grands" de ce monde décident à notre place, sans trop se soucier de notre avis sur les questions qui nous concernent en premier.De toute façon peu de Présidents africains s'amuseraient à donner des leçons de démocratie quand on sait qu'ils sont à leur poste grâce à des mascarades électorales.

David Kpelly
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Voilà le mal africain, mon cher Dia. Ce continent n'existe pas si ce sont les autres qui doivent toujours parler pour lui.
Amitiés

Charles Lebon
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salut David,

Je partage entierement ton cri de colere. Je viens de publier un article dans le meme ordre d'idee. Mais j'avais pas au prealable lu ton article.
c'est a croire donc que meme les ennemis peuvent avoir beaucoup de points commun!!!

Je crois que le vieux Wade merite une bonne leçon pour les elections a venir.

Concernant les soi disant intellectuels Africains, il y a longtemps que je les ai vomi. Tout ce qu'ils aiment, c'est d'etre invite sur les ondes des colons et aligner des gros mots.

Et bien, notre Afrique, bien que nous sommes jeunes, nous la construirons sans eux!

Bien de choses a toi!

David Kpelly
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"Et bien, notre Afrique, bien que nous sommes jeunes, nous la construirons sans eux!"
Ah, mon cher, espérons bien!
Amitiés

LISEFOR
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J'adore votre blog et je me suis délectée à le parcourir. L'écriture, le ton, les coups de gueule, l'humour, les sujets abordés avec réalisme...tout y est.
Vous avez une nouvelle "fan" !

David Kpelly
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Très honoré, ma chère Lisefor, et bienvenue dans le monde mien.
Amitiés

s'en fou la mort du voisin
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Wade avait demandé, en direct de Benghazi, à Khadafi de le regarder droit dans les yeux pour qu'il lui dise "plutôt tu partiras, mieux cela vaudra". Aujourd'hui c'est WADE QUI REFUSE DE REAGRDER DROIT DANS LES YEUX DES SENEGALAIS QUI LUI DISENT"wade, dégage".Khadafi en direct de sa tombe au sud de Tripoli est en train de demander à Wade pourquoi lui ne voudrait pas partir plutôt?

Idrissa
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hélas votre prophétie n'a pas prospéré tout simplement parce que tu méconnaît la société sénégalaise, tu penses betement aussi en pays africain en crise ne peut s'en sortir sans l'aide des autres et tu sous-estimes la capacité de mobilisation des sénégalais; ce sont pourtant les youssou ndour, y'en a marre et d'autres jeunes sénégalais foncièrement patriotes qui ont donné le coup de grâce à Wade qui a bien organisé les élections et les a perdu à plate couture comme quoi une jeunesse consciente, engagée et déterminée peut bien changer les choses en Afrique. le Sénégal n'est pas n'importe quel pays en Afrique et il restera toujours debout. Vive le Sénégal je t'adore.