Une paire de fesses pour une route

18 janvier 2012

Une paire de fesses pour une route

Mon prégo, je veux une route!

Ah, ces mésaventures dont le dénouement est si heureux que vous finissez par ne plus les regretter ! C’est un peu l’histoire de ce cocu du conte de ma mère, Mère Marthe, qui ayant décidé d’aller se noyer dans la mer après avoir surpris sa femme, sa petite profondeur, au lit avec une autre longueur, rencontra sur la plage une jeune princesse dix fois plus belle et riche que sa femme infidèle, qui tomba amoureuse de lui et l’épousa par la suite. A quelque chose malheur est bon, que disent trivialement les revendeuses d’arachide grillée de nos coins de rue.

En poussant ma moto sur le pont du Fleuve Niger, la tête en feu, le cœur gonflé de rage, je maudissais intérieurement ce mécanicien avec qui je m’étais familiarisé depuis mon arrivée à Bamako, mais qui juste pour quelques centaines de francs n’avait pas hésité à me jouer ce sale tour. Il n’avait pas mis les mille francs d’essence comme je le lui avais demandé après la révision de ma moto.

Et, juste à l’entrée du pont, moi qui croyais mon réservoir d’essence aussi plein que l’estomac d’une femme de voleur, je m’étais retrouvé en panne d’essence ! Pousser cette moto, sous ce méchant soleil du Sahel, pour traverser ce pont de presque un kilomètre, dans cette dangereuse circulation de Bamako rendue insupportable par ces petits délinquants bamakois goinfrés de mauvaises manières et excités par le thé et la cigarette qu’ils passent tout leur temps à tirer !

Chemin de croix ! Sous le tintamarre des klaxons qui m’intimaient l’ordre de ramasser mes vieux os de la chaussée, je n’avais qu’une inquiétude, fasse le Ciel que le hasard ne place aucun de mes étudiants, mes étudiantes surtout, en ces parages, pour surprendre leur prof qui aime tant se la jouer Casanova en train de pousser une moto en panne d’essence !

Humilié, frustré, épuisé, enragé, j’arrivai à la station d’essence juste à la sortie du pont après un quart d’heure de calvaire.

– De l’essence, mais vous-là, vous ne me voyez pas, hein, vous êtes là pour vendre ou bavarder ? Vous me voyez garer ma moto et vous…

Le jeune pompiste, paniqué par cet air de Daddis-Camara-dans-ses-beaux-jours que j’avais,  se leva en hâte en se précipitant vers moi, sans interrompre la discussion avec son collègue :

– Tu vois, comme c’est ce qu’il a désormais décidé de faire, le seul moyen d’en profiter, c’est de lui placer de belles filles dans tous les quartiers de la capitale, hi hi hi, comme ça il va bitumer toutes les voies de tous les quartiers et y construire de belles villas. Ah, pauvre de nous ! Nous souffrons à l’étranger alors que l’argent de notre pays sert à faire ces conneries à vous donner la nausée… Chuaaannn !

L’interlocuteur pouffa de rire. Moi aussi. Il s’étonna et me demanda si je l’avais compris. Je lui fis savoir, dans notre dialecte, que j’avais compris, et que je savais de qui il parlait.

Il parlait, lui avais-je dit, de ce sacré fils à papa imposé un matin comme président de la République à un pauvre peuple au bord de l’agonie par une maudite armée et des institutions internationales africaines plus viles qu’un tambour de funérailles. Ce fils de la nation dont l’argent et le pouvoir, selon la rumeur, ont rendu le bangala tellement tranchant et méchant qu’il se la fourre dans tout ce qui peut l’avaler dans le pays, dispatchant des grossesses et des grossesses dans tous les utérus du pays, leur construisant des villas, bitumant les rues qui mènent à leurs maisons, alors que les routes nationales, les boulevards et les avenues du pays n’ont rien à envier à des sentiers tortueux d’un village de montagne.

– Tu as vraiment compris, me fit-il dans notre dialecte en riant. Voilà ton pays, notre pays, et il faut qu’on en parle aux autres. Il faut qu’on les dévoile au monde entier. Passe le message à ton prochain.

Durant le reste de mon trajet vers la maison, je n’ai cessé de rire, pensant déjà au titre que je donnerais à la nouvelle qu’il venait de m’inspirer, ce compatriote qui a, comme moi, comme beaucoup de mes compatriotes aujourd’hui, décidé, dans sa rage contre son pays, de laver le linge sale national , les bassesses de ses dirigeants, devant la face de la Terre.

Oui, mon frère, je passerai le message à mon prochain, mes prochains, à toute la Terre. J’y suis déjà. Une courte nouvelle de blog sur cette étrange manière de construire des infrastructures dans un pays ! Une paire de fesses pour une route, nickel comme titre, hein !

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Commentaires

David Kpelly
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It's on!
Amitiés

Elias Apedi
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Encore toi,David! Toujours toi! Tu es terrible! Il y a un de tes lecteurs qui te demandait tout récemment ce que prends avant de rédiger ces articles. Je te pose la même question. Tout ce talent-là, ca vient d'ou maaaaaaaaa?

David Kpelly
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Ce talent, je te dis ca vient de ma mère,Mère Marthe, elle est terriblissime!
Amitiés