CAN 2012, hernies et Cie

22 janvier 2012

CAN 2012, hernies et Cie

Chiche, le début de cette CAN 2012 ! Je supportais la Libye et le Sénégal, et ils ont été battus. A cette allure aucune équipe ne voudra finalement de moi comme supporter.
Disons que tout a été clair pour le second match, c’est Wade et tout le venin de toutes les mauvaises langues qui lui coule dessus ces derniers temps qui s’est déteint sur les garçons. La poisse. Et surtout qu’il n’y avait pas Youssou N’dour dans les tribunes pour rythmer par quelques notes de Mbalax les déhanchements de jeunes danseuses sénégalaises, ouvrant de temps en temps de petites fenêtres furtives sur leur monde intérieur pour motiver les garçons sur la pelouse, eh bien, ce fut un pastis coupe pleine. Le mister show sénégalais, devenu automatiquement bling bling depuis sa décision d’entrer en politique, va désormais préférer s’asseoir, le pied gauche sur le droit, dans un fauteuil doré, et se la jouer, au lieu d’animer les foules, faire danser et égayer les cœurs avec sa suave voix, comme il sait bien le faire. On ne le dira jamais, faut que chacun apprenne à rester à sa place dans ce continent. Il fut un moment du match, vue la piètre performance de l’équipe sénégalaise dont je ne connaissais pas la grande majorité, je m’étais demandé si ce n’étaient pas des étudiants sénégalais de Sciences-Po Paris qui avaient décidé de se substituer aux vrais joueurs sénégalais et jouer la CAN à leur place, comme c’est la nouvelle mode au Sénégal, chacun pouvant changer de vocation quand cela lui tape sur la tête, des chanteurs décidant de devenir président comme le grand You, des diplômés respectés devenant des analphabètes ignorants, le cas de Wade…
Au coup d’envoi du premier match, je supportais le pays organisateur, la Guinée Equatoriale. Faut que cette équipe se qualifie pour maintenir l’ambiance dans le pays, et rendre la fête belle. Mais c’est quand dans les tribunes je vis Ali Bongo le président du Gabon et le beau-père de son père Dénis Sassou-Ngésso, le président du Congo, venus sûrement supporter l’équipe équato-guinéenne aux côtés de leur compère Théodore Obiang Nguema que je changeai d’idées. L’équipe libyenne me parut tellement minable, tellement esseulée, les joueurs tellement orphelins, humbles, que je me dis qu’il fallait la supporter. Très sympa. Toute brindille de solitude m’inspire pitié, reflexe d’orphelin de père. Mais mes protégés ont tellement mal joué qu’énervé je me suis dit, Oui, vous ne valez rien à part chercher des poux dans la tonsure de Kadhafi, même l’équipe togolaise sans Adébayor peut vous atomiser, c’est vous dire ! N’oubliez surtout pas que vous devez payer l’addition de l’intervention de l’OTAN à la France, elle vous la réclame d’ailleurs déjà. Va falloir que vous y pensiez au lieu de rester là à jouer comme des crabes nageant dans une sauce gombo préparée à Aného.
J’avais cru qu’à la fin du match, les supporters équato-guinéens, surexcités et fous de joie, allaient se jeter sur leur président, le lancer en l’air dans un mouvement d’ensemble, en chantant. C’aurait été un très beau spectacle que de voir ce vieillard flottant dans les airs et repris ensuite par des milliers de mains. C’est cela le football, la folie totale. La scène m’aurait bien rappelé une histoire.
1990. Mon village jouait la finale d’une coupe régionale contre un autre village de la région. Une de ces compétitions où la valeur du trophée s’élève à peine à vingt-cinq mille francs CFA, où la seule motivation des joueurs est l’honneur de leur village, et en pièce jointe quelques câlins nocturnes avec de jeunes minettes villageoises aux visages et tibias luisant de yokoumi, cette pommade bas de gamme à base de beurre de karité, ces miss dont les fissures des talons vous réduisent votre drap en lambeaux après chaque ébat amoureux.
Mon village disputait, donc, cette mémorable finale, devant des invités d’honneur de la région comme l’ami du cousin du préfet de la région, la sœur de la nièce du maire de la commune, le chauffeur du voisin du député de la région, installés dans la loge officielle, des bancs en bambou sous une paillotte de rameaux. Il sonnait dix-huit heures, et le match débuté à quatorze heures tirait à sa fin. Parce que les matches dans ces villages-là duraient, comme tout match réglementaire, une heure trente mais avec plus de trois heures d’arrêts de jeu. Comme il n’y avait pas de ballon de rechange, à chaque fois qu’un joueur zélé et maladroit envoyait le ballon au dessus de la clôture de branchages, il fallait que tout le stade, supporters, joueurs, entraineurs et invités d’honneurs se ruent dans les buissons pour le chercher. Une recherche durait entre une demi-heure et une heure. Un match débuté à quatorze heures pouvait donc s’achever à dix-neuf heures ou plus.
Ce fut à quelques minutes de la fin du match, quand l’arbitre s’apprêtait à envoyer les deux équipes à égalité aux tirs au but que mon village marqua le premier but de la partie. Celui de la victoire. Pressé par l’obscurité qui s’abattait sur le stade et la fatigue, l’arbitre siffla la fin de la partie. Mon village remportait le prestigieux trophée d’une valeur de douze mille cinq cents francs CFA et une bouteille de jus d’orange made in Nigeria. La gloire !
Tous les supporters de mon village, ivres de joie, se dirigèrent vers le chef du village en chantant victoire. Ils se saisirent de lui et commencèrent à le lancer en l’air et le rattrapant, en chantant à tue-tête. Le chef hurlait «ça chauffe, ça chauffe » et le public répondait « ça chauffe vraiment, nous avons remporté la coupe ». Il criait « ça gonfle, ça gonfle » et le public répondait « le ballon gonfle et nous allons bien le jouer ». « Ça va s’éclater, ça va s’éclater », et le public « le ballon va s’éclater parce que nous allons bien le jouer aujourd’hui »…
Tout le public prit goût et à chaque fois que le chef entonnait un refrain, ils le reprenaient en chœur, jusqu’à ce que ce dernier, qui commençait à devenir raide, n’émette plus un cri. Il s’était évanoui. Affolés, les supporters l’isolèrent dans une chambre, le déshabillèrent pour le réanimer. L’entrecuisse du chef, gonflé comme un ballon en baudruche, était prêt à s’éclater. Le vieux chef souffrait d’une hernie. Qui chauffe qui chauffe. Qui gonfle qui gonfle. Qui va s’éclater qui va s’éclater.

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Commentaires

David Kpelly
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It's on!

Arnold Mponda
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Ton blog est magnifique! Quel, style, mais quel humour! Je pense que tu seras l'Alain Mabanckou que nos lirons dans dix ans, ou même avant. Vraiment, félicitations.

David Kpelly
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Hein, je meurs là! Merci, mon cher Arnold, pour les compliments, et tout un plaisir que tu sois dans mon monde. Bienvenue donc.
Amitiés

Sétsoafi
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Hahaha! Bien inspiré, frangin! Tellement, j'ai vraiment aimé, des mots justes dans des contextes justes, ça guérit hein ton blog. Du courage et plus d'inspiration encore!

David Kpelly
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Merci, grand-frère! Je pense que tu te retrouves dans la description du terrain! C'est le terrain de l'école fioha soukoupé! Tu vois déjà non? Quand Apéyéyémé jouait contre Diosé, et qu'on vous battait. J'étais en défense, tu te rappelles?
Un mot à toute la famille.