Malheurs d’une démocratie cinglée

26 mars 2012

Malheurs d’une démocratie cinglée

Le pire des Etats, c’est l’Etat populaire, Pierre Corneille

Le pompeux nom de la junte analphabète ayant confisqué le pouvoir au Mali, et qui prétend redresser la démocratie, doit nous pousser, peuples africains, à méditer sur notre marche démocratique devenue désormais le premier crédo de notre développement. Il va falloir repenser comment nous pratiquons les bouts de démocratie que nous avons pu arracher de nos pouvoirs plus ou moins despotiques depuis les années 90. Car si la démocratie est avant tout un gouvernement basé sur la souveraineté du peuple, elle est aussi, et surtout, le respect de ce peuple vis-à-vis de l’autorité à qui il a confié le pouvoir. En aucun cas, dans aucune démocratie, le peuple ne peut se confondre à l’autorité. Henry Ford, dans son ouvrage Ma Vie et mon œuvre, le stipule si bien, La démocratie que je repousse, c’est celle qui prétend remettre au nombre l’autorité qui appartient au mérite.

Un observateur de la vie sociopolitique malienne comprendrait facilement que le peuple malien, du moins sa majorité, a une vision un peu bizarre de la démocratie, la même vision que nous avions eue de cette notion si complexe, si ambiguë, les premiers jours de son apparition sous nos soleils, et qui fait croire que la démocratie donne au peuple le droit de faire tout ce qu’il a envie de faire, quitte à défier, à narguer, à humilier l’autorité à qui il a confié le pouvoir, à se rebeller contre les institutions légalement constituées, à outrepasser la constitution.

Brandissant comme un trophée séculaire leur exploit de 1991 qui leur a permis de mettre fin au régime dictatorial de Moussa Traoré, les Maliens sont prêts, à chaque incompréhension, chaque erreur ou tergiversation de l’autorité, à se jeter dans les rues, cassant des édifices publics, pillant des boutiques et magasins, brûlant des voitures de l’Etat, menaçant le gouvernement, le chef d’Etat surtout, de coup d’Etat. Au nom de la démocratie.

On se rebelle contre l’autorité, au nom de la démocratie, à n’importe quelle occasion. Un vieil imam les dents rougies de noix de cola, goinfré de viagra, peut ordonner à ses fidèles de se jeter dans la rue et menacer le président de la République pour protester contre un code de la famille qui relève l’âge légal de mariage de la jeune fille à 18 ans. Au nom de la démocratie malienne chèrement acquise, il faut laisser de vieux analphabètes libidineux pédophiles aller arracher des nourrissons aux seins de leur mère, les entasser dans un harem de vieilles femmes, les transformer en fabricatrices d’enfants.

Au nom de la démocratie malienne, les plus gros cancres de l’université de Bamako, réunis au sein de la foutue Association des Elèves et Etudiants du Mali qui s’apparente plus à un groupe de gangsters qu’à une association d’étudiants, peuvent, par couteaux, machettes et autres armes interposés, séquestrer des ministres, rentrer dans tous les établissements du Mali et y faire sortir tous les élèves et étudiants, casser des feux tricolores, incendier des stations d’essence, violer de jeunes filles – vive la libido démocrate, juste pour protester contre une incompréhension entre un prof et un étudiant dans un amphi, ou venger un étudiant indiscipliné remis à l’ordre par un policier. Au nom de la démocratie, aucun élève ou étudiant malien n’a le droit de ne pas faire grève. Aucun agent des forces de l’ordre, aucun professeur n’a la droit de discipliner un étudiant.

Au nom de la démocratie malienne, des supporters de foot, rien que des supporters de foot, peuvent aller semer la zizanie un peu partout dans le pays, suite à une défaite de l’équipe malienne, menaçant de destituer le chef de l’Etat s’il ne licencie pas le ministre des Sports et le fait emprisonner avec sa femme et ses enfants pour détournement de fonds.

Quel exploit que de rencontrer dans un pays noir africain une autorité aussi fragilisée que celle du Mali ! Le président de la République est réduit à un silence éternel devant les grognements de la foule, les institutions regardent impuissantes la populace les berner, même les policiers assistent, bénins, aux dangereuses démonstrations d’impolitesse, d’indiscipline et de délinquance de ces jeunes motocyclistes qui violent tous les feux tricolores de la capitale, ces taximen qui garent un peu partout, ces conducteurs de bus qui roulent à n’importe quelle vitesse… L’autorité s’arrange toujours à ne pas se retrouver face à la populace. Au nom de la démocratie.

Et c’est au nom de cette même démocratie, cette démocratie ayant permis aux femmes des militaires à la fin janvier de casser tout sur leur passage, brûler des stations d’essence appartenant à des particuliers, piller des boutiques, casser des ministères et des postes de police, marcher sur la palais présidentiel et injurier le président de la République de tous les noms d’animaux en direct sur la chaîne nationale malienne, c’est cette démocratie où tout le monde peut transformer l’autorité en paillasson, qui a permis à des militaires sans grades de quitter leur caserne avec l’idée de manifester leur colère dans la capitale, décider ensuite de prendre la télévision nationale en otage, enfin se résoudre en cours de route à faire un coup d’Etat.

S’il y a un pays en Afrique noire où la démocratie avait tout récemment besoin d’être redressée, c’était bien le Sénégal, où elle était effectivement menacée avec la démence d’Abdoulaye Wade. Et les Sénégalais, éduqués, instruits, logiques, l’ont si bien fait par les urnes et non par un coup d’Etat, car ils savent très bien que l’autorité, dans une démocratie, ne se vilipende pas. Et quand les Maliens, au nom de la démocratie, ont ridiculisé et neutralisé leur autorité, c’est bien normal qu’ils se retrouvent avec une junte analphabète au pouvoir, à un mois des élections. Rien de plus logique qu’une soldatesque analphabète qui redresse une démocratie analphabète tordue.

 

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Commentaires

David Kpelly
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It's on!

Alimou
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Je valide doublement. Un enchaînement logique de la descente aux enfers, au nom de la démocratie, du pouvoir malien. Ce qui me fait encore plus mal, c'est le fait que les agissements de cette soldatesque analphabète risquent de m'empêcher d'aller voir mon beauf à Bamacity. Au poteau, les nigots. La colère d'un beau-frère!

David Kpelly
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Hé hé hé, beauf, ces militaires sont trop isolés pour que tu les isoles à ton tour. Non, viens, mon grand, on s'aime bien, on meurt ensemble. Tu vas quand même pas laisser ton bien-aimé beauf seul aux bidasses hein!
Amitiés

Patou
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So rude but so true

David Kpelly
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Thanks, dear Patou

Mirak
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Très exact. C'est le seul Etat ouest africain qui n'a pas vraiment d'autorité. Chacun fait ce qu'il veut et y a rien. Il faut voir des quartiers comme banconi qu'on dévait détruire (comme le burkina l'a fait avec le projet ZACA)et bien tracer les voies et les ouvrages d'assainissement, l'Etat négocie pour faire passer ses voies bitumées avec des courbes à chaque 50m causant des accidents.L'ecole, les étudiants, les grêves, les casses des feux, du bordel!! j'ai pas de mots, c'est vraiment un non état!!!!

David Kpelly
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Amitiés, Mirak