Seydou Badian applaudit l’orage !

30 mars 2012

Seydou Badian applaudit l’orage !

Le pays de Modibo Keita est au bord de l’implosion. La rébellion du Nord évolue avec frénésie, alors que le pays est rejeté par la communauté internationale. La soldatesque putschiste, ayant destitué Amadou Toumani Touré, le président démocratiquement élu, depuis le 22 mars, plus que jamais isolée, commence à paniquer, quémandant des messages de soutien sur tous les ondes. C’est le moment idéal pour expédier ce putsch mort-né six pieds sous terre. Le moment idéal pour tous les Maliens ayant une voix forte pour crier et mettre fin à ce chaos. Hélas.

Interviewé sur la chaîne nationale de télévision malienne, l’homme politique et écrivain fétiche malien, l’un des plus grands classiques de la littérature noire africaine, auteur du très célèbre Sous l’Orage, ce classique lu dans presque toutes écoles africaines francophones, apporte, à demi-mots, son soutien à la junte militaire. Nous sommes un pays en guerre… Il faut une transition courte des militaires avec l’appui de la société civile. Demander aux militaires de retourner immédiatement dans la caserne est irréaliste. Où était la Cedeao quand les rebelles attaquaient les villes du Nord ? Nous sommes des hommes, nous devons tenir, nous avons connu pire que ça lors de l’éclatement de la fédération… Tenons.

Cette déclaration presqu’incroyable de l’un des rares classiques encore vivants de notre littérature, ancien ministre du Mali sous Modibo Keita, fait immédiatement penser à ces propos étonnants et presque cocasses d’André Malraux dans Les Noyers de l’Altenburg, Les intellectuels sont comme les femmes, les militaires les font rêver. Ces militaires putschistes sans grades feraient-ils rêver notre doyen ?

Non ! Parce que dans sa vie d’homme politique, Seydou Badian n’a pas connu une bonne expérience avec les militaires. Emprisonné suite au coup d’Etat de Moussa Traoré en 1968, il a gardé une très mauvaise expérience de ce régime. Il en parle d’ailleurs dans ses interviews, accusant les militaires d’avoir été à la base de l’échec du Mali après les indépendances, en assassinant le nationaliste Modibo Keita. Pour montrer le mauvais impact du régime militaire de Moussa Traoré sur le Mali, Seydou Badian a l’habitude d’évoquer toutes les réalisations du régime de Modibo Keita que les militaires ont durant leur règne sanguinaire vilipendées. Qu’est-ce qui peut donc pousser cet intellectuel, déjà victime de la barbarie sans nom de ces militaires qui se retrouvent au pouvoir, à soutenir, fût-ce à mots couverts, le putsch le plus ridicule et le plus injustifiable de notre époque ?

Tout change, et nous devons vivre avec notre temps, s’insurge un personnage du roman Sous l’Orage. Oui, doyen, tout change, et votre pays, le Mali, doit vivre avec son temps. Si vous n’avez pas pu digérer les militaires en votre temps éloigné, ce n’est pas aujourd’hui, où au prix de leur vie des jeunes épris de liberté et de démocratie se jettent dans les rues pour réclamer leur fierté, dans tous les pays hypothéqués par des potentats hostiles à l’ordre et au développement, que vous devez cautionner un coup d’Etat. C’est une très grande honte pour votre pays, que vous aimez tant, et dont vous parlez avec tant de passion chaque fois qu’on vous en donne l’occasion, que des militaires sortent de leur caserne un soir et viennent subitement briser une démocratie de deux décennies. Une honte ineffable pour le Mali qu’un soldat perdu dans l’anonymat se réveille un matin avec un treillis et se retrouve le soir avec des habits de président de la République dans une république démocratique.

Vous demandez, mentor, de laisser les militaires pour un court temps au pouvoir avant de les contraindre à retourner dans leur caserne après des élections, que les chasser immédiatement à la caserne est irréaliste. Vous connaissez pourtant si bien nos militaires, et les récents exemples de coup d’Etat dans notre sous-région doivent vous montrer qu’ils ne laissent pas facilement le pouvoir une fois qu’ils y goûtent. La Mauritanie et la Guinée sont pourtant si proches du Mali pour vous montrer qu’un militaire qui s’empare du pouvoir ne le cède pas si facilement. En quoi est-il irréaliste de demander à ces messieurs sans objectifs de retourner dans leur caserne ? N’est-ce pas de la caserne qu’ils viennent ?

Que gagnera le Mali avec ces hommes qui prétendent avoir confisqué le pouvoir pour lutter contre les rebelles du Nord, et qui dès leurs premiers communiqués commencent à se plaindre de leur misérable condition, leurs femmes qui ne travaillent pas et qui sont des ménagères, leurs enfants qui n’étudient pas… ? Quelle victoire ces militaires ont-ils déjà marquée sur les rebelles depuis leur putsch il y a plus d’une semaine ? La ville de Kidal vient d’être prise par les rebelles, et on nous affirme à la télévision que l’armée malienne a délibérément arrêté les combats pour protéger les civils de la région. Ces putschistes ont destitué ATT parce qu’il ne matait pas les rebelles, et on les voit se désister devant ces mêmes rebelles, invoquant la protection des civils.

Vous connaissez si bien la géopolitique, doyen. Vous connaissez si bien votre pays. Vous savez, doyen, que votre pays n’a pas les moyens de lutter seul contre la rébellion qui s’approche au jour le jour de son but.  Que votre pays est l’un des plus pauvres de la planète, l’un des plus dépendants d’Afrique. Et avec cette menace d’embargo que brandit la Cedeao que les putschistes et leurs militants ont refusé de recevoir, votre pays sera très rapidement asphyxié. Nous sommes des hommes, dites-vous, tenons. Oui, mais nous ne sommes des hommes, et nous ne pouvons tenir qu’avec la collaboration de nos pays voisins. Vous savez, doyen, que l’acte que les putschistes et leurs adulateurs ont posé en refusant de recevoir la commission de la Cedeao n’est pas un geste patriotique mais un geste d’analphabète, une démonstration d’impolitesse, d’ignorance et d’insolence. Même si le Mali n’a pas de leçon de démocratie à recevoir de la Cedeao comme nous le crient certains intellectuels qui se sont pourtant autoproclamés panafricanistes, c’est une humiliation pour le Mali de se faire confisquer sa démocratie par des militaires analphabètes. A quoi servent ces institutions internationales sous-régionales que nous avons formées pour être plus forts, si nous ne les respectons pas ?

Un jour, toi aussi tu auras soif, mon fils, prophétise un des personnages de votre roman fétiche à son fils. Oui, doyen, nous avons soif. Soif de la démocratie. Soif de régimes solides qui ne chancellent pas. Soif de pays où l’armée sait garder sa place. Soif de pays qui ne nous font pas honte. C’est pourquoi nous dénonçons ce coup d’Etat. Que nous supportons la Cedeao que vous désavouez. Que nous crions aux militaires de retourner dans leur caserne. Immédiatement. Que nous désapprouvons cet orage que vous applaudissez à une main, cher doyen.

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Commentaires

David Kpelly
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It's on!

Kodzo Adzewoda VONDOLY
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Je trouve ça très bon et instructif, le texte. Puisse la junte tirer une leçon de son propre acte afin d'éviter le chaos pour le Mali. Tout en étant contre ce coup d'Etat, je reste convaincu que les uns et les autres parviendront à une solution idoine. Qu'est-ce qui faire croire à la sincérité de toutes ces organisations régionales et internationales qui sanctionnent les nouvelles autorités auproclammées du Mali si tant est que dans de pareilles situations, c'est le laguage diplomatique qui est adopté pour frustrer les populations? On verra le reste...

David Kpelly
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L'essentiel pour nous, mon cher Vondoly, c'est que cette junte opportuniste et sans objectifs à la caserne, et elle n'est plus loin de le faire.
Amitiés

Marine
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Où était elle cette bande de zozos lorsque des rebelles illuminés occupaient une bonne partie du pays . Leur place est sur le front et non dans les palais nationnaux de Bamako .

Arrêtez de nous distraire avec ces arguties nationalistes du genre la faute aux organisations internationales , aux imperialistes et disons seulement à ces poltrons qui au premier coup de feu des rebelles ont deserté le champ de bataille de reourner faire le job auquel le peuple malien leur a confié avec ses maigres ressources .

David Kpelly
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Bien dit, ma chère Marine! C'est bizarre que des militaires désertent un champ de guerre pour venir régner, et que des intellectuels les supportent. Att avait vraiment trop d'ennemis farouches. Chacun essaie de lui régler son compte.Hum.
Amitiés

Alioun Diarra
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Ce monsieur est vieux, il perd peut-être la raison, c'est triste qu'un intellectuel supporte un coup d'Etat, quel que soit la cause.

David Kpelly
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Non, cher Diarra, il perd pas la tête, il sait ce qu'il fait, et ça fait peur. Wait and see.

Tété
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Très top, bien dit. Félicitations.

David Kpelly
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Amitiés, cher TT. TT, ca sonne presque comme ATT. Attention hein!