Le capitaine Sanogo au bar masqué
Mon capitaine, mon cher bien-aimé capitaine, mon amour doré de capitaine, c’est avec une grande consternation que ce lundi 21 mai 2012, j’ai appris sur les ondes de la Radio France internationale que je capte avec un téléphone portable que m’a prêté Djénéba, la bonne sénégalaise de ma voisine, Djénéba qui ressemble plus à une Béninoise ou une Togolaise qu’à une Sénégalaise, parce qu’elle est trop courte et potelée, euh, oui, c’est, donc, avec consternation, que je disais, que j’ai appris ce lundi matin que vous étiez devenu un ancien chef d’Etat avec tous les privilèges qui se rattachent à ce prestigieux poste.
Hein, que je m’étais écrié, le p’tit il a percé comme ça là ! Donc le Sanogo que je connais, le capitaine Sanogo qui le 22 mars passé lisait un communiqué avec une voix aussi cassée que celle de Kokou Gavo, ce crieur public de mon village réputé pour sa voix qui ne portait pas sur deux concessions, mais qui occupait le poste de crieur public parce qu’il avait donné sa fille aînée en mariage au chef du village sans dot, le capitaine Sanogo au treillis froissé et aux yeux aussi rouges que ceux d’un féticheur cocu est donc devenu un ancien chef d’Etat, avec de multiples privilèges ! Comme Alpha Omar Konaré, comme Georges Bush, comme Nicolas Sarkozy, comme Paul Biya, euh, non, il est toujours en fonction lui, comme… comme Nelson Mandela ! Hein, le capitaine Sanogo est donc devenu Mandela !
J’avoue, mon capitaine, que j’ai eu la chair de poule, ai souri comme une serveuse de bar à qui un conducteur de taxi saoul fait une déclaration d’amour, et me suis dit, Oui, David, tu vas arriver toi aussi, un jour tu vas aussi percer, écoute, si Sanogo aussi a pu devenir une personne importante, un ancien chef d’Etat de surcroît, eh bien, tu deviendras toi aussi un très grand écrivain comme tu le rêves, tu deviendras aussi grand que Gide, que Hugo, que Camus, que Le Clezio, que Kourouma… Sanogo qui devient un ancien chef d’Etat, c’est comme un de ces petits talibés rachitiques qui mendient dans les rues de Bamako qui devient ambassadeur à l’Unesco, c’est comme Djénéba la bonne sénégalaise de ma voisine qui ressemble à une Béninoise ou une Togolaise qui devient Miss Monde, c’est comme Faure Gnassingbé qui fait vœu de chasteté et devient prêtre. Un miracle, oui !
Donc, mon capitaine, vous êtes devenu un ancien chef d’Etat, sans jamais avoir été un chef d’Etat ! Je parie que le bois qui a servi à fabriquer votre berceau, si vous en aviez eu un, doit pousser au paradis. Vous êtes une incarnation de la baraka. Et la rumeur murmure déjà votre salaire mensuel brut d’ancien chef d’Etat, sans les indemnités et autres traitements. Vous percevrez à la fin de chaque mois, et à vie, six millions de francs Cfa, soit 9160 euros ! Plus un logement, des gardes, une sécurité rapprochée, des voyages à l’extérieur pour donner des conférences, comme tout ancien chef d’Etat qui se respecte. Pouah ! Et comme vous n’avez pas démissionné de l’armée, vous avez toujours votre salaire de sous-officier, 41 255 Fcfa. Vous aurez donc, au total, à la fin de chaque mois, 6 041 255 Fcfa !
Révolté, j’ai sur-le-champ passé un coup de fil à un cousin policier brandissant toujours comme un trophée ses dix-huit ans de fonction dans la police nationale togolaise et qui est, depuis son entrée dans la police, chargé de prendre la taille des Togolais pour l’établissement des cartes d’identité. Hé toi, espèce de feignasse, me dis pas que tu vas passer toute ta vie dans ce commissariat de mes couilles à prendre la taille de ces nains de Togolais, hein, est-ce qu’on a d’ailleurs besoin de prendre la taille des Togolais, hein, faut leur mettre tous un mètre trente-trois centimètres, point barre. Ecoute, couz, j’ai un deal pour toi, on va investir dans un coup d’Etat, tu me comprends hein, je t’envoie un peu d’argent tu embobines quelques militaires et vous foutez Faure Gnassingbé dehors, tu comprends, hein, vous n’aurez même pas besoin de le foutre dehors, va falloir juste l’empêcher de rentrer à la Présidence après une de ses longues randonnées nocturnes chez ses innombrables pouffiasses et vous prenez le pouvoir. Tu vois, hein, pour les communiqués je m’en charge. Et deux mois après tu es un ancien chef d’Etat avec plus de six millions de francs par mois. On a besoin de ça dans la famille, parce que dans notre foutue famille-là on n’a que des docteurs, des ingénieurs, des banquiers, pire des enseignants et des agronomes, dis-moi, on va faire quoi avec ces pauvres loosers, hein, nous avons besoin d’un ancien chef d’Etat dans la famille, allez, va me le faire, ce petit coup d’Etat.
Mon capitaine, vous êtes, donc, devenu une vraie personne aussi facilement ! C’est pourquoi je vous invite. Si, je vous invite, mon pote. Retrouvons-nous, vous et moi. Nous deux. Je suis, depuis deux mois, un homme déprimé, depuis que ma femme Ruth m’a quitté. Elle m’accusait d’avoir des relations avec Djénéba la bonne sénégalaise de ma voisine qui ressemble à une Béninoise ou une Togolaise, je lui ai dit, Ecoute, ma michou, n’imagine pas ça, je ne peux jamais tirer sur cette petite fille, elle a juste seize ans, je ne suis pas un pédophile, je ne suis pas un prêtre, je ne peux pas faire ça… Mais elle a quitté. Et je suis déprimé. Et fréquente les bars. Je vous invite, donc, mon capitaine, dans un bar pas loin du camp de Djicoroni Para de Bamako. Vous inquiétez pas, les bérets rouges d’ATT ne vous feront rien, vous les avez tous chassés du pays. Retrouvons-nous donc dans ce bar et levons les coudes. Parce qu’il m’a été conté que vous aimez les lever, les coudes. On le sent sur vous. Voix cassée, yeux rouges, débraillé. Levons les coudes à la santé de toute cette population que vous avez pu berner. A la santé de votre roublardise. Je paie, en attendant que vous ayez votre premier virement de 6 041 255 Fcfa ! Buvons, mon capitaine, vivons.
Vivons, donc, mon capitaine. Il y a très longtemps que vous avez rêvé cette vie d’opulence. La vie de la caserne est trop cruelle. Et trop ingrate. Vous l’avez désormais, la vraie vie. Vivons. Vous vous êtes, dans un de vos premiers communiqués, plaint que votre femme est une ménagère. Quittez-la, cette vulgaire ménagère. Quittez vos enfants dont vous vous êtes plaint qu’ils ne vont pas à l’ école, ils joueront au foot, ou feront des coups d’Etat pour s’enrichir. Retrouvez-moi, mon capitaine, et vivons. Payons des filles, louons des femmes mariées, parce que ça se loue ici, les femmes mariées, il suffit juste de glisser quelques billets au mari sans sous et il vous passe le moteur pour quelques jours. Vivons. Pétassons. Dévergondons. Débauchons. Prenons des chambres de passe comme vous avez l’habitude de le faire ici et perdons-nous dans toutes les profondeurs du meilleur des mondes possibles. Alignons les teufs après les teufs. Les meufs après les meufs. Teufons, meufons à mort. 6 041 255 Fcfa par mois c’est grand ! Pétons la chaleur dans les bars, ces bars masqués et cachés où les gens se saoulent ici sans se faire voir par Allah, dansons sur des anciennes gloires comme Au bal, au bal masqué, Ca fait rire les oiseaux, ou Zaminamina yé yé, waka waka yé yé … ou encore de nouveaux tubes comme, Le saoulard s’en fout, l’hymne national des Burkinabès.
Foutons-nous du monde, mon capitaine, foutons-nous du Nord Mali pour lequel vous avez prétendu avoir pris le pouvoir. Oublions le Nord. Quand on a 6 041 255 Fcfa on se fout d’un petit étourdi qui se fait égorger par un islamiste barbu ou une jeune dévergondée qui se fait violer par des terroristes au Nord. Loin de nous le Nord, mon capitaine, vivons.
J’ai appris que des manifestants survoltés s’étaient le 21 mai passé rués sur votre camp de Kati, cherchant votre tête, vous accusant de les avoir trahis. Foutaises ! C’est maintenant qu’ils se sont réveillés hein ! You malian people are too stupid, fuck you all, men, que vous leur aviez lancé de votre cachette, presque nostalgique du pauvre prof d’anglais que vous avez été.
Commentaires