Le syndrome-ci du Togolais indigne

9 juin 2012

Le syndrome-ci du Togolais indigne

 

Maman Togo, Number 1!

Il y a deux semaines, pour une complication survenue à Lomé lors du renouvellement de mon passeport, je m’étais tellement énervé contre le Togo que j’avais publiquement, sur ma page Facebook et dans une interview en ligne, déclaré que j’allais changer de nationalité. Le problème a été résolu par un mentor, écrivain togolais. Il y a de ces moments où la lourdeur de l’administration togolaise, les horreurs et matoiseries de la dictature, les cocasseries de notre opposition, les crimes et violences de notre armée, les humiliations de nos policiers et gendarmes horripilent, effarouchent tellement que l’amour pour le Togo en prend un coup. On se sent du coup si malheureux d’être togolais, parce qu’on n’a pas de bons dirigeants. Mais il y a aussi de ces moments où certains actes isolés, certaines habitudes, certains travers, certains vices, certaines perversions de nous autres petites gens, nous qui semblons ne rien représenter dans la marche de notre pays,  poussent à la révolte, tout comme les agissements de nos hommes politiques et de nos corps habillés.

J’ai assisté, avec un groupe de quatre compatriotes travaillant comme moi à Bamako, le soir du 08 juin 2012, devant un restaurant togolais détenu par une Togolaise, à l’une de ces scènes qui vous révoltent contre votre identité. Nous étions partis discuter de la semaine autour d’un plat du pays, quand nous butâmes, juste à l’entrée du restaurant, sur une bagarre. Deux femmes se battaient. Et s’injuriaient en mina, la principale langue parlée à Lomé. Des Togolaises, toutes les deux. Une nièce et sa tante qui est la détentrice du restaurant. La nièce d’une vingtaine d’années avait une partie de sa perruque enlevée, et une grosse bosse sur le front, la tante, plus battue, tout le visage griffé, la jupe complètement lacérée qui laissait entrevoir sous la lumière son slip, les seins au vent. L’objet de la bagarre, la tante d’une cinquante d’années, restauratrice et pute à ses heures perdues, qui tentait d’arracher un gros client, un Blanc, à sa nièce pute à temps plein. La tante avait fait venir du Togo la nièce, il y a six ans à Bamako, pour l’aider dans son restaurant. La nièce, avide d’argent, s’était reconvertie en pute, une pute à succès qu’avait fini par convoiter sa tante qui décida aussi de se lancer dans le job si rémunérateur de sa nièce. Concurrence déloyale, la tante novice volait des clients à la nièce pro, jusqu’à vouloir toucher au Saint des Saints, le Blanc en question ! Et comme un Blanc est un Blanc, un trésor qui ne se ramasse pas n’importe comment par n’importe qui – ça peut payer en euros, ça peut amener en Occident, un Blanc, la nièce avait décidé de défendre, coups, bec et ongles son butin. Un groupe d’une centaine de personnes s’était formé autour des bagarreuses, certains filmant la scène avec leurs téléphones portables. Tapis rouge à la bêtise made in Togo !

Les Maliens, suivant un principe religieux, comme ils le justifient eux-mêmes, ont hiérarchisé les péchés, comme ils stipulent qu’il y a plusieurs enfers, et que les péchés les plus graves conduisent à l’enfer le plus enfer. Et le plus grave péché, dans cette Table dela Loimaliano-malienne est le péché de la chair. Le péché de la chair commis au vu et au su de tous. Un vieil imam aux tibias écaillés ou un vieux commerçant polygame goinfré de viagra qui amènent de petites filles, au plus profond de la nuit, faire le tour de toutes les chambres de passage et d’hôtel ne choque pas à Bamako, comme ils ne le font pas à la lumière. Mais un jeune couple amoureux qui ose marcher main dans la main dans la rue déclenche des réactions hostiles d’une violence inouïe, une jeune fille légèrement habillée durant la journée est foudroyée le long de son trajet par des yeux menaçants, alors que la nuit c’est la débandade des décolletés, de tous les minis les plus minis, de toutes les extravagances. Forniquez, débauchez, dévergondez, prostituez-vous, mais pas à la lumière, la loi de Bamako.

Et pourtant, c’est dans le péché de la chair commis en plein jour, à la lumière, devant l’opinion publique, que beaucoup de Togolaises et Togolais se sont désormais spécialisés  à Bamako, ternissant au jour le jour la belle renommée que la nationalité togolaise a toujours eu au Mali. Voir nos filles, les Togolaises, habillées à moitié, la plus grande partie de leurs corps nue, donne déjà des frissons, mais ce qui fait passer par la tête des idées de meurtre c’est ces manières lubriques qu’elles ont de marcher dans les rues, baragouinant le mina, battant des mains ou riant bruyamment pour attirer l’attention. Des meilleures cuisinières, domestiques, serveuses, commerçantes, étudiantes… les Togolaises deviennent, jour après jour, les plus grosses putes des boîtes de nuit et autres coins de débauche de Bamako.

Quant aux mâles ! Ce sont les tontons niqueurs de Bamako. Les plus graves affaires qui ont conduit, ces derniers temps, des jeunes Togolais devant des juridictions maliennes ont été des affaires de femme. En 2009, l’histoire de ce Togolais ayant rendu enceinte la fille d’une femme avec qui il sortait, la fille de sa maîtresse donc, avait défrayé la chronique dans l’un des quartiers les plus populaires de Bamako, un autre avait distribué des grossesses un peu partout dans la maison où il avait loué avant de s’enfuir, un autre encore avait rendu enceinte la femme de son employeur, un quatrième avait essayé de faire avorter une de ses élèves de seize ans, une affaire qui avait failli tourner au drame, un cinquième avait arraché à un vieux marabout sa jeune femme, ce dernier ayant juré d’éliminer toute sa famille rien qu’avec des sourates, inch Allah !  Il fut un moment, entre 2011 et 2012, des Togolais de certains quartiers de Bamako avaient subi des attaques isolées de braqueurs qui tiraient sur eux, les traquaient jusque chez eux pour leur arracher leurs motos après les avoir blessés. L’affaire parut si étrange, dans la mesure où c’étaient seulement les Togolais qui étaient victimes de ces actes de vol et de violence. On comprit plus tard que c’étaient des règlements de comptes d’un groupe de Maliens vengeant les leurs opposés à des Togolais pour des affaires de femme.

Et pourtant nous avons toujours été respectés ici. Les plus grands immeubles de Bamako ont été construits par des Togolais, les cuisiniers dans les plus grands restaurants et hôtels d’ici sont des Togolais, on y retrouve des écoles, surtout primaires et secondaires, où tous les enseignants sont des Togolais exigés par les promoteurs, les banques, bureaux d’études, compagnies d’assurance et autres entreprises bamakoises regorgent de Togolais appréciés pour leur sérieux, leur honnêteté et leur ponctualité. J’ai accepté de vous donner ma fille parce que vous êtes togolais, vous n’êtes pas comme les autres étrangers, disait avec un grand sérieux un père de famille malien dont un compatriote ingénieur épousait la fille en 2010.

Je ne sais pas si vraiment comme l’affirme cette thèse paraissant si récupératrice c’est la dictature, la longue dictature d’Eyadema qui à force de nous terroriser à fait de nous des hommes plus ou moins disciplinés, ordonnés et ayant une aversion poussée du faux, mais je sais que les plus forts moments de fierté que me procure ma nationalité sont ceux-là où l’on sourit ici, rassuré, quand je dis que je suis togolais. Les sourires de mes collègues àla Banquede l’Habitat du Mali quand je me présentais le premier jour de mon stage en avril 2008, les sourires de mes directeurs et collègues dans les écoles, les sourires de mes étudiants convaincus qu’un prof togolais est toujours un label de qualité, les sourires dans les marchés, dans les rues… Nous sommes des gens bien, Togolais, et nous pouvons le rester !

Deux femmes, nièce et tante, se battant en pleine rue, presque nues pour un même homme, devant des passants, c’est de la bêtise. De la bêtise qui est générale. Qui est universelle. Mais aux yeux de ces passants, dans cette Afrique si morcelée, si différente, si compliquée, c’est de la bêtise togolaise. Et de la bêtise, du moins certaines bêtises, des bêtises d’une si grande bassesse, nous n’en avons pas besoin, ni à l’intérieur ni à l’extérieur de notre pays. Défendons et gardons au moins le respect et l’honneur que nous donne encore ce si petit pays. Nous qui semblons avoir tout perdu avec la dictature, notre cauchemar.

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Commentaires

David Kpelly
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It's on!

Magkoire Ackey
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C'est avec interrêt que j'ai parcouru tes plus grands soucis et peines. Il est vrai qu'aujourd'hui le Togo traverse une crise qui nous conduit tous, ou du moins, à la perte de notre identité. Le ridicule ne tue plus, me dira t- on. A l'image de nos dirigeants qui montrent chaque jour des defauts et des violations des droits les plus élémentaires, le Togolais à l'étranger ou à la maison se comporte comme dans la cour du roi Péto. C'est vraiment dommage et moi mon inquiétude est que nous perdions pour toujours cette image que nos parents sont arrivés à se forger autour de notre beau et petit pays pendant des decennies. Tenez, la prostitution est devenu un luxe, une qualité qu'on brandit à chaque premier venu et à qui veut l'entendre. Le pire de tout ça est l'abondance des mineurs sur le marché du sexe. Le gain facile est devenu la définition de tous, surtout ges jeunes. Nous sommes d'accord qu'il n 'y pas d'emplois dans notre pays mais pourquoi moi je ne me livre pas à ces sales besogne pour gagner ma vie?
Je suis surtout étonné qu'à ce jour les étrangers continuent de nourir autant de respect à notre nationalité. Je ne sais pas si je dois en rire ou pleurer. Je ne sais pas si c'est à juste titre aujourd'hui ou c'est une usurpation. Franchement, notre beau pays et nationalité se portent mal. Tous les jours j 'y pense et sans mentir, moi je ne trouve pas la porte de sortie. Mais toutefois, je reste réaliste et je me confies à la providence. Chaque jour j'essaie de mener ma petite vie en toute honnêteté. Mais je me demande jusqu'à quand allons nous tenir ou du moins rester honnête et miséreux? Qui vivra verra!!!

David Kpelly
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Tout est dit, cher Magloire! Et je pense que nous jeunes Togolais surtout devons maintenant lutter pour garder la belle image que nos voisins ont toujours eue de nous.
Amitiés

Raymond Komla
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Respect, David Kpelly, respect. La presse togolaise a vraiment raison de te classer comme le plus grand espoir de la littérature togolaise.Et ton engagement politique aussi témoigne de ta forte personnalité, c'est un grand plaisir de lire tes analyses reprises dans les journaux togolais. Serait-il possible qu'on entre en contact pour mieux se connaitre?

David Kpelly
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Tout un plaisir, cher Raymond, qu'on entre en contact. Fais-moi signe sur ma page Facebook et je te répondrai.
Amitiés

Nany
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Oh Dave, mon cher Dave, je vois que les maux sont les mêmes dans nos pays respectifs, au point où j'ai moi aussi publié sur mon mur de "lamentations" Facebook devoir changer de nationalité, voire de pays...Mais est-ce alors la solution ? That's the question...
Bonne suite!!

David Kpelly
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Ma Nanyette, de Bamako à Yaoundé, de Douala à Lomé, de Cotonou à Bangui... C'est le même virus qui nous ronge, le mal de vivre, et chacun se jette à l'eau comme il peut. Changer de nationalité, c'est se jeter à l'eau mais, comment, je veux dire, comment faire, hein?
Amitiés