La belle nuit où j’ai tué un policier
Je me suis fait arrêter par la police hier nuit, autour de vingt-trois heures, à quelques mètres de ma maison. Bah, la police malienne et moi, une très longue histoire d’amour. Je ne suis pas ce que l’on peut appeler un noctambule, genre habitué des boîtes de nuit, des bistrots ou des boîtes à putes, mais je flâne toujours quelque part dans mon quartier, à des heures plus ou moins reculées de la nuit. Soit de retour d’un de ces multiples bars ivoiriens ou togolais qui jonchent tous les coins et recoins de Bamako, où en manque d’inspiration je m’en vais des fois implorer les Muses devant une bouteille de bière, contemplant la principale matière première de la plupart de mes textes, des filles dévergondées alignant bassesses après cocasseries, soit durant de petits aller et retour dans les ruelles du quartier, bâtissant en mémoire le plan d’un article ou d’une nouvelle à taper sur les hernies de Faure Gnassingbé, soit cherchant à provoquer de petites bonnes nymphos, sombres dulcinées, qui se font culbuter à mort sous les murs des maisons inachevées par de vigoureux jeunes gardiens excités par le thé et goinfrés de ces produits aphrodisiaques traditionnels que vendent les commerçants ambulants nigériens, bon médicament, papa, maman va beaucoup aimer, même à quatre heures du matin tu es toujours debout et dur… Mon fouet, Allah, mon fouet ! C’est à les évanouir de cent coups de fouets partout sur le corps, et les marier sous leurs murs de la fornication, ces petites bonnes et gardiens, fornicateurs pas même voilés. On vous aura, tas de fornicateurs nocturnes, tas de mangeurs de tomates, on vous aura, inch Allah !
Je me suis, donc, hier, fait arrêter, pour une énième fois, par la police malienne. Je revenais d’un bar togolais où une jeune coiffeuse togolaise avait organisé le cinquième anniversaire de sa rencontre sur Internet avec son mec blanc, histoire de montrer à ses copines qu’elle carbure grave, cinq années à sentir en soi du blanc, rien que du blanc, à ne consommer que du blanc, messieurs et dames, ça se fête. La police me dressa un procès-verbal oral. Défaut de pièce d’identité, défaut de pièces de mon scooter, veuillez descendre de votre moto et suivez-nous à la police, monsieur. La réponse à cette chanson classique, je la connais. Monsieur excusez-moi, je sais que je suis en infraction, mais on peut négocier, écoutez… Une main dans la poche de mon pantalon qui glisse tout doucement dans l’hideuse main rugueuse qui s’est ouverte contre ma cuisse, et l’infraction est lavée dans le sang d’un billet de mille francs froissé.
Mais disons qu’hier nuit, j’avais décidé de faire autre chose, je voulais un peu m’amuser, même les polygames maliens, avec leur équipe de quatre femmes autorisées, recommandées par l’islam comme ils le disent, s’en vont encore se foutre en l’air avec de petites merveilles dépravées dans des chambres de passage, la routine étant mortelle. Je décidai, donc, de ne pas présenter mes pièces, mais de suivre les agents de l’ordre au commissariat de police. Tu seras enfermé au commissariat et tu ne retourneras pas chez toi avant d’avoir payé une vignette et une assurance pour ta moto, comme tu ne veux pas reconnaître ton infraction et négocier. Je suis partant, les gars, allons-y, j’adore l’univers carcéral, qu’est-ce que vous croyez, hein, si je passe tout mon temps à tirer sur les poils du cul de Faure Gnassingbé et ses militaires, c’est justement parce que je veux qu’ils me foutent en prison, mais comme le gars est tellement occupé à envoyer des sms genre bébé, trouve-moi à la présidence ce soir, je t’offre la direction d’un service public, tu sais que je peux tout te donner, hein, eh bien, il ne me remarque pas, faites-moi donc, mes amis, l’honneur de m’emprisonner comme un brigand parce que vous m’avez arrêté sans les pièces de ma moto, mon défunt père vous en sera très reconnaissant, il est si gentil qu’il vous invitera même à dîner avec lui pour avoir emprisonné son fils bien-aimé qu’il a laissé orphelin depuis maintenant douze ans.
Je fus enfermé, après quelques minutes, au commissariat de mon quartier. Mon scooter mis en fourrière. Enfermé avec une dizaine de noctambules parmi une vingtaine de brigands et de délinquants allongés par terre, dans une pièce de neuf mètres carré non éclairée où bourdonnaient des moustiques gorgés du sang souillé des détenus. La toilette interne, puant avec audace et maîtrise, était remplie de gros cafards dont certains entraient dans les plats éparpillés dans la pièce. Je venais de voir ce que j’ai toujours voulu voir. Ces policiers enferment donc les citoyens qu’ils ramassent dans les rues la nuit, des fois même à des heures pas tardives, des citoyens dont la seule faute est d’avoir oublié leur carte d’identité, dans les mêmes cellules que les malfaiteurs, voleurs, violeurs, tueurs… Je ne sais pas combien de temps j’aurais pu tenir, mais j’avais commencé à sentir, après une dizaine de minutes, des démangeaisons partout sur le corps. Mon allergie héréditaire n’était pas loin. Je fis signe, à travers la grille de la porte de la cellule, à un agent, et il se précipita vers moi.
– Je paie combien pour la contravention, hein, je dois rentrer.
– Dix mille francs, six mille pour défaut de vignette, quatre mille pour défaut d’assurance.
– Pardon, monsieur, je n’ai pas tout cet argent, je ne peux pas payer, je suis étranger, je suis togolais et…
– On s’en fout, être étranger ne signifie pas ne pas être en règle, tu crois que quoi, hein, que je vais me mettre à genoux devant toi parce que tu es étranger, hein.
Je lui sortis et ma carte consulaire, et mon passeport, et la vignette de ma moto, et l’assurance. Panique.
– Mais alors, tu avais tout ça et tu ne nous as pas montré, hein, tu es monté dans notre voiture, c’est toi qui nous achètes de l’essence, hein, écoute, tu paies cinq mille francs forfaitaires pour dédommager le commissariat ou tu ne bouges pas d’ici, c’est un manque de respect, et ça peut te coûter cher et…
Il voulut s’éloigner. Je ne pouvais plus rester des minutes de plus dans cette poubelle et voir ma peau que je me grattais avec frénésie devenir aussi rugueuse que les aisselles d’une pute nigériane retraitée. Je lui tendis un billet de cinq mille francs, et un bon d’essence de deux mille francs pour notre amitié. Il les prit, les glissa dans une poche de son uniforme, et m’ouvrit la porte de la cellule. Son visage s’illumina subitement. De quel pays je venais donc, hein, que faisais-je comme boulot, depuis combien de temps j’étais au Mali, pourquoi je ne parlais pas bambara, qu’attendais-je pour épouser une Malienne, hein, elles sont très belles ou bien, ah, il aime les Togolais, ils sont gentils, disciplinés et travailleurs, nous serions désormais de bons amis, lui et moi… Nous rentrâmes dans le bureau du commissaire où je présentai mes pièces et récupérai la clé de mon scooter.
– Euh, monsieur le commissaire, j’ai donné cinq mille francs et un bon d’essence de deux mille à l’agent pour vous remercier.
Le commissaire, grave, fixa l’agent. L’agent, blême, mit la main à la poche et sortit le billet et le bon d’essence qu’il tendit au commissaire. Le commissaire empocha le pactole, me serra la main et me souhaita bonne nuit. Je serrai la main à mon ami l’agent. Une main si moite, si vide. Je sortis du bureau en souriant.
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