Ouattara et les quarante porcs-épics
Alassane Ouattara via Africa via Africa Renewal
Je suivais, le jeudi 26 juillet 2012, sur la chaîne de télévision France 24, dans le cadre de la visite du président ivoirien Alassane Ouattara en France, un débat portant sur la Côte d’Ivoire, notamment le processus de réconciliation prôné par l’économiste-président depuis sa prise du pouvoir en avril 2011. Le débat opposait un représentant d’Alassane Ouattara, du nom de Moussa Diallo, à un représentant de Laurent Gbagbo, l’ex-chef d’Etat ivoirien actuellement détenu à la Cour pénale internationale.
Ce qui était frappant dans les réactions des deux intervenants, c’était l’agressivité dont faisait montre le représentant d’Alassane Ouattara chaque fois qu’il s’agissait d’expliquer le paradoxe par lequel après des affrontements où deux camps protagonistes se sont affrontés, se sont tués, on ne retrouve, jusqu’ici, que des protagonistes d’un seul camp, celui de Laurent Gbagbo, emprisonnés. Celui qui se faisait le loisir, en bon Ivoirien, d’appeler le représentant de Laurent Gbagbo son frère, pour peut-être le distinguer parmi les autres invités blancs du plateau, avait manié menaces, mensonges et contradictions pour expliquer en quoi il est normal qu’un an et demi après les exactions commises par des partisans d’Alassane Ouattara sur des habitants de villages réputés proches de Laurent Gbagbo, notamment ceux de Douékoué, aucun de ces tueurs ne soit encore inquiété, alors que presque deux cents leaders et partisans du parti de Laurent Gbagbo sont actuellement en prison. Pour le sieur Diallo, les partisans de Laurent Gbagbo actuellement emprisonnés ont été pris en flagrant délit de crime et dénoncés par les victimes elles-mêmes, alors que jusqu’ici, tous les partisans d’Alassane Ouattara soupçonnés d’avoir commis des crimes ont été indexés par des témoignages sur lesquels on ne peut se baser pour procéder à des arrestations. Du côté des partisans de Laurent Gbagbo, les témoignages des victimes correspondent à un flagrant délit pouvant justifier leur arrestation, alors que du côté d’Alassane Ouattara les témoignages des victimes sont loin d’être un flagrant délit et ne peuvent motiver des arrestations. Sacrée logique !
On a l’impression des fois, en suivant ces genres de personnages dénaturés, abrutis par la politique, que non seulement ils prennent les peuples africains auxquels ils se sont dans la plupart des cas imposés comme des leaders, pour des idiots, mais aussi ils réduisent le jeu politique, qui détermine le destin de toute une nation, qui façonne l’avenir de toute une jeunesse, qui planifie le bien-être de millions d’hommes et de femmes, à une petite partie d’échec où l’on a en face un adversaire isolé à battre.
Je fais partie de ceux qui ont, en 2011, défendu Alassane Ouattara contre Laurent Gbagbo, ceux qui étaient vraiment convaincus que l’économiste avait gagné les élections, et qu’une confiscation du pouvoir par Laurent Gbagbo n’apaiserait pas la Côte d’Ivoire, mais je n’ai jamais été d’accord avec la manière dont le pouvoir a été arraché, après le verdict des urnes, surtout les acteurs de cette violente victoire. Le jeu politique et l’équilibre d’un Etat démocratique sont automatiquement faussés une fois que des forces intruses font irruption sur la scène politique. Alassane Ouattara avait gagné les élections selon la Commission électorale nationale indépendante et toute la communauté internationale, mais il fallait, pour contraindre l’usurpateur Laurent Gbagbo à quitter le pouvoir, l’intervention d’institutions légitimes nationales ou internationales, et non de jeunes armées et des chasseurs traditionnels.
Alassane Ouattara a une dette de reconnaissance envers ces rebelles, chasseurs traditionnels et délinquants, des groupes d’individus qui n’ont normalement rien à chercher dans la vie politique d’un pays, qui se sont battus pour l’introniser. Tout comme un chef d’Etat est tenu de rendre compte à son peuple dans une vraie démocratie, Alassane Ouattara est aujourd’hui sous la pression de ceux-là qui l’ont intronisé, les rebelles et les chasseurs traditionnels. Ceux-là qui ont tué des milliers d’Ivoiriens, et qu’il doit normalement emprisonner aujourd’hui, pour que le processus de réconciliation puisse connaître une ébauche en Côte d’Ivoire. C’est là le danger quand un chef d’Etat accède à la magistrature suprême par une autre voie que celle, l’unique et pacifique, des urnes.
Alassane Ouattara, incapable d’emprisonner les assassins qui l’ont fait roi – après sa victoire dans les urnes, se retrouve aujourd’hui dans la métaphore éwé de cet homme avec un sac de porcs-épics qu’il ne peut ni porter sur la tête, ni porter au dos à cause des piquants, et dont il ne peut se débarrasser. Et l’exutoire, l’unique, malgré les grands discours sur la réconciliation, est d’anéantir Laurent Gbagbo, l’ennemi à abattre, et ses fidèles partisans, quitte à ignorer les profondes aspirations, les soupirs étouffés, les larmes de tout ce grand peuple ivoirien si fatigué aujourd’hui de se haïr, d’être divisé, de ne pas s’entendre. Voilà une potentielle puissance africaine, que la Côte d’Ivoire, qui, tel l’albatros du poète, est saisie par de vils hommes politiques aux idées louches et meurtrières qui l’empêchent de marcher.
Le comble du loufoque dans toute cette comédie de mauvais goût est que, de mauvaise foi, il investit, juste pour tromper l’opinion internationale, des millions et des millions dans une vide commission Dialogue-Vérité-Réconciliation, serinant toute oreille qui veut l’entendre avec des slogans pompeux, sillonnant des médias et des médias avec des discours mielleux, quand le peuple qu’il prétend réconcilier ne se retrouve pas dans cette réconciliation. Presque la moitié des Ivoiriens ont voté pour Laurent Gbagbo, et cette moitié est là aujourd’hui, brimée par cette injustice de voir leur leader détenu à la Cour pénale internationale, alors qu’Alassane Ouattara travaille avec des collaborateurs qui méritent aussi bien cette Cour pénale internationale que Laurent Gbagbo. Alassane Ouattara dit tendre la main à des Ivoiriens qui voient aujourd’hui à la télé, écoutent à la radio, rencontrent dans la rue, des gens qui les avaient juste hier frappés, matraqués, mutilés, des gens qui avaient tué et violé leurs proches, qui continuent de les narguer et les violenter.
Alassane Ouattara continuera de faire tourner en rond les Ivoiriens qui ont tant besoin de se réconcilier, enfin, et se fera défendre, dans ses échecs, sur des médias, par des va-t-en-guerre cyniques de la trempe de ce Monsieur Moussa Diallo dont les discours ne font qu’empirer la haine qu’une partie des Ivoiriens nourrit aujourd’hui envers une partie des Ivoiriens. La réconciliation ivoirienne, cette réconciliation prônée, imposée par les bourreaux en liberté à leurs victimes, n’aura pas lieu ! Un slogan creux, aussi beau qu’il soit, ne suffit pas à une femme qui a perdu son mari, une mère qui a perdu son enfant, un enfant qui a perdu ses parents, un citoyen qui a perdu sa patrie… de tout oublier sur-le-champ et aller embrasser son bourreau d’hier, surtout que le bourreau est bien celui qui lui crie le slogan la journée devant les médias, et le martyrise la nuit à la faveur de l’obscurité.
Je pense bien à Benjamin Constant dans son Cours de Politique constitutionnelle « Toutes les fois que les gouvernements prétendent faire nos affaires, ils le font plus mal, et plus dispendieusement que nous. » Que si !
PS: En bonus sur mon premier blog: Aveux d’un petit-fils de bourreau
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