A mort Benjamin, vive le dieu Faure
Benjamin Boukpeti via https://atelier.rfi.fr
Je lisais, ce jeudi 09 août 2012, un article publié le 01 août 2012 sur le site togolais d’informations www.republicoftogo.com, sur la participation du kayakiste franco-togolais Benjamin Boukpéti – médaillé de Bronze à Pékin en 2008, aux jeux olympiques de Londres 2012. Avec la brièveté qui caractérise les articles de ce site se positionnant comme le site d’informations officiel du Togo, mais réputé pour être l’arme numérique à propagande de la dictature togolaise, l’article relatait ainsi le parcours du sportif togolais : « Le kayakiste togolais, Benjamin Boukpéti, malgré sa qualification aux épreuves finales de canoë slalom mercredi à Londres, n’est pas parvenu à rééditer l’exploit de Pékin où il avait obtenu une médaille de bronze. Plutôt pas mauvais lors des demi-finales, sa prestation n’a pas été à la hauteur de l’enjeu. Il arrive bon dernier des dix concurrents avec un score de 154.23. ( 93.43 pour le médaillé d’or, l’Italien Daniele Molmenti).» Ah, oui, l’article s’intitulait, avec toute modestie, avec toute simplicité… avec toute déception, l’article s’intitulait donc, Déception.
Les autorités togolaises sont donc déçues de la mauvaise prestation de leur athlète, mauvais élève, Toto du canoë Kayak, arrivé en dernière position à la finale de son épreuve. On l’attendait encore cette année, comme en 2008, pour qu’il nous ramène une médaille au pays, pas du bronze cette fois-ci, mais de l’or, ou à défaut de l’argent. L’actuelle situation sociopolitique tendue au Togo a besoin d’une médaille olympique pour se décanter un peu, les Togolais ont une fois de plus besoin d’avoir une lueur de joie pour un peu oublier leur révolte actuelle, Faure Gnassingbé surtout a besoin d’une bonne nouvelle à récupérer pour pouvoir sourire aux Togolais, et voilà que l’apostat revient avec une dernière place en finale. Horreur. De quoi lui retirer la nationalité togolaise, à ce feignasse qui ose salir, de ses piètres prestations, la très magistrale république togolaise du très magistral Faure Gnassingbé et ses très magistraux collaborateurs. Déception ! L’article ne pouvait mieux s’intituler.
Pauvre Benjamin, le héros, la légende de 2008 devenu une déception pour les autorités togolaises ! Comme le dirait l’autre, Et Dieu seul sait comment il dort. Chanté, crié, loué, adoré en 2008, invité par tous les hommes politiques, Faure Gnassingbé en tête, aux plus prestigieux évènements au Togo, présenté comme l’un des Togolais les plus valeureux, le premier et le seul Togolais à avoir remporté une médaille olympique, couvert d’honneurs et d’éloges, notre dieu du Canoë Kayak est tombé en disgrâce cette année, quatre ans après son entrée au panthéon des autorités togolaises. On lui consacre un article de trois lignes intitulé Déception, pour lui exposer, le prendre à témoin de sa honteuse prestation, son crime de lèse-république. Peut-être qu’il sera même bientôt déclaré persona non grata au Togo, parce que sincèrement, sans médaille, on ne sait pas trop ce qu’on pourra faire de ce type dans ce prestigieux pays.
Notoire. C’est ainsi que les autorités togolaises récompensent, ont toujours récompensé les héros togolais. Ils ne servent que quand ils sont capables d’offrir à la dictature impopulaire des victoires à récupérer. Benjamin Boukpéti n’a donc jamais été vu comme un fils du Togo par les autorités togolaises, surtout qu’il est métissé, raison de plus pour voir en lui un étranger, un objet quelconque dont on peut juste se servir pour redorer le blason de l’un des régimes les plus impopulaires et détestés au monde. Et on a bien profité de lui en 2008, certains cyniques griots ayant même poussé la récupération et la loufoquerie jusqu’à affirmer que l’athlète médaillé était un signe que Faure Gnassingbé, imposé aux Togolais dans le sang en 2005, était un porte-bonheur pour le Togo, que c’était sous lui que le Togo avait, enfin, remporté une médaille olympique, qu’avec lui le Togo allait désormais briller à la face du monde, oubliant que ni Faure Gnassingbé, ni aucun de ces hommes louches qui s’étaient défiés dans des mises en scène ridicules en 2008 pour porter le jeune champion sur un piédestal, n’avait contribué à sa participation aux jeux olympiques, qu’il s’était battu avec ses propres moyens pour y participer, mais avait poussé le patriotisme jusqu’à dédier sa médaille au Togo.
« Vous ne méritez pas votre athlète», s’indigne un commentateur nigérian en réaction à l’article sur le site www.republicoftogo.com. Oui, bien sûr. Mais alors bien sûr que le Togo ne mérite pas ce garçon. Bien sûr que le Togo n’a jamais mérité un seul de ses héros, des courageux qui se battent seuls dans l’ombre, et qui ne sont récupérés par nos dealers politiques que quand ils sont sous les sunlights, honorant les couleurs nationales de ce pays terni par trop de barbarie de la dictature et de son armée, par trop de haine de ses fils et filles, par trop de larmes de ses victimes, par trop de soupirs de ses réfugiés, par trop de murmures étouffés de ses martyrs. Le Togo ne mérite pas cet athlète parce qu’il n’a pas été aidé, quand, après son sacre en 2008, il a de bonne foi et par amour pour son sport le canoë kayak et son pays monté un club pour former de jeunes Togolais dans ce sport encore très inconnu chez nous, il n’a pas été aidé pour se qualifier et se préparer pour la compétition de 2012, il a été oublié une fois que les politiques, Faure Gnassingbé en bandoulière, ont fini de lui sucer la moelle de prestige qu’il avait ramenée au pays en 2008.
Entrons dans notre panthéon togolais, cherchons cent héros en sport, en musique, en littérature, en cinéma, en peinture, en sciences et technologies… cherchons-en cinquante… cherchons-en vingt-cinq… dix… un… un seul que le Togo en tant qu’Etat a fait, et qu’il a accompagné dans ses victoires et échecs. Nous n’en trouverons, bien sûr, pas. Nous ne trouverons que d’anciens footballeurs miséreux délaissés parce que blessés durant un match où ils défendaient les couleurs du Togo, des musiciens aigris et malheureux parce qu’ignorés, des écrivains contraints à l’exil depuis des dizaines d’années parce qu’ayant eu l’audace de critiquer la dictature… et finalement un ancien médaillé des jeux olympiques récompensé suite à une défaite en finale par un article intitulé Déception ! Benjamin Boukpéti s’en va donc, à pas lents, retrouver les dieux assassinés par le Togo, se consolant peut-être avec cette formule de Rainer Maria Rilke, dans les Elégies de Duino « Souviens-toi que le héros reste, sa chute même n’était pour lui qu’un prétexte pour être : suprême naissance.»
Quelle horreur pour la jeunesse togolaise ! Le tombeau des héros est le cœur des vivants, disait André Malraux. Nous avons besoin de héros, nous jeunes Togolais, des aînés qui nous font rêver en sport, en musique, en science, en littérature, en peinture… car c’est ce qui fait vibrer l’âme d’un pays, ce qui ancre son histoire, et imprime son passage dans le temps. Mais dire que nos héros, ceux-là que nous, jeunes Togolais, sommes obligés de voir, ceux qui durent dans le temps, qui sont toujours criés sur les médias comme des hommes bien, valeureux, ne sont ni des sportifs, ni des écrivains, ni des musiciens, ni des architectes, ni des médecins, ni des avocats… mais des politiciens fourbes et criminels, des généraux assassins, de vils menteurs de mauvaise foi et sans loi ! Tout ce qui ne sert donc pas la dictature togolaise n’ira pas au panthéon. Rendez à la dictature ce qui est à la dictature, et à la dictature ce qui n’est pas à la dictature. Voilà le Togo, notre Togo que nous aimons tant, Togolaises et Togolais, ce Togo que nous n’hésitons pas à aller, seuls et sans soutien, au-delà de nos talents pour porter haut, pour la gloire de… notre dictature. Notre bien-aimée dictature.
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