Le jour où j’ai épousé la femme rêvée
Crédit image: mariage-blagues.skynetblogs.be
Enfin ! J’ai gardé le secret. Je l’ai pu. Demain, déjà à dix heures, si les islamistes n’arrivent pas à Bamako avant, je ne serai plus célibataire.
Je tiens à peine sur mes deux jambes en y pensant. Ruth, demain, à dix heures, je serai un homme marié. Ton mari. Le rendez-vous avec le maire est fixé sur neuf heures, à la grande mairie de Bamako. Nous n’aurons pas beaucoup d’invités. Deux compatriotes, dont mon témoin, deux de tes cousines dont ton témoin, tes parents, mon parrain, un professeur, intellectuel et écrivain malien, et ta marraine, une avocate malienne. Une dizaine d’invités pour mon mariage. Loin de ma mère, Mère Marthe, ma première femme, mon éternelle femme, loin de mes sœurs. Elles suivront le film de la cérémonie. J’ai évité tous les amis journalistes maliens qui m’ont proposé de couvrir l’évènement. J’ai toujours rêvé d’un mariage simple, sans fioritures. Je l’aurai demain à neuf heures. Je ne porterai pas de veste. Je n’aime pas trop les vestes, je ne m’y sens pas. Je garderai mon look habituel, une chemise biaisée aux manches retroussées, mon éternel crucifix au cou, un bracelet au poignet. Tu porteras, Ruth, une légère robe bleu-ciel – ma couleur préférée, et des escarpins pas trop hauts, pour ne pas me dépasser en taille, toi qui as presque la même taille que moi. Un peu de respect pour mon machisme héréditaire, madame.
Puis samedi. La grande fête. Je serai en veste, sans cravate, bien-sûr, question de style, une chemise à manches courtes à col italien ouvert, mon crucifix à découvert. Tu porteras ta longue robe blanche, celle-là dont tu as toujours rêvé, dis-tu, depuis six ans, quand tu avais assisté pour la première fois à un mariage dans ton église. La messe le matin et la bénédiction, les photos, la presse, une ou deux interviews, et la grande réception prévue pour l’après-midi. Plus de cinq cents invités, mes étudiants, des lecteurs, des compatriotes, et des membres de ta famille. La sono sera assurée par l’orchestre d’une amie à toi, célèbre chanteuse malienne. Deux amis poètes venus du Togo, pour nous déclamer des poèmes, réciteront leur production sur l’amour, le mariage et les enfants, durant le dîner. Nous aimons, tous deux, l’art, la musique, la littérature. Et notre mariage sera art.
L’apothéose de la soirée sera le gâteau de mariage, une de mes créations fantaisistes. Un gâteau que j’ai fait dessiner par un ami, avec toi et moi nous tenant la main, et préparé par une grande pâtisserie de Bamako. J’avais proposé aux pâtissiers de se débrouiller pour que le gâteau, à chaque fois qu’on le coupe, crie, Faure Gnassingbé, David Kpelly t’a battu, il s’est marié avant toi, t’es qu’un gros loser, connasse, la dernière provoc pour dire adieu à Faure Gnassingbé après plus de trois ans de provocation, comme j’ai décidé de ne plus bloguer après mon mariage, mais on m’a fait savoir que ça prendrait trop de temps et d’argent, il fallait commander un minirobot chinois pour le faire. Bah, on n’a qu’à placer un de ces petits vietnamiens qui pullulent à Bamako, vendant des sandwichs au goût aussi incertain que la fidélité de Grace la femme de Mugabe, ben on n’a qu’à placer un de ces petits asiatiques derrière le gâteau pour jouer le rôle du robot, de toute façon personne ne le verra crier derrière le gâteau, que j’ai proposé, mais on m’a fait savoir qu’ils ont tous disparu de la ville, ils ont, eux aussi, peur de l’arrivée de islamistes, comme ils préparent leur sandwich avec de la viande de porc. J’essayerai au moins de raconter une blague sur le célibat de Faure Gnassingbé quand on coupera le gâteau, même si cela t’irriteras un peu, Ruth, toi qui m’as déjà émis ton ultimatum, je n’aurai plus le droit de parler politique, encore moins m’attaquer à un homme politique après notre mariage.
Ruth, Tu es une histoire. Mon histoire. Dis, comment étais-tu habillée ce matin quand dans la salle de cours je rentrais, pour la première fois, hein. Chemise blanche, jupe courte couleur bleue, tapette cendre, boucles d’oreilles de la même couleur, un écouteur de baladeur dans l’oreille gauche. Tu écoutais Rihanna. T’es un sorcier ! t’écrias-tu le jour où je te fis cette précision, comment pouvais-tu me remarquer ainsi avec tant de détails dès le premier jour, hein ! Tu fus, Ruth, ébahie par ma jeunesse. Et mon sens de l’humour et mon intelligence, m’ajoutas-tu, une nuit. Pourquoi peuvent-ils embaucher de si jeunes profs dans une école supérieure, hein, encore un coureur de strings, pauvres étudiantes, avais-tu pensé. Ô, ma Ruth, et la première pauvre étudiante qui tomba sous le charme du jeune professeur, coureur de strings, c’était la fille assise juste devant, à gauche en faisant face à la salle, la plus intelligente et orgueilleuse de toutes les étudiantes. Toi, Ruth.
Tu es très intelligente, Ruth, calée en sciences exactes et mordue des lettres. Une exception dans ce système éducatif malien à l’agonie. Et c’était ce qui faisait ton orgueil. Tes camarades du lycée affirmaient que tu bernais tes profs, dans toutes les matières, te mesurant à eux. Je le remarquai, dès le premier cours, quand tu me demandas de vous parler de mon cursus scolaire parce que tu me trouvais trop jeune pour avoir les qualifications requises pour enseigner dans une école supérieure. Tes camarades avaient boudé, mécontents de ta question, mais tu insistas, la mine ferme. J’étais à ma première expérience, mon premier jour dans l’enseignement, et je regrettai ma décision, enseigner. Prenant tous mes grands airs, Ruth, je t’expliquai que tu avais tort en me jugeant sur mon âge parce que l’ère des Papa Bibliothèques était révolue et la qualification n’avait plus rien à voir avec l’âge. Tu me fis savoir que j’avais raison, mais que cette ère n’était pas révolue pour laisser venir des Jeunes Tonneaux vides. Je te fis un sourire amer, et à ma grande surprise, tu y répondis. Deux autres cours me suffirent pour te séduire. T’es un incroyable magicien, Dieu ne t’a pas donné une si grosse tête pour rien, tes mots quelques jours après… Demain, Ruth, tu seras ma femme, ensemble, nous…
– Hé David, c’est quoi encore cette farce, hein, tu fais semblant de dormir ou quoi, hein, voici plus de quinze minutes que je te secoue et t’es là à faire cette tête de je ne sais quoi… Lève-toi et on y va.
– Hein, Ruth, il est l’heure pour la mairie, hein, grognai-je la tête bourdonnante, les yeux lourds, la bouche pâteuse.
– Qui est Ruth, hein, et tu parles de quelle mairie, hein, t’es encore parti ramasser une pétasse de chrétienne, juste parce que tu étais à l’église dimanche passé, tu as encore déniché une chrétienne, hein, de toute façon, Ruth ou Marie, lève-toi, allons au guichet automatique et tu me donnes mon argent, tu m’as promis ce matin et…
– Ecoute Safiatou, je t’ai toujours dit de ne pas me réveiller quand je dors, tu viens d’interrompre le plus beau rêve de ma vie après celui que j’ai fait en 2007, où Faure Gnassingbé était employé comme boy dans ma maison. J’étais en train de rêver de ma femme parfaite, une de mes étudiantes que j’épouserai demain et…
– Hein, hi hi hi, laissez-moi rire, hein, toi David épouser une femme, hein, voici plus de deux semaines que tu m’évites juste parce que je t’ai demandé vingt mille francs pour faire ma tête, et tu crois que toi tu peux payer la dot d’une femme, l’habiller et la nourrir, hein, et puis tu oublies que tu n’as jamais pu retenir une fille durant plus de deux semaines ou quoi, hein, eh Allah, les islamistes ne sont plus vraiment loin de Bamako, tout est devenu bizarre par ici…
– C’est parce que vous demandez trop d’argent que j’arrive pas à vous supporter, tu veux faire ta tête alors que t’as rien dans cette tête, rien à part les basins brodés et les bijoux, on te la coupe, cette tête vide, et le monde n’a rien perdu, je comprends pourquoi vos hommes maigrissent toujours après leur mariage et ressemblent à Paul Kagamé, des fois en marchant dans les rues de Bamako je me crois en Somalie quand je vois la maigreur des hommes, toi qui n’ouvres la bouche que pour demander de l’argent, parler de coiffeuse et de tailleur, que gagne un homme qui t’épouse à part des soucis et …
– Hé hé hé, chéri Dévé, je suis pas de bonne humeur ce matin pour écouter tes conneries-là, t’as toujours des thèses à écrire quand on te parle d’argent, donne-moi mon argent et après tu peux retourner à ton rêve où tu épouses votre Vierge Marie ou quoi là.
PS : Spéciale dédicace à Stella, la rêvée, tu sais, notre tentative n’était sûrement pas une bonne.
Commentaires