Bien sûr que je suis aussi baoulé, ma belle…
Statue de femme baoulé (Crédit image: www.lalsace.fr)
Hein, c’est pas vrai, depuis quand un Yao est Togolais, hein, mon cher, tu es un baoulé, tu es mon frère, tu sais, hein, ce sont les Blancs qui ont causé tout cela, ils nous ont séparés dans des frontières artificielles sans tenir compte de nos vraies origines, tu imagines, ça, hein, un Yao togolais? Non, mon frère, t’es un Ivoirien, tu es chez toi ici, reste, ne pars plus, tu n’as rien à aller chercher au Togo, tu sais, c’est cela le drame de notre pays, vous les vrais originaires de ce pays vous avez quitté, laissant la place à des étrangers qui sont venus nous envahir, nous occuper, et nous voler notre pays, regarde-toi et regarde-moi, est-ce qu’il y a une différence entre toi et moi hein ? Non, tu es Ivoirien, Yao, et puis la Côte d’Ivoire c’est mieux que le Togo, pourquoi insistes-tu que tu es togolais, hein, mon frère baoulé.
Pour la énième fois, j’ai répété que je ne suis pas baoulé. Je suis togolais. Ewé. Ce peuple que l’histoire dit être originaire d’Oyo au Nigeria, ce qui traduit certaines de nos ressemblances culturelles avec les Nigérians. Je suis né un jeudi. Et dans mon ethnie éwé ,les garçons nés jeudi s’appellent Yao. Bizarre, comment en trois jours j’ai découvert à Abidjan, à travers mon nom Yao, des racines baoulés que j’avais jusque-là ignorées. « T’es un baoulé, toi, tu es Ivoirien », me disait-on partout où je me présentais comme togolais, mais où on lisait mon nom, Yao, sur le badge à mon cou.
– Bon, merci monsieur, j’ai toujours cru que j’étais Togolais, mais là je vais essayer à mon arrivée chez moi de réfléchir à mes vraies origines baoulés, bonne soirée, fis-je en poussant ma valise, pour me diriger vers le bureau d’enregistrement.
– Euh, euh, euh, m’apostropha mon frère baoulé policier, hein, depuis quand un petit frère baoulé quitte comme ça son grand frère baoulé ? Hein, mon frère, c’est ces Togolais pingres-là qui t’ont appris ça, hein, allez, mon frère, mon petit frère, fais quelque chose à ton grand-frère.
Je lui tendis un billet de mille francs, qu’il me remboursa par un « bon voyage, mon frère baoulé ». Mon ethnie baoulé doit être très bizarre. Ce sont les petits frères qui doivent toujours glisser quelque chose aux grands frères. Le chauffeur de l’hôtel qui m’a amené à l’aéroport m’a aussi chanté le même couplet une fois qu’il a appris mon nom Yao. Il était baoulé lui aussi, mais comment je m’étais retrouvé togolais étant baoulé, hein ? Pourquoi je ne comptais pas retourner chez moi en Côte d’Ivoire, hein ? C’est fou, je ne pouvais jamais être Togolais, j’étais son frère baoulé, les Yao ont toujours été des baoulés, nous étions de vrais frères, tous des descendants de notre illustre mamy la Reine Pokou, eh bien, je serais toujours accueilli à bras ouvert chez moi si je décidais de revenir en Côte d’Ivoire… et…et… et… Il me narra et me narra aussi longtemps l’histoire de mes ancêtres les baoulés que je fus obligé, à ma descente à l’aéroport, de lui glisser un billet de mille francs. « Que Dieu te bénisse, mon petit frère Yao, pense surtout à ce que je t’ai dit, tu seras toujours chez toi ici, tu es baoulé.»
– Qui a fait les valises de Monsieur, hein, ok, c’est vous-même qui les avez faites, ok, et vous pouvez me confirmer qu’il n’y a rien de compromettant dedans hein, arme, liquide illégal, objets tranchants… Ok, votre passeport, monsieur, hein, Yao, vous vous nommez Yao et vous êtes togolais, hein, c’est bizarre, on dirait un baoulé, même en vous voyant vous ressemblez à un baoulé, vous ressemblez beaucoup à un de mes grands frères, comme je suis baoulé, ok, bon voyage, grand frère, mais votre petite sœur baoulé a froid dèh, elle voudrait bien que son grand-frère lui offre un petit café chaud.
Baoulé malgré moi, je tendis à ma petite sœur baoulé de la douane aéroportuaire un billet de mille francs, tout en maudissant intérieurement ma mère qui n’avait pas pu me foutre ici-bas un jour autre que le jeudi, le jour du nom Yao, le nom baoulé. Etre baoulé, hum, hum, mes billets de mille francs, être baoulé sans le savoir.
– Ok, c’est bon, monsieur, vous pouvez passer, euh, tenez, vous avez oublié votre passeport, laissez-moi vous le chercher pendant que vous remettez votre ceinture… Monsieur Kpelly Yao… Mais votre nom est de chez nous, voyons, vous vous êtes naturalisé togolais ou quoi, hein, sinon Yao là c’est un nom d’ici, regardez par exemple ma carte d’identité, je suis Yao comme toi, et pourtant je suis baoulé, comment ça se fait, hein, ah l’Afrique, ils nous ont divisés, regarde comment toi mon propre frère baoulé tu te retrouves au Togo, c’est triste… mais bon, l’essentiel c’est qu’on s’est rencontrés, et il serait très bon qu’on garde le contact, on ne sait jamais, une petite canette de bière ne ferait pas du mal à ton grand frère, mon petit frère.
Dans l’avion, la jeune fille à côté de moi, la trentaine, sentait très bon. Mais l’expérience de la veille de mon collègue gabonais André, qui était parti dans une boîte de nuit à Treichville ramasser une tapineuse de luxe qu’il avait cru dans sa chambre d’hôtel abreuver de mots d’amour frelatés distillés avec une poésie aussi maladroite que la version chinoise du Pater Noster récitée par un imam malien, André qui fut obligé, à trois heures du matin, de nous réveiller tous dans l’hôtel, nous mendiant des billets de dix mille francs pour payer sa tempête de conquête ayant facturé sa partie de jambe en l’air à cinquante mille balles, menaçant de raccourcir de dix centimètres notre cher collègue qui mesurait pourtant difficilement un mètre soixante-cinq… L’expérience, donc, d’André qui m’avait momentanément dégoûté des Ivoiriennes – pourtant mes chéries préférées – me fit garder toute ma quiétude devant les senteurs ivoiriennes de ma voisine d’avion.
– Euh, monsieur, me fit la senteur ivoirienne, quelques minutes après le décollage, vous partez aussi à Bamako, hein, en fait j’y vais pour la première fois, pour des études, et je n’y connais personne, je m’appelle Rachel, je suis Ivoirienne.
– Ah, oui, vous partez donc pour la première fois à Bamako, hein, ne vous inquiétez pas, j’y vis, et je vous aiderai, je me nomme David ou Yao et…
– Hein, Yao, sursauta-t-elle, quelle coïncidence, vous êtes mon frère donc, vous êtes baoulé ou bien, hein, je suis baoulé aussi.
Hein, mais bien sûr que je suis baoulé. Pour une fois que l’être ne me fait pas mettre la main à la poche, me fait plutôt déjà rêver des senteurs de l’idylle bamakoise qui m’attend avec cette senteur ivoirienne, pourquoi ne pas l’être, hein, mes fétiches. Je suis baoulé, ma belle. Vive nos origines baoulé. Vive les baoulés.
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