Demain, j’aurai trente ans… et mon divorce
Crédit image: www.scoop.it
Ses yeux s’étaient emplis de larmes, pendant qu’il m’expliquait l’affaire, et m’annonçait sa décision. Le pauvre. Toujours la même loque angoissée, désespérée que j’ai connue, il y avait six mois, dans un bar ivoirien où j’étais parti m’inspirer devant les déhanchements et miaulements de petites putes ou serveuses, putes-serveuses, serveuses-putes – elles font des cumuls de fonctions des fois, un de ces paradis de dévergondage ivoiriens, togolais, béninois, congolais… qui pullulent dans tous les coins et recoins obscurs de Bamako, ces coins où de vieux mariés maliens partent tromper leurs femmes avec de petites pétasses nymphomanes dépigmentées à la moralité aussi tordue que la bite d’un canard, ces coins, donc, où de jeunes garçons maliens, ne pouvant pas butiner leurs copines dans leurs maisons, viennent les cravacher à la va-vite dans des chambres de passage – Ô pauvres enfants du diable, vous qui êtes avilis par les sentiers obscurs de la fornication, Allah vous interdit de culbuter vos pouffiasses dans vos maisons avant de les épouser, dézinguez-les dans des chambres de passe.
La loque, donc, ce soir où je l’ai connue dans un bar à chagrin ivoirien, était assise, ivre-mort, devant une table remplie de bouteilles de bière vides, parlant tout seul en faisant de grands gestes de la main. Ayant remarqué à un moment que je l’observais, il s’approcha de ma table, prit place sans être invité, et, en quelques minutes, me dévoila sa vie, ce qui l’avait mis dans cet état, ce qui avait fait de lui, jeune homme de vingt-huit ans, un vieil alcoolique désespéré. Il venait, il y avait deux ans, de commencer à travailler, avec sa maîtrise en gestion, dans une banque de Bamako, quand ses parents lui ont demandé de se marier. Il n’avait que vingt-six ans, et voulait continuer les études, mais son père lui fit savoir qu’il pouvait continuer les études après, les études étaient éternelles, les écoles ne finiraient pas, mais la fille qu’il lui avait trouvée était impatiente de rejoindre son mari, ainsi que ses parents qui ne supportaient plus de voir vieillir leur fille. Il avait voulu protester, cette fille était sa cousine, c’est vrai qu’on lui avait déjà dit une fois en passant qu’elle était sa fiancée, qu’elle l’attendait, mais il avait cru que c’était juste une blague, il ne pouvait pas épouser cette fille parce qu’il ne pensait pas qu’il l’aimait, il voulait… Son père disserta sur l’obéissance qu’un fils doit à son père, au nom d’Allah, le lien sacré du mariage entre cousin et cousine, au nom des coutumes, l’enfer qui attend les enfants qui ne veulent pas épouser les filles que leur proposent leurs parents, la malédiction, les malédictions de l’enfant qui rejette le choix de son père… Il se maria après quelques mois. Puis son calvaire.
– Ecoute, Omar, fis-je en le faisant asseoir, le divorce que tu viens de décider ne va pas régler ton problème, il va au contraire t’en créer d’autres, tu sais, aucune femme n’est parfaite, ta femme est encore très jeune, c’est à toi de l’éduquer, tu comprends pourquoi il est important de…
– Je ne comprends rien, David, tout ce que je comprends c’est que tu ne peux jamais me comprendre, ce truc-là que mes parents m’ont poussé à épouser n’est pas une femme, c’est un démon, tu comprends, hein, elle a passé tous nos dix mois de vie commune à me voler, je me suis tu, elle m’a escroqué, a transformé ma maison en foutoir pour ses parents, ses frères, ses cousins, ses oncles, ses tantes qui rentrent chez moi comme ils veulent, prennent ce qu’ils veulent, mangent ce qu’ils veulent… on m’a demandé de supporter parce que c’est la solidarité, notre solidarité, regarde-moi, je n’ai pas trente ans, mais on dirait que je suis né le même jour que Nelson Mandela, juste à cause de cette seule fille, regarde comme je m’habille, regarde mon look, moi un si jeune garçon, on dirait le look des chanteurs de la Compagnie Créole des années soixante-dix, eh bien, j’ai supporté toutes les humiliations avec ce mariage, mais une femme qui me trompe, David, j’ai encore ma dignité, elle ne vivra plus avec moi, je demanderai le divorce dès demain, quel que soit le prix que je dois payer et…
– Omar, ne prends pas cette décision de manière aussi hâtive, il faut que tu en parles d’abord à tes parents, explique-leur, comme tu viens de me l’expliquer, que cela fait deux mois que tu trouves des boîtes de Viagra et des CD de films porno dans le sac à main de ta femme, alors que tu n’en utilises pas toi, et puis écoute, ce n’est pas parce que ta femme a des boîtes de Viagra et des films X dans son sac qu’elle te trompe, hein, peut-être qu’elle en achète pour son père, ou son directeur, comme elle est sa secrétaire, toi-même tu connais nos vieux directeurs-là, ou carrément elle te fait prendre le Viagra à ton insu, elle te le met par exemple dans tes plats, et te fait regarder les films X pendant que tu dors, hi hi hi…
– Ah, je vois que ça te faire rire, ma femme me trompe, je suis obligé de divorcer et ça te fait rire, David, toi qui te dis mon ami, ok, merci, je m’en vais, mais sache que demain je demanderai le divorce, et je la chasserai de chez moi, je n’en parlerai même pas à mes parents, parce que je sais ce qu’ils me trouveront comme solution, ils me demanderont de prendre une seconde femme, parce qu’une seule femme au foyer n’a jamais été une bonne femme, selon eux, et…
– Ecoute Omar, je ne me moquais pas de toi, je sais ce que tu traverses, reprends place et on verra bien ce qu’on doit faire… euh, une minute, laisse-moi répondre au téléphone, c’est ma mère qui m’appelle du Togo, Allô Maman, comment tu vas…
– Héééééééééééé, mon fils, je vais très bien, devine quoi, David, devine celle qui est venue chez moi ce matin, Gloria, tu te souviens d’elle, hein, la fille de l’agronome qui était face à notre maison, Gloria ta femme d’enfance, elle est retournée du Maroc, elle a obtenu sa maîtrise, et devine quoi, elle m’a cherchée pendant deux semaines et m’a retrouvée ce matin, cette fille est si gentille, si bien éduquée, si intelligente, et puis, le bonheur, ton bonheur, c’est qu’elle n’est pas encore mariée, si tu vois comment ses yeux ont brillé de joie quand je lui ai dit que toi aussi tu es toujours célibataire, mon fils, quelle chance tu as, hein, tu imagines combien vos enfants seront si intelligents, hein, et puis je vois déjà la joie de ton père dans sa tombe, tu vas épouser une fille qu’il a connue avant de mourir, tu te rappelles quand il venait vous chercher, toi et elle, à l’école, hein, ah, Gloria, je savais que cette fille est la femme de ta vie, mon fils, écoute, j’ai pris son numéro, elle veut que tu l’appelles, appelle-la et invite-la pour venir passer les fêtes de fin d’année chez toi à Bamako, héééééééééééhééééééééééé…
– Euh, Maman, je suis très content du retour de Gloria et de vos retrouvailles, mais je suis en train de…
– Tu es en train de faire quoi, hein, David, mon fils, tu es mon fils unique, tu as vingt-neuf ans, tu travailles et gagnes bien ta vie et je te parle d’une fille qui t’a toujours aimé depuis l’enfance et tu me dis que tu es en train de faire quoi, hein, euh, écoute, mon fils, voici trois ans que je te parle de mariage et tu me désobéis, alors que la Bible a dit que…
– Oui, oui, oui, Maman, la Bible a dit aux enfants d’épouser Gloria sur les ordres de leur mère, je connais le passage, je le relirai cette nuit, je ne sais pas trop ce qu’elle a dit, la Bible, sur les filles mariées qui traînent des boîtes de Viagra et des films X dans leurs sacs à main, mais pour le moment, j’ai un ami désespéré qui divorce, allez, bonne nuit, ma chérie de mère.
PS : Titre inspiré du titre « Demain j’aurai vingt ans » de l’écrivain franco-congolais Alain Mabanckou
Commentaires