Barrez-vous, Tchadiens, le Mali va très bien
L’image est triste. Très triste. Et elle suscite la révolte. Les cercueils des 26 militaires tchadiens tués au Nord-Mali alignés, recouverts du drapeau tchadien. Dans ces circonstances, on pense au mort allongé dans le cercueil, mais plus aux éplorés qu’il laisse derrière. Des ascendants inconsolables, pour avoir abattu, pendant de longues années, un travail devenu inutile, des frères et sœurs perdus, des amis esseulés, et, surtout, des enfants et une femme à jamais amputés… Un peu de réalisme – et aussi de cynisme, qu’on le reconnaisse, peut faire dire qu’il ne sert à rien de s’apitoyer et de trop pleurer sur le cadavre d’un militaire mort à la guerre. Comme c’est le plus grand honneur d’un militaire, mourir à la guerre. Et les vingt-six militaires tchadiens morts jusqu’ici dans la guerre contre les islamistes au Nord-Mali sont tombés avec les plus grands honneurs, les armes à la main. Mais ils méritent des larmes, des larmes et des larmes, parce qu’ils sont tombés, non seulement pour une cause qui n’est pas forcément la leur, mais aussi trop gratuitement.
Des soldats tchadiens, camerounais, congolais, centrafricains, algériens, tunisiens, français, américains… peuvent, certes, mourir pour le Mali. Car la cause malienne, la cause des Maliens, tout comme celle de tous les peuples de la Terre, est une cause universelle. Le terrorisme et l’islamisme aujourd’hui combattus au Mali sont une gangrène mondiale, et tous les pays peuvent, doivent contribuer à son éradication. Mais ce proverbe africain le stipule si bien, « se faire calciner en voulant éteindre la case en feu de son voisin quand ce dernier est tranquillement allongé sous un arbre n’est pas de la gentillesse, mais de la sottise ». Le Mali et ses pays voisins de la Cedeao ne veulent pas faire la guerre au Nord-Mali. Soldats tchadiens, arrêtez de vous donner en holocauste et retournez chez vous !
Voici des mois maintenant qu’on nous serine avec le déploiement d’une force en attente de la Cedeao au Mali. Tout le monde se rappelle le scénario en janvier passé. On avait dit qu’elle arrivait à Bamako dans quelques heures, puis le lendemain, puis le surlendemain, puis dans trois jours, puis dans quelques jours, puis très prochainement, puis rien… Voici deux mois que l’armée française est intervenue au Mali, pour stopper l’avancée des islamistes sur Bamako, et stabiliser la situation avant l’arrivée de cette force en attente de la Cedeao promise depuis Mathusalem. Mais à part quelques centaines d’hommes envoyés par le Burkina Faso, le Togo et le Nigéria, la force en attente de la Cedeao, composée de milliers d’hommes, comme on l’avait chanté dans toutes les oreilles, n’est toujours pas là.
Voici des semaines maintenant que le président tchadien Idriss Débi, inquiet devant les lourdes pertes de ses hommes au front, exhorte les pays de la Cedeao à presser l’envoi de leur force en attente. Mais, pour le moment, les chefs d’Etat et les ministres de la défense de nos pays sont en réunions et en conférences. C’est ce qu’ils savent faire, ce qu’ils ont fait, depuis le début de la crise malienne, il y a maintenant un an. Des réunions, des rencontres et des conférences dans toutes les capitales de la Cedeao. Des réunions, des conférences, des assises, des colloques, des séminaires, des forums, des… des… qui n’ont encore rien donné de concret. Ils attendent, bien sûr, les fonds qu’ils ont quémandés à la terre entière à Addis-Abeba en janvier passé, et qu’on ne leur a pas encore donnés. Ou qu’on leur a donnés, et qu’ils ont pour le moment investis dans des affaires plus importantes, comme l’achat de quelques villas depuis longtemps convoitées… Si le Mali et la Cedeao ne sont pas disposés à se libérer de l’islamisme et du terrorisme, on comprend mal pourquoi le Tchad fait tuer ses hommes pour le faire.
Le Mali, dit-on, à lui seul, compte 108 généraux, toutes pacotilles comprises. Un record ! Des généraux volatilisés dans la nature, et qu’on cherche avec des loupes depuis le déclenchement de la guerre. Cloîtrés à Bamako, ils suivent, de loin, de très loin, la guerre, comme tous les civils. La blessure au front du fils d’Idriss Débi, un général, un vrai, doit vraiment les étonner. « Il a osé envoyer son propre fils dans ce carnage, mais il est fou ou quoi, hein ! ». Cette guerre est trop dangereuse, doivent-ils se dire, et il n’est pas raisonnable d’y aller, surtout quand les Français et les Tchadiens y sont déjà. Ça doit vraiment les étonner et les amuser, la plupart de ces officiers maliens terrés à Bamako, ce zèle dont font preuve les soldats tchadiens. « Décidément, ils ont la mort et la guerre dans le sang, ces sacrés Tchadiens » murmurent-ils sûrement, en rotant entre deux gorgées de vin blanc. La vie est belle, très belle à Bamako. Meurt en guerre qui veut.
Il y a un mois, en pleine guerre, dans une ambiance festive des plus beaux jours, devant les caméras, sous les sunlights, le Capitaine Sanogo, celui-là même qui avait, le 22 mars 2012, créé la cacophonie totale en destituant, en pleine rébellion, le président Amadou Toumani Touré, promettant qu’il avait pris le pouvoir pour aller lutter contre les rebelles au Nord, et qui, en trois jours, avait assisté, impuissant, indifférent, à la prise des trois grandes villes du Nord, l’éminent capitaine Sanogo donc, formateur parmi les formateurs, réformateur parmi les réformateurs, avait été nommé à la tête du comité de réforme de l’armée malienne. A défaut du titre d’ancien chef d’Etat qu’il avait exigé pour être récompensé de sa brillante et intelligente prouesse d’avoir fait un coup d’Etat, il a trouvé un autre titre – moins glamour que celui d’ancien chef d’Etat, certes, mais plus ou moins confortable et juteux, qui lui permet de rester à Bamako, loin de la guerre, et percevoir, selon la presse, quatre millions de francs Cfa chaque mois comme salaire. Silence surtout, les enfants. Parce que « la sécurité d’Etat » est là pour traquer tous les petits militaires et interpeller les journalistes étourdis qui osent en parler.
Tout baigne, comme vous le voyez si bien, chers frères tchadiens, le Mali n’a pas de problème. Et si vous vous obstinez à rester dans ces montagnes du Nord à vous faire massacrer par ces maudits islamistes et terroristes drogués, ne venez dire à personne que c’est pour le Mali que vous le faites.
Commentaires