Une année déjà, ci-gît le fusil du Capitaine
21 mars 2012. Bamako. Notre attente avait duré toute la nuit. Anxieux, confus devant nos postes de télévision, nous attendions le message des militaires qu’on nous promettait dans quelques instants sur la chaîne nationale. La rumeur nous avait déjà informés que le président Amadou Toumani Touré venait d’être renversé, suite à un échange de tirs à la Présidence, par un groupe de militaires venus du camp militaire de Kati situé à une vingtaine de kilomètres de Bamako. Nous attendions, donc, pour vérifier l’information, et savoir ce que les putschistes avaient à dire. Comment ils allaient pouvoir se justifier… Puis, vers les premières lueurs du jour, apparut à l’écran une image. Des militaires armés, la mine en rage, cherchant tous à regarder sur un bout de papier que tenait l’un d’eux, le porte-parole du groupe chargé de lire le communiqué.
Une lecture pénible, minable, où on nous confirmait que le président Amadou Toumani Touré venait d’être renversé, parce qu’il ne pouvait plus continuer d’être le président du Mali, qu’il avait durant son règne précipité le pays dans la corruption, le vol, la gabegie, l’impunité… qu’il n’avait pas la volonté de lutter contre la rébellion touarègue qui venait d’éclater au Nord, parce qu’il avait refusé de donner des armes aux militaires pour se battre au front. Les militaires avaient donc décidé de prendre le pouvoir, pour immédiatement sortir de tous les dépôts d’armes du Mali tout l’arsenal guerrier du pays, aller au Nord bousiller en quelques secondes la rébellion, redresser la démocratie malienne tordue par ATT, et restaurer l’Etat malien… Ils étaient des saveurs de l’Etat malien, nous avaient-ils dit, et leur intention n’était pas de confisquer le pouvoir.
Le Capitaine Sanogo, qui deviendra le chef de la junte, lui qu’on voyait ce matin du 22 mars, très tendu, aux côtés du porte-parole du groupe, venait de naître. Une légende.
Une légende qui s’écrit pendant un an maintenant, et qui va sûrement continuer de s’écrire. Parce que désormais, l’histoire malienne retiendra le nom du capitaine Sanogo. L’homme qui a accepté d’endosser un putsch qui a précipité le Mali dans une guerre dont la fin ne se dessine pas, une inquiétante instabilité politique dont le Mali peinera à se débarrasser, un gouffre dont on ignore jusqu’ici le fond. L’homme qui devant Terre et Ciel avait promis aux Maliens qu’il avait pris le pouvoir pour les délivrer de la rébellion qui minait le pays, mais qui a vu, sans broncher, en trois jours consécutifs les trois grandes villes du Nord tomber sous le joug des assaillants, qui a assisté indifférent à l’occupation de ces villes par des terroristes pendant dix mois, qui a passé son temps à négocier des grades et des honneurs, pendant qu’on coupait les bras, fouettait, torturait, violait ceux qu’il avait promis de libérer.
Bienheureux, le devin qui aurait pu prévoir, ce 22 mars 2012, que le capitaine Sanogo, un an après tout son zèle pour justifier son coup d’Etat, sera à Bamako, vautré dans des honneurs, pendant que des militaires étrangers et quelques infortunés militaires maliens qui n’ont pas eu la sublime chance de faire partie des putschistes sont en train de se sacrifier au Nord pour libérer le Mali. Bienheureux, le voyant qui aurait pu avertir ces Maliens qui avaient placé tout leur espoir en ce capitaine, qui s’étaient mis dans les rues pour le soutenir, lui et son groupe, les traitant de dignes patriotes, de vrais fils du pays, de nobles descendants de Soundiata Keita… bienheureux donc, ce voyant qui aurait pu faire comprendre à ces Maliens qui avaient soutenu ce coup d’Etat, que le capitaine putschiste et son groupe avaient juste profité de la fragilité de l’Etat malien, du laxisme sans nom de son président ATT, et de cette rébellion touarègue pour s’emparer du pouvoir et chercher leur part dans ce qu’ils considèrent comme un gâteau national dont chaque citoyen malien doit profiter. Ces militaires putschistes auraient même pu s’arracher de hautes fonctions politiques, si de vaillants Maliens ne s’y étaient pas opposés, exposant leur vie dans des marches de protestation.
Rien de tout ce que ce monsieur avait promis aux Maliens pour libérer leur pays ne s’est réalisé. Il avait assuré que l’armée malienne seule pouvait libérer le Nord-Mali, que le Mali avait l’armement nécessaire pour exterminer en un clin d’œil les rebelles touaregs et leurs acolytes. Mais toute la Terre a été témoin que l’armée malienne n’avait ni les moyens, ni les compétences, ni la motivation pour tenir devant les assaillants. Il avait martelé que le Mali n’avait besoin ni de la Cedeao, ni de l’Onu, ni de l’Union africaine pour régler la crise. Ce furent ces institutions qui ont fini par trouver une solution au chaos. Il avait hurlé, le capitaine zélé, qu’il n’allait voir le pied d’un seul militaire étranger sur le sol malien. Ce sont aujourd’hui des militaires tchadiens et français qui sont en train de libérer le Mali. Quel mauvais stratège ! Combien de Maliens aurait-on pu épargner de la mort et des tortures, si ce monsieur et son groupe étaient restés dans leur caserne !
On revoit sa mine déformée par la honte, il y a quelques semaines, disant merci à l’armée française et la France.
Mais comme la honte qui précipite le caïman dans le fleuve ne le tue pas, le capitaine honteux se terre dans son camp de fortune, ayant trouvé pour souffre-douleur de pauvres journalistes s’adonnant avec honnêteté à leur travail d’information. A défaut de combattre les terroristes, il se contente de combattre les journalistes. En un an, une dizaine de journalistes maliens ont déjà été sauvagement agressés, et des centaines gratuitement menacés et intimidés. D’ailleurs, pour fêter le premier anniversaire de sa prise du pouvoir, qu’est-ce que le honteux et tous ses charlatans qu’il a placés aux postes stratégiques de l’Etat nous offrent ? L’emprisonnement d’un journaliste ayant commis le crime d’avoir publié une lettre dans laquelle les militaires maliens au front, les vrais, critiquent les lâches d’être restés à Bamako pour quémander des titres, des honneurs et des émoluments. Un an de légende Sanogo. Un an de calamité. Une vraie !
Commentaires