Une année déjà, ci-gît le fusil du Capitaine

Article : Une année déjà, ci-gît le fusil du Capitaine
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22 mars 2013

Une année déjà, ci-gît le fusil du Capitaine

Le capitaine Sanogo
Le capitaine Sanogo

21 mars 2012. Bamako. Notre attente avait duré toute la nuit. Anxieux, confus devant nos postes de télévision, nous attendions le message des militaires qu’on nous promettait dans quelques instants sur la chaîne nationale. La rumeur nous avait déjà informés que le président Amadou Toumani Touré venait d’être renversé, suite à un échange de tirs à la Présidence, par un groupe de militaires venus du camp militaire de Kati situé à une vingtaine de kilomètres de Bamako. Nous attendions, donc, pour vérifier l’information, et savoir ce que les putschistes avaient à dire. Comment ils allaient pouvoir se justifier… Puis, vers les premières lueurs du jour, apparut à l’écran une image. Des militaires armés, la mine en rage, cherchant tous à regarder sur un bout de papier que tenait l’un d’eux, le porte-parole du groupe chargé de lire le communiqué.

Une lecture pénible, minable, où on nous confirmait que le président Amadou Toumani Touré venait d’être renversé, parce qu’il ne pouvait plus continuer d’être le président du Mali, qu’il avait durant son règne précipité le pays dans la corruption, le vol, la gabegie, l’impunité… qu’il n’avait pas la volonté de lutter contre la rébellion touarègue qui venait d’éclater au Nord, parce qu’il avait refusé de donner des armes aux militaires pour se battre au front. Les militaires avaient donc décidé de prendre le pouvoir, pour immédiatement sortir de tous les dépôts d’armes du Mali tout l’arsenal guerrier du pays, aller au Nord bousiller en quelques secondes la rébellion, redresser la démocratie malienne tordue par ATT, et restaurer l’Etat malien… Ils étaient des saveurs de l’Etat malien, nous avaient-ils dit, et leur intention n’était pas de confisquer le pouvoir.

Le Capitaine Sanogo, qui deviendra le chef de la junte, lui qu’on voyait ce matin du 22 mars, très tendu, aux côtés du porte-parole du groupe, venait de naître. Une légende.

Une légende qui s’écrit pendant un an maintenant, et qui va sûrement continuer de s’écrire. Parce que désormais, l’histoire malienne retiendra le nom du capitaine Sanogo. L’homme qui a accepté d’endosser un putsch qui a précipité le Mali dans une guerre dont la fin ne se dessine pas, une inquiétante instabilité politique dont le Mali peinera à se débarrasser, un gouffre dont on ignore jusqu’ici le fond. L’homme qui devant Terre et Ciel avait promis aux Maliens qu’il avait pris le pouvoir pour les délivrer de la rébellion qui minait le pays, mais qui a vu, sans broncher, en trois jours consécutifs les trois grandes villes du Nord tomber sous le joug des assaillants, qui a assisté indifférent à l’occupation de ces villes par des terroristes pendant dix mois, qui a passé son temps à négocier des grades et des honneurs, pendant qu’on coupait les bras, fouettait, torturait, violait ceux qu’il avait promis de libérer.

Bienheureux, le devin qui aurait pu prévoir, ce 22 mars 2012, que le capitaine Sanogo, un an après tout son zèle pour justifier son coup d’Etat, sera à Bamako, vautré dans des honneurs, pendant que des militaires étrangers et quelques infortunés militaires maliens qui n’ont pas eu la sublime chance de faire partie des putschistes sont en train de se sacrifier au Nord pour libérer le Mali. Bienheureux, le voyant qui aurait pu avertir ces Maliens qui avaient placé tout leur espoir en ce capitaine, qui s’étaient mis dans les rues pour le soutenir, lui et son groupe, les traitant de dignes patriotes, de vrais fils du pays, de nobles descendants de Soundiata Keita… bienheureux donc, ce voyant qui aurait pu faire comprendre à ces Maliens qui avaient soutenu ce coup d’Etat, que le capitaine putschiste et son groupe avaient juste profité de la fragilité de l’Etat malien, du laxisme sans nom de son président ATT, et de cette rébellion touarègue pour s’emparer du pouvoir et chercher leur part dans ce qu’ils considèrent comme un gâteau national dont chaque citoyen malien doit profiter. Ces militaires putschistes auraient même pu s’arracher de hautes fonctions politiques, si de vaillants Maliens ne s’y étaient pas opposés, exposant leur vie dans des marches de protestation.

Rien de tout ce que ce monsieur avait promis aux Maliens pour libérer leur pays ne s’est réalisé. Il avait assuré que l’armée malienne seule pouvait libérer le Nord-Mali, que le Mali avait l’armement nécessaire pour exterminer en un clin d’œil les rebelles touaregs et leurs acolytes. Mais toute la Terre a été témoin que l’armée malienne n’avait ni les moyens, ni les compétences, ni la motivation pour tenir devant les assaillants. Il avait martelé que le Mali n’avait besoin ni de la Cedeao, ni de l’Onu, ni de l’Union africaine pour régler la crise. Ce furent ces institutions qui ont fini par trouver une solution au chaos. Il avait hurlé, le capitaine zélé, qu’il n’allait voir le pied d’un seul militaire étranger sur le sol malien. Ce sont aujourd’hui des militaires tchadiens et français qui sont en train de libérer le Mali. Quel mauvais stratège ! Combien de Maliens aurait-on pu épargner de la mort et des tortures, si ce monsieur et son groupe étaient restés dans leur caserne !

On revoit sa mine déformée par la honte, il y a quelques semaines, disant merci à l’armée française et la France.

Mais comme la honte qui précipite le caïman dans le fleuve ne le tue pas, le capitaine honteux se terre dans son camp de fortune, ayant trouvé pour souffre-douleur de pauvres journalistes s’adonnant avec honnêteté à leur travail d’information. A défaut de combattre les terroristes, il se contente de combattre les journalistes. En un an, une dizaine de journalistes maliens ont déjà été sauvagement agressés, et des centaines gratuitement menacés et intimidés. D’ailleurs, pour fêter le premier anniversaire de sa prise du pouvoir, qu’est-ce que le honteux et tous ses charlatans qu’il a placés aux postes stratégiques de l’Etat nous offrent ? L’emprisonnement d’un journaliste ayant commis le crime d’avoir publié une lettre dans laquelle les militaires maliens au front, les vrais, critiquent les lâches d’être restés à Bamako pour quémander des titres, des honneurs et des émoluments. Un an de légende Sanogo. Un an de calamité. Une vraie !

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Commentaires

David Kpelly
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It's on!

Michel THERA
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et c'est le bilan calamiteux d'un coup d'etat inutile et sans objectifs; sauf comme vous le dites si bien, la conviction pour les putchistes de prendre leur part du gateau national.
Merci pour ce regard eclairé!

David Kpelly
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Tout un plaisir, cher Michel!
Amitiés

josianekouagheu
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Quel bilan:le Mali n'est pas stable. Et le capitaine Sanogo demeure l'homme fort du pays. Où sera l'évolution?
Le bilan en valait la peine...

David Kpelly
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Et nous le connaissons tous, chère Josiane, ce bilan. Négatif!
AMmitiés

DICKO
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David David et encore David
Souvent je te deteste pour tes propos misogynes et misanthropes. Mais comme le dit un dicton "meme si le lievre est ton ennemi reconnais qu'il a les oreilles longues." Tes analyses sur ce qui prevaut au Mali est d'une rare pertinence. Notre Don Quichote malien et sa cour sans oublier son grand heraut qui confond l AEEM et la Republique du Mali nous entraines avec eux dans les abysses de la guerre. Y a t il une grande difference entre les pillages du MNLA a Gao, Tombouctou et les pillages qui eurent lieu le jour du putsch ou les images de militaires pillant le palais presidentiel, l'assemblee nationale et la cite ministerielle. Cette decrepitude du Mali trouve sa source dans une corruption generalisee de la population, des services de l'etat, des programmes et partenaires de developpement. Qu'advient-il d'un pays ou si tu es honnete t'es <> maudit et si tu poses des questions sur la richesse de quellqu'un tes <> egoiste. Un pays ou les honnetes travailleurs sont reaffectes dans les coins perdus, assassines dans leurs bureaux ne peut que temoigner de sa chute. Si seulement on s'arretait la.....

David Kpelly
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Mon cher Dicko, je suis presque mort de rire en lisant le début de ton commentaire. Me détester pour "mes propos misogynes et misanthropes!" Ah cette misogynie de mon personnage de fiction qui commence à me coller à la peau!
Non, mon cher, tu sais, je suis né, seul garçon, entre trois filles, j'ai été en grande partie éduqué par ma mère, et je ne peux ne pas aimer les femmes. Je les aime trop d'ailleurs - si vraiment on peut trop les aimer, les femmes. Le reste, c'est de la pure fiction, pour corriger des mœurs, en riant.
De toute façon, wait and see et on verra bien. Tout un plaisir pour ta franchise, et amitiés, mon cher.

Elias
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Ce n'est plus un secret pour personne, ton blog est l'un des meilleurs du moment, tant par ton engagement citoyen, et ta très belle plume. Félicitations, DAVID

David Kpelly
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Tout un plaisir, cher Elias, à suivre...
Amitiés

Boukari Ouédraogo
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C'est triste mais, c'est réel. Parc qu’en résumé, Sanogo est aussi un terroriste. Il pensait qu’on refusait de les donner des armes. Ils se sont rendu compte qu’il n’y en avait pas. Ils pensaient qu’ils pouvaient libérer seul le pays. Aujourd’hui ils sont retraits. Ce sont les autres qui le font. Il aurait pu nous montrer qu’il était « garçon » en allant au front, en étant à la première ligne. Mais, il préfère se caser dans une caserne en attendant de que lq situation revienne à la normale pour peut-être revenir au-devant de la scène pour revendiquer ce qui lui serait dû.

David Kpelly
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Non, mon cher Boukari, le front, notre grand capitaine ne veut plus en entendre parler. Il fait la guerre... aux journalistes de Bamako. Hum, wait and see, toujours!
Amitiés

bouba68
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oui, tout ce qui a été dit ici colle à la realité, triste comme la pluie, à laquelle le Mali dans son ensemble s'est resigné!

David Kpelly
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Hum, cher Bouba, je ne pense pas que les Maliens sont résignés. Ils y croient toujours. Mais c'est juste des indésirables qu'il faut mettre à leur place pour qu'on puisse enfin trouver une vraie solution à cette crise. Et on y arrivera, inch Allah!
Amitiés

Emile Bela
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Croyais-tu que le Capitaine serait à mesure de faire quelque chose de si différent? Non, il fallait les esprits faibles pour le croire.
Tu sais, je travaillais dans une organisation à Accra où à l'occasion d'une conférence, nous avions réçu des femmes maliennes visiblement partisanes du Capitaine et qui plus s'opposaient becs et ongles à une quelconque intervention étrangère parce que "le mali seiat capable de se défendre seul". J'ai éprouvé juste de la compassion pour ces femmes "intellectuelles" et me ait compris pourquoi il y a avait encore des coups d'Etat en Afrique.
Aujourd'hui, j'aurais aimé les rencontrer à nouveau et voir leur regard couvert de honte. Je peine à terminer mon article sur le cas du Mali, mais jespère que j'y arriverais un jour.

Mais, El Hadj, je ne te savais pas Myso...loool

Bien heureux de te lire.
Du nouveau chez moi si ta carte de lecteur est encore valide. lool

David Kpelly
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Je cours dans ton kiosque, cher Emile...
Amitiés

Bintou Diallo
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Ce blog est le meilleur que j'ai lu sur la crise malienne. Articlles très bien fournis et bien dit. L'auteur est très courageux, surtout qu'il vit à Bamako. Félicitations,

David Kpelly
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Merci, chère Bintou.
Amitiés