Aicha Koné, le panafricanisme lui dit Merde
Il y a deux jours, lors d’une discussion sur Facebook, un internaute togolais m’a demandé ce que je pense de la chanson intitulée « Faure Gnassingbé » chantée par la star ivoirienne Aicha Koné en l’honneur du fils d’Eyadema, une chanson qui circule ces derniers jours sur Internet, et qui déclenche une vive révolte auprès des Togolais. Je lui ai répondu que je n’ai pas écouté la chanson, que cette affaire ne m’intéressait pas trop, parce que je ne la considérais pas plus qu’une broutille vis-à-vis de la crise que traverse actuellement le Togo. Je n’ai jamais compris pourquoi Faure Gnassingbé, qui se targue devant qui veut l’entendre d’être un jeune, se laisse tant séduire par le dithyrambe, cette très vieille méthode des dictateurs africains analphabètes – dont son père Eyadema, qui payaient grassement des artistes pour faire l’éloge de leur règne pourri.
Mais devant la consistance de la polémique sur Internet, et l’indignation de plus en plus grande des internautes togolais, j’ai décidé de regarder le clip partagé sur un site togolais. Horreur ! Pas devant les paroles de la chanson qui vantent la paix, la prospérité, la joie, l’éducation primaire gratuite, la césarienne, l’assurance maladie… au Togo. Pas devant les multiples « Merci » scandés par l’Ivoirienne à Faure Gnassingbé – comme si les Togolais eux-mêmes sont si ingrats jusqu’au point de ne pas savoir remercier ceux qui leur font du bien. Pas même devant l’injure suprême au peuple togolais à travers laquelle elle demande à Faure Gnassingbé d’être fort parce qu’il est plus difficile de faire la paix que la guerre… Mais l’horreur de la déchéance d’une chanteuse de talent, reconnue par sa belle voix, sa beauté et son originalité, et qui se transforme, dans ce clip pourri, en une hideuse vieille femme irresponsable.
J’apprécie beaucoup le courage des artistes ivoiriens. C’est le premier pays de notre sous-région où l’on sent le plus l’engagement des artistes dans la vie sociopolitique de leur pays. De Tiken Jah Fakoly et Alpha Blondy à Magic System, en passant par Petit Yodé, Soum Bill… les artistes ivoiriens ont toujours défendu, malgré leurs différentes convictions, la Côte d’Ivoire contre la guerre allumée par les hommes politiques depuis les années 2000. Je partage cette conception de l’artiste qui doit être un porte-voix de son peuple, pour dénoncer et affronter les dérives des politiques. Je partage aussi l’idéal de ces artistes africains qui suppriment les frontières de leurs pays, et parlent, au nom de l’unité africaine, pour d’autres pays. Il est d’ailleurs anormal, aberrant qu’un artiste africain enferme sa voix et sa lutte dans son pays, insensible aux misères des peuples voisins. Mais que ces artistes prennent bien le soin de se renseigner sur les réalités, les vraies, des pays pour lesquels ils veulent jouer les porte-voix.
On se rappelle cette chanson de Petit Yodé, un chanteur ivoirien très écouté au Togo, qui s’égosillait « Togolais, laissez-le gouverner, c’est lui l’avenir du pays… », parlant de Faure Gnassingbé, quand ce dernier se faisait introniser en 2005 par les barbares de l’armée togolaise dans le sang des Togolais, à la mort de son boiteux dictateur de père Eyadema. « On ne donne pas un nom gratuit… si son père l’a nommé Faure, c’est parce qu’il est vraiment fort… » chantait-il avec un cynique humour, au moment où Faure Gnassingbé et ses frères envoyaient les militaires et les milices drogués de leur défunt père décapiter les Togolais révoltés dans les rues.
Aujourd’hui, c’est une mémé-has-been, courant derrière un come-back difficile, qui vient chanter aux Togolais les louanges d’un président dont elle ignore tout jusqu’au nom, comme elle l’appelle dans la chanson « Faure Eyadema ». Qu’Aicha Koné dise combien d’écoles primaires gratuites elle a visitées au Togo et les conditions dans lesquelles travaillent les élèves et les enseignants – au moment où de petits enfants sont en train de se faire assassiner par les militaires et gendarmes togolais pour avoir manifesté contre les mauvais traitements dont sont victimes leurs enseignants, combien de femmes elle a vues accoucher par césarienne et les conditions dans lesquelles elles ont été traitées, combien de Togolais lui ont affirmé qu’ils vivent en paix au Togo, combien lui ont déclaré qu’ils prospèrent au Togo… Peut-être que Faure Gnassingbé a fait loger la diva au palais de la Présidence pendant un bout de temps, et son début de vieillesse lui a fait confondre la Présidence et le Togo.
Le comble de la loufoquerie, c’est quand, pour se justifier sur sa page Facebook, mémé Aicha se définit comme une panafricaniste, une africaine de cœur… qui chante pour unir les Togolais. Ah oui, le panafricanisme ! Encore ce mot. Il nous en fera voir de toutes les couleurs ici, ce mot. Quelle grande bouillabaisse que ce panafricanisme-là ! Tout le monde y met son ingrédient et s’y retrouve. Au nom du panafricanisme, Aicha Koné, gâteuse, chante des louanges à ce Faure Gnassingbé-là qui est aujourd’hui l’un des présidents les plus mal élus, les plus détestés du continent noir. C’est sûrement son cadeau de grande panafricaniste aux Togolais pour la commémoration, ce 27 avril, du cinquante-troisième anniversaire de l’indépendance de leur pays. Pauvre du panafricanisme. Pauvre de nous Togolais !
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