Sa mère pleure toujours, Monsieur Arthème

Article : Sa mère pleure toujours, Monsieur Arthème
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19 mai 2013

Sa mère pleure toujours, Monsieur Arthème

Anselme Sinandare, élève de 12 ans tué par les gendarmes togolais
Anselme Sinandare, élève de 12 ans tué par les gendarmes togolais

2e lettre ouverte au Premier ministre togolais Arthème Ahoomey-Zunu

 

Bamako, le 18 mai 2013

Monsieur le Premier ministre,

Euh… Comment commencer ? Recommencer ? Disons que, comme une midinette devant le damoiseau de ses rêves, je mélange toujours les pédales chaque fois que je dois m’adresser à vous. Parce que j’ai trop de choses à vous dire sur le Togo et les Togolais. Mais je me sens obligé de faire court, pour ne pas vous ennuyer, comme je sais que vous êtes très occupé. Etre le Premier ministre d’un président qui depuis le premier jour de son investiture il y a huit ans maintenant est toujours face à la colère et la révolte de son peuple n’est pas chose aisée. Je vais donc faire court, comme la première fois. D’ailleurs cette deuxième lettre est juste un rappel.

Monsieur le Premier ministre, rappelez-vous la première lettre ouverte que je vous ai envoyée, le 18 Avril 2013, il y a un mois, suite à votre déclaration sur la Radio France internationale sur la mort de Anselme Sinandare, un jeune élève togolais tué dans une manifestation des élèves à Dapaong, au Nord du Togo, par vos gendarmes, euh, les gendarmes de votre patron Faure Gnassingbé, vos gendarmes donc. Ce 18 avril, vous aviez déclaré, en jouant à l’indigné, avec la maladresse d’une taupe, que votre gouvernement allait faire des enquêtes sur la mort de cet enfant, que vous ne toléreriez aucun meurtre. Je ne vous avais pas cru, tout comme la majorité des Togolais qui vous avaient suivi, sachant que notre pays n’est pas un pays où on fait des enquêtes sur la mort des citoyens qui ne sont pas du côté du pouvoir, votre pouvoir. Plusieurs dizaines de Togolais, des personnalités remarquables, ont été tués dans des conditions atroces depuis les années quatre-vingt-dix. On connaît des fois leurs criminels, mais personne ne les a jamais inculpés, ils sont toujours en liberté, narguant de leur insolence et barbarie les proches et amis de leurs victimes, multipliant les crimes et les assassinats au vu et au su de tous. Voilà pourquoi nous ne vous avions pas cru, quand vous aviez déclaré que vous feriez des enquêtes sur la mort du jeune Anselme.

Monsieur le Premier ministre, voici un mois maintenant que je vous avais mis au défi, vous jurant que je vous enverrai des lettres ouvertes pour vous rappeler votre promesse tant que vous n’aurez pas fait l’enquête promise sur la mort de cet enfant. Vous ne l’avez pas faite, et je vous écris juste pour vous le rappeler.

Monsieur le Premier ministre, je pense que vous vous dites peut-être que cet enfant n’est qu’un petit villageois parmi les centaines de milliers qui existent dans les villages togolais, qu’il ne représente pas grand-chose. Oui, il est vrai que devant tous ces martyrs togolais dont on n’a jamais cherché à connaître la cause de la mort, encore moins punir les assassins, ce jeune élève ne représente rien. Rien. Mais vous ne pouvez pas imaginer ce qu’était cet enfant aux yeux de sa mère. Il compte à sa mère plus que vous ne comptez à la vôtre. Ces femmes, ces ménagères livrées à leur dure réalité quotidienne ne placent leurs espoirs que dans leurs enfants. Elles voient en eux la réalisation de tous les rêves qu’elles n’ont pas pu réaliser elles-mêmes. Ce n’est donc pas un enfant que vous avez tué, c’est le rêve d’une femme, l’avenir d’une famille, que vous avez fracassé sur l’autel de votre barbarie. Ce petit Anselme était tout pour sa mère. Elle y voyait tout son avenir, comment devenu grand, cet enfant fera vivre le paradis à la vieille femme qu’elle sera devenue. Je revois, dans les années quatre-vingt-dix, ma propre mère me portant au dos certains matins pour aller à l’école. Ces matins où, capricieux, je décidais de ne pas aller à l’école si elle ne m’y amenait pas au dos. J’avais onze ou douze ans. Sans honte, sans gêne, sans paresse, ma mère portait le gaillard que j’étais au dos, traversait tout le village pour m’amener à l’école, sous les moqueries et les remontrances des passants. A tous ceux qui lui demandaient pourquoi elle s’adonnait à ce cirque, elle répondait que c’était moi qui, devenu grand, lui achèterais une voiture, la ferais voyager en avion… Jusqu’ici, je ne lui ai pas encore acheté sa voiture, mais chaque fois qu’elle me voit, devenu grand, elle a déjà la voiture que je lui ai achetée, le billet d’avion que je lui ai offert… je suis tout son rêve, tout son monde.

Monsieur le Premier ministre, voilà ce que sont les enfants aux citoyennes de ce pays que vous prétendez gouverner. C’est pourquoi, quand dans vos belles voitures aux vitres fumées vous passez chaque matin dans les rues de Lomé et des autres coins du Togo, vous les voyez soulever des fardeaux deux fois plus lourds qu’elles, sillonner les coins et recoins sous le chaud soleil vendant tout et n’importe quoi, aller aux champs user leurs frêles forces de femme contre une terre trop aride… cherchant la pitance à leurs enfants, leur seul espoir dans ce pays que vous avez transformé en un gouffre de désespoir.

Monsieur le Premier ministre, voilà pourquoi vous devez faire cette enquête, une vraie enquête, et punir l’assassin de cet enfant. Mais tant que vous ne l’aurez pas faite, cette enquête, tant que l’assassin de cet enfant si gratuitement, si atrocement tué ne sera pas jeté en prison, je vous enverrai des lettres ouvertes pour vous le rappeler. Au nom de sa mère qui le pleure toujours. Au nom de ma mère. Au nom de toutes ces Togolaises désespérées dont vous avez tué les enfants.

Monsieur le Premier ministre, je m’arrête là, je ne me suis toujours pas présenté. Je crois que je le ferai la prochaine fois que je vous enverrai une nouvelle lettre de rappel. Je suis fatigué. Il est trois heures du matin. Je suis aussi dérangé par une chatte qui miaule derrière ma chambre depuis trois jours maintenant. J’avais d’abord cru que c’était un sorcier de mon village Mission-Tové qui était venu me déranger ayant peut-être senti que je vais gagner une forte somme d’argent dans quelques jours – je ne sais pas si les sorciers de votre village vous dérangent aussi depuis que vous avez été nommé Premier ministre. Mais on m’a expliqué ce matin que la chatte s’est fait voler ses chatons d’une semaine par un groupe de petits voleurs du quartier. La pauvre chatte pleure donc ses enfants. J’ai pensé aux larmes de la mère du petit Anselme. Ah, les femmes et leurs enfants, Monsieur le Premier ministre ! 

Bien cordialement

Yao David Kpelly

PS : Euh, Monsieur le Premier ministre, je sais que vous avez appris la mort de l’opposant Etienne Yakanou injustement incarcéré dans votre fausse histoire d’incendies de marchés. Il a laissé une veuve et deux orphelins. Vos collègues nous disent qu’il est mort d’une crise de palu et d’une crise cardiaque, mais nous on n’y croit pas. Vous qui avez pour tâche de promettre des enquêtes, vous nous en promettez une ?

 

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Commentaires

josianekouagheu
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OH David, à travers cette lettre, je revois ma maman, toutes les mères du monde, comme les togolaises. Je sais ce que la mère d'Anselme Sinandare,doit ressentir. C'est si cruelle de voir son fils malade et mort alors? Je n'imagine pas la peine de la maman de cet élève Togolais. Sincèrement, que Mr le premier ministre, réagisse, qu'il fasse cette enquête...Pour que plus jamais des crimes pareils n'arrivent. Oui David, la mère pleure toujours, Monsieur Arthème

David Kpelly
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Oui, Josiane, au-delà des mères, de toute les mères du monde, il y a LA Mère, celle qui pleure toujours son enfant qu'on lui fauche.
Amitiés

David Kpelly
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Josiane m'a devancé... Mais it's on!

serge
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Brillant encore, et l'histoire du petit chat extra

David Kpelly
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Ma petite chatte qui s'est fait voler ses enfants par ces petits délinquants!
Comment va mon congolo-brésilien?

Réndodjo Em-A Moundona
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Hummmmm, des enquêtes africaines n aboutissent que quand il s'agit d'un empoisonnement de Yayi Boni.

David Kpelly
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Ha ha ha, la Mounette! Oui, mais qu'est-ce que tu crois, hein! Yayi Boni, c'est Yayi Boni, voyons! C'est-à-dire c'est Yayi Boni, donc Yayi Boni! Et des enquêtes le concernant, ça doit filer!
Amitiés

RitaFlower
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Un enfant devenu un symbole malgré lui du combat du peuple togolais.P.S.une petite chatte qui t'empeche de dormir la nuit...hum,ça t'apprendra David,hein.

David Kpelly
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Oui, mais, en m'empêchant de dormir, elle ne dort pas non plus, la petite chatte! C'est là la moralité de l'histoire!
Amitiés

Félix
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Affaire d´enquête au Togo est une histoire sans fin. Compter sur un PM pour arriver c´est perdre son temps. Il est venu pour sa poooooooooooooooche.

David Kpelly
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Non, cher Félix, on ne compte pas sur le PM pour nous faire cette enqu^te! Il l'a promis en public, et tant qu'il ne l'aura pas faite, il ne dormira pas!
Amitiés

RitaFlower
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Meme quant on la chasse,une petite chatte retombe toujours sur ses pattes.Elle sort alors ses griffes et continue toujours de miauler...quoi qui l'arrive.

Marek Lloyd
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Enfin j'ai réussi a accéder à ton blog. On parie que tu pourrais faire de ces lettres les seuls articles de ton blog si ton objectif reste le même??? Tellement, tu en écriras... lol

David Kpelly
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Oui, mon cher Marek, le blog était en maintenance, mais maintenant ça va. Merci de ta fidélité.
Amitiés

chrissfreevoice
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Bonjour,

Bravo pour votre "lettre à Monsieur le Premier Ministre" qui vaut bien celle "à Monsieur le Président" de Boris VIAN ! Il y est aussi question de la mort absurde et injuste d'humains causée par d'autres humains dont la seule intelligence réside dans le fait d'avoir choisi le camp du Pouvoir !

Oui, je suis très touché tant par le contenu que par la forme de cette lettre - formule qui s'applique d'ailleurs à la majeure partie de vos écrits sur ce blog (tous peut-être mais j'avoue que je n'ai pas tout lu !).

Il fut un temps où j'ai exercé le métier de journaliste (en France); j'étais alors un "petit blanc" qui vivait l'Afrique à Paris (et aussi en Côte d'Ivoire), commentant la diaspora et la négritude philosophique et poétique. J'avais axé mon travail sur un seul objectif: ne parler de l'Afrique que de manière positive (exit la trilogie Guerre-famine-sida). Je ne pouvais "dire ma vérité" tant elle gênait mes concitoyens; a contrario, écrire des publireportages et autres articles qui ne dérangent personnes, là, j'étais libre... Ma belle indépendance n'a duré que 3 ans; ensuite, je suis passé à d'autres activités (il faut bien manger !) mais je n'ai jamais fermé pas ma bouche pour autant !

La censure et la corruption sont universelles mais en France, elles sont plus "subtiles": vous pouvez dénoncer des exactions, des affaires d'état... dans la presse (d'abord indépendante); une enquête sera menée... et après ? L'hypocrisie des pouvoirs et le pouvoir de l'hypocrisie ! Plus c'est gros, plus ça passe...

Bref, j'arrête là: j'ai d'autres articles à lire et commenter.

A bientôt !

David Kpelly
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Complètement d'accord avec toi, mon cher Free Voice! Mais votre nom le dit si bien, nos "voix libres " doivent crier, crier et crier pour dénoncer toutes les injustices sous nos yeux!
Amitiés et merci de votre message dans la rubrique "biographie"