Mon Nelson Mandela est plus branché que le tien
J’aime Nelson Mandela ! Je l’aime beaucoup ! Y-a-t-il d’ailleurs un Africain qui peut oser ne pas déclarer l’aimer ? Nelson Mandela, nous on l’aime ici, on nous le fait aimer avant qu’on ne découvre ses exploits. On découvre le nom, intimement lié à de très belles métaphores depuis l’école primaire : « Le Père de la Nation Arc-en-ciel », « Le Héros de la lutte contre l’apartheid » « Le Président le plus aimé au monde », « Le Courageux prisonnier de 27 ans… » On nous a donc appris à aimer le nom « Nelson Mandela », avant de nous enseigner l’apartheid, comme on nous a fait aimer le nom de Jésus, nous autres issus de milieux chrétiens, avant de nous enseigner l’Evangile.
Nelson Mandela ! Nous l’aimons tous, Africains. Et il est malade, gravement malade cette fois-ci. Ses fréquentes chutes de santé ne nous ont jamais tant angoissés. Neuf jours maintenant qu’on nous dit que notre papa est dans un état très grave, qu’on nous cache des informations – mauvais présage ! On aurait vu ses enfants et petits-enfants aller lui rendre visite : mauvais signe. On ne les aurait plus vu depuis deux jours aller à la clinique : plus mauvais signe. Sa femme a répondu à des questions : malheur. Elle n’a plus répondu à aucune question depuis vingt-quatre heures : catastrophe. Jacob Zuma, le président sud-africain a parlé du patriarche malade durant un voyage à l’étranger : Seigneur ! Il n’a dit aucun mot sur lui durant son voyage : Bon Dieu !…
Nelson Mandela aura bientôt quatre-vingt-quinze ans, et, en Afrique où l’espérance de vie moyenne tourne autour de cinquante ans, on ne peut dire qu’il est mort trop tôt. N’est-il d’ailleurs pas temps pour lui, après une vie si agitée, si remplie, d’aller se reposer ? Car Nelson Mandela, même sous l’auréole méritée dont nous lui avons ceint la tête, même sous toutes les louanges que nous lui avons chantées, lui chantons… Nelson Mandela reste un humain, soumis aux lois de la création. Et il est malade, gravement malade, et peut mourir.
Mon inquiétude, aujourd’hui où chancelle la vie de notre patriarche, n’est pas de savoir si Mandela guérira – je ne sais même pas si au fond de lui il aimerait guérir – ou pas de sa maladie. Mais ce que cet homme, au-delà de ce que son nom est devenu pour nous, représente réellement pour nous, Africains. Le nom sonne bien, mais qu’avons-nous fait, que ferons-nous de la personne qui l’a porté ?
Africains, nous devons tous nous demander – en commençant par les Sud-Africains eux-mêmes, ce que nous avons tiré de la vie de Nelson Mandela. Le beau nom, que nous adulons tant, rime – ne l’oublions pas, avec lutte, courage… mais aussi pardon, tolérance, réconciliation, amour… L’Afrique du Sud brandit aujourd’hui Nelson Mandela comme un trophée, les Sud-Africains nous font aujourd’hui une tête de petits enfants polis inquiets devant l’état de santé de leur père… C’est beau, c’est émouvant. Mais l’Afrique du Sud est aujourd’hui tout sauf ce que Mandela avait rêvé. Ce pays est aujourd’hui devenu l’un des plus inhospitaliers, violents, insécurisés au monde, avec un taux de viol journalier qui fait froid dans le dos… Les Sud-Africains se sont ces dernières années illustrés par des actes xénophobes inimaginables vis-à-vis de leurs voisins vivant chez eux, allant d’actes isolés de bandits à des réseaux institutionnalisés de rejet des étrangers.
Que veut Nelson Mandela aujourd’hui sur son lit de malade – et peut-être son lit de mort ? Des Sud-Africains violents, impitoyables, inhospitaliers… qui prient pour son rétablissement, un pays ayant presque institutionnalisé les violences et les rejets, ou un pays hospitalier et tolérant ? Y-a-t-il une plus grande source de jubilation pour un patriarche qui meurt que celle de sentir que les fruits de ses entrailles garderont et transmettront l’héritage qu’il leur a légué ?
Africains, nous prions pour que Mandela soit rétabli – pour combien de temps avant de rechuter, Dieu seul sait. Mais est-ce là vraiment l’honneur et le geste d’amour que veut de nous Mandela ? A quoi nous aura finalement servi cet homme – à part avoir combattu et contribué à mettre fin à l’apartheid qui continue d’ailleurs sous d’autres formes dans la Nation Arc-en-ciel, à quoi nous aura donc servi Mandela, Africains, si, entre deux « Nelson Mandela » invoqués, comme une incantation en laquelle on ne croit pas, nous nous adonnons, à satiété, à toutes ces horreurs et barbaries que le patriarche a passé toute sa vie combattre ? La xénophobie et l’intolérance n’ont jamais été aussi visibles, aussi atroces dans nos pays. Des Camerounais persécutés en Guinée équatoriale, des Congolais brimés au Gabon, des Ivoiriens humiliés au Togo, des Maliens molestés en Côte d’Ivoire, des Togolais refoulés au Ghana, des Guinéens traqués et renvoyés de l’Angola… Il m’est plusieurs fois arrivé, moi qui connais maintenant depuis cinq ans le goût de ce rejet entre Africains, de me demander si ce n’est pas finalement la peau blanche d’un camp la seule différence entre les apartheids pratiqués dans nos pays africains et celui pratiqué il y a des décennies en Afrique du Sud.
Le comble de l’hypocrisie, de la mise en scène, est l’attitude de nos chefs d’Etat. Eux aussi aiment tous Nelson Mandela ! N’y en a-t-il même pas parmi eux – et pas des moindres – à avoir rêvé d’une préface de Mandela dans leur livre ? Et ils montrent, devant les objectifs des caméras, qu’ils se soucient beaucoup de sa santé, qu’ils aimeraient qu’il vive encore pendant longtemps… La question qu’ils ne se poseront jamais, c’est de savoir ce qu’ils font, eux, pour que le combat et les idées de toute la vie de Nelson Mandela continuent de rayonner, et inspirer les générations à venir. Ils espèrent sûrement que Nelson Mandela vive encore quelques années, pour apprécier comment ils briment les droits de leurs peuples, comment ils modifient les constitutions pour briguer des troisième, quatrième, cinquième… dixième mandat, comment ils magouillent les élections…
Parce qu’aujourd’hui, invoquer le nom de Nelson Mandela, prier pour lui, le couvrir d’éloges… ne signifie en rien aimer l’homme et son combat. Nelson Mandela nous est juste devenu une marque à la mode, comme Gucci sur les tee-shirts des jeunes, une parure que chacun met pour faire tendance. Question de chic.
PS : Le titre du billet est inspiré du titre du roman « Ma Mercedes est plus grosse que la tienne » de l’écrivain nigérian Nkem Nwankwo.
Commentaires