Mon Nelson Mandela est plus branché que le tien

18 juin 2013

Mon Nelson Mandela est plus branché que le tien

Nelson Mandela
Nelson Mandela

J’aime Nelson Mandela ! Je l’aime beaucoup ! Y-a-t-il d’ailleurs un Africain qui peut oser ne pas déclarer l’aimer ? Nelson Mandela, nous on l’aime ici, on nous le fait aimer avant qu’on ne découvre ses exploits. On découvre le nom, intimement lié à de très belles métaphores depuis l’école primaire : « Le Père de la Nation Arc-en-ciel », « Le Héros de la lutte contre l’apartheid » « Le Président le plus aimé au monde », «  Le Courageux prisonnier de 27 ans… » On nous a donc appris à aimer le nom « Nelson Mandela », avant de nous enseigner l’apartheid, comme on nous a fait aimer le nom de Jésus, nous autres issus de milieux chrétiens, avant de nous enseigner l’Evangile.

Nelson Mandela ! Nous l’aimons tous, Africains. Et il est malade, gravement malade cette fois-ci. Ses fréquentes chutes de santé ne nous ont jamais tant angoissés. Neuf jours maintenant qu’on nous dit que notre papa est dans un état très grave, qu’on nous cache des informations – mauvais présage ! On aurait vu ses enfants et petits-enfants aller lui rendre visite : mauvais signe. On ne les aurait plus vu depuis deux jours aller à la clinique : plus mauvais signe. Sa femme a répondu à des questions : malheur. Elle n’a plus répondu à aucune question depuis vingt-quatre heures : catastrophe. Jacob Zuma, le président sud-africain a parlé du patriarche malade durant un voyage à l’étranger : Seigneur ! Il n’a dit aucun mot sur lui durant son voyage : Bon Dieu !…

Nelson Mandela aura bientôt quatre-vingt-quinze ans, et, en Afrique où l’espérance de vie moyenne tourne autour de cinquante ans, on ne peut dire qu’il est mort trop tôt. N’est-il d’ailleurs pas temps pour lui, après une vie si agitée, si remplie, d’aller se reposer ? Car Nelson Mandela, même sous l’auréole méritée dont nous lui avons ceint la tête, même sous toutes les louanges que nous lui avons chantées, lui chantons… Nelson Mandela reste un humain, soumis aux lois de la création. Et il est malade, gravement malade, et peut mourir.

Mon inquiétude, aujourd’hui où chancelle la vie de notre patriarche, n’est pas de savoir si Mandela guérira – je ne sais même pas si au fond de lui il aimerait guérir – ou pas de sa maladie. Mais ce que cet homme, au-delà de ce que son nom est devenu pour nous, représente réellement pour nous, Africains. Le nom sonne bien, mais qu’avons-nous fait, que ferons-nous de la personne qui l’a porté ?

Africains, nous devons tous nous demander – en commençant par les Sud-Africains eux-mêmes, ce que nous avons tiré de la vie de Nelson Mandela. Le beau nom, que nous adulons tant, rime – ne l’oublions pas, avec lutte, courage… mais aussi pardon, tolérance, réconciliation, amour… L’Afrique du Sud brandit aujourd’hui Nelson Mandela comme un trophée, les Sud-Africains nous font aujourd’hui une tête de petits enfants polis inquiets devant l’état de santé de leur père… C’est beau, c’est émouvant. Mais l’Afrique du Sud est aujourd’hui tout sauf ce que Mandela avait rêvé. Ce pays est aujourd’hui devenu l’un des plus inhospitaliers, violents, insécurisés au monde, avec un taux de viol journalier qui fait froid dans le dos… Les Sud-Africains se sont ces dernières années illustrés par des actes xénophobes inimaginables vis-à-vis de leurs voisins vivant chez eux, allant d’actes isolés de bandits à des réseaux institutionnalisés de rejet des étrangers.

Que veut Nelson Mandela aujourd’hui sur son lit de malade – et peut-être son lit de mort ? Des Sud-Africains violents, impitoyables, inhospitaliers… qui prient pour son rétablissement, un pays ayant presque institutionnalisé les violences et les rejets, ou un pays hospitalier et tolérant ? Y-a-t-il une plus grande source de jubilation pour un patriarche qui meurt que celle de sentir que les fruits de ses entrailles garderont et transmettront l’héritage qu’il leur a légué ?

Africains, nous prions pour que Mandela soit rétabli – pour combien de temps avant de rechuter, Dieu seul sait. Mais est-ce là vraiment l’honneur et le geste d’amour que veut de nous Mandela ? A quoi nous aura finalement servi cet homme – à part avoir combattu et contribué à mettre fin à l’apartheid qui continue d’ailleurs sous d’autres formes dans la Nation Arc-en-ciel, à quoi nous aura donc servi Mandela, Africains, si, entre deux « Nelson Mandela » invoqués, comme une incantation en laquelle on ne croit pas, nous nous adonnons, à satiété, à toutes ces horreurs et barbaries que le patriarche a passé toute sa vie combattre ? La xénophobie et l’intolérance n’ont jamais été aussi visibles, aussi atroces dans nos pays. Des Camerounais persécutés en Guinée équatoriale, des Congolais brimés au Gabon, des Ivoiriens humiliés au Togo, des Maliens molestés en Côte d’Ivoire, des Togolais refoulés au Ghana, des Guinéens traqués et renvoyés de l’Angola… Il m’est plusieurs fois arrivé, moi qui connais maintenant depuis cinq ans le goût de ce rejet entre Africains, de me demander si ce n’est pas finalement la peau blanche d’un camp la seule différence entre les apartheids pratiqués dans nos pays africains et celui pratiqué il y a des décennies en Afrique du Sud.

Le comble de l’hypocrisie, de la mise en scène, est l’attitude de nos chefs d’Etat. Eux aussi aiment tous Nelson Mandela ! N’y en a-t-il même pas parmi eux – et pas des moindres – à avoir rêvé d’une préface de Mandela dans leur livre ? Et ils montrent, devant les objectifs des caméras, qu’ils se soucient beaucoup de sa santé, qu’ils aimeraient qu’il vive encore pendant longtemps… La question qu’ils ne se poseront jamais, c’est de savoir ce qu’ils font, eux, pour que le combat et les idées de toute la vie de Nelson Mandela continuent de rayonner, et inspirer les générations à venir. Ils espèrent sûrement que Nelson Mandela vive encore quelques années, pour apprécier comment ils briment les droits de leurs peuples, comment ils modifient les constitutions pour briguer des troisième, quatrième, cinquième… dixième mandat, comment ils magouillent les élections…

Parce qu’aujourd’hui, invoquer le nom de Nelson Mandela, prier pour lui, le couvrir d’éloges… ne signifie en rien aimer l’homme et son combat. Nelson Mandela nous est juste devenu une marque à la mode, comme Gucci sur les tee-shirts des jeunes, une parure que chacun met pour faire tendance. Question de chic.

PS : Le titre du billet est inspiré du titre du roman « Ma Mercedes est plus grosse que la tienne » de l’écrivain nigérian Nkem Nwankwo.

Partagez

Commentaires

David Kpelly
Répondre

It's on!

salma Amadore
Répondre

alors là j'aimerais bien envoyer cela a mon président

Josiane Kouagheu
Répondre

Ah David. Moi aussi, je veux bien envoyer ce billet à Paul Biya, mon chef d'Etat. Comment ces dinosaures peuvent être sourds, aveugles et muets face à l'exemple de Nelson Mandela.

RitaFlower
Répondre

Panafricaniste dans l'ame et certainement l'une des personnalités les plus emblématiques du continent.IL a ce petit supplément d'ame qui fait toute la différence.Une humanité resté intacte.J'espère pour le salut de l'Afrique du sud,que les sud-africains se montreront dignes du combat que Nelson Mandela a mené tout au long de sa vie avec les autres leaders de l'ANC.Un hommage bien mérité de son vivant pour Madiba.Merçi David pour ce beau billet!

chrissfreevoice
Répondre

Slt David !

Tu as tout dit et bien dit !

Nelson Mandela est une référence absolue, tout comme M. L. King, Gandhi et d'autres trop peu nombreux. Leurs noms est gravés dans nos mémoires mais que reste-t-il in fine ?

Bientôt la majorité des Hommes auront détruit ce qu'il y a de plus merveilleux dans l'âme humaine et auront saccagé la beauté du monde...

L'optimiste que je suis est sérieusement inquiet. Seul une prise de conscience collective fera la différence ou...un miracle !

Marek Lloyd
Répondre

Bien dit!

Saliou
Répondre

10 sur 10 David, rien à ajouter. Je ne sais comment tu fais pour ne faire que de bons articles.
Chapeau!

Serge
Répondre

J'avoue avoir mal jugé l'article lors d'une première lecture, mais à la seconde je suis assez d'accord sur certains aspects. Mais disons que tu généralise un peu les sud africains comme des xénophobes. Je crois que ce que les gens ignorent sur l'Afrique du Sud c'est qu'il y en a deux: l'Afrique du Sud des blancs qui voyagent à Rio, à São Paulo ou Washington et qui ne ressemblent en rien à l'Afrique du Sud des noirs, jeunes, policiers, gardiens, douaniers, etc qui se comportent comme des mandiants parce que la fin de l'Apartheid n'a pas mis fin à l'esclavage des noirs dans ce pays. Le massacre de Marikana est un exemple flagrant qu'une caste noire s'est associée à l'élite blanche pour dominer la plus grande partie de la population. Si l'on regarde de plus près, Mandela a perpertué une oligarchie noir au pouvoir, Mbeki n'est-il pas le fils de son ami? combien y en a dans le genre? La femme de Zuma n'est-elle pas dans un haut poste à l'UA? Je pense que Mandela a été important pour son pays, mais il également contribué à la création de quelque chose d'assez vicieux. Quant à la xénophobie, il y a du vraie, mais c'est partout pareil, on a appris cette semaine qu'en Inde nos congolais ont été maltriaté par la police.
Sur le lien ci-dessous, tu peux voir un article qui explique comment l'Appartheid continue d'exister en Afrique du Sud.

https://oglobo.globo.com/mundo/comunidade-sul-africana-mantem-vivos-restos-do-apartheid-8559115

J'ai aimé cet article de CNN, "It's time to let him go"
https://edition.cnn.com/2013/06/09/world/africa/south-africa-mandela

nathyk
Répondre

Je ne suis pas du même avis que Serge qui dit que Mandela a créé quelque chose d'assez vicieux. C'est bien facile de juger les gens de loin. Les livres et les articles ne disent pas tout, la réalité du terrain est tout autre. Il faut visiter le musée de l'Apartheid à Johannesburg pour avoir une image plus claire de qui est Mandela et de ce qu'il a fait pendant et après l'Apartheid. J'ai vécu en Afrique du Sud, je continue d'y vivre. C'est vrai qu'en Afrique du Sud, il y a encore cette séparation qui est forte où les blancs et les indiens ont un grand pouvoir économique, les meilleurs postes et les noirs sont encore en bas de l'échelle. Ceci est du en premier à l'oppression subi de l'Apartheid et en conséquence au retard que les noirs ont accusé au niveau éducatif, puisqu'ils étaient empêchés d'évoluer et réduits à servir les blancs.Depuis 1994, l'apartheid est fini. Mandela aurait pu chasser tous les blancs, il ne l'a pas fait.La population noire a eu libre accès à l'éducation mais le pouvoir économique manquait, de plus la plupart était déjà habitué à un système de vie, à la révolte, la rage et cela peut expliquer la violence dont David a parlé dans son texte. En psychologie, on dit un abusé devient facilement un "abuseur". De plus, il faut toute une génération pour que l'éducation soit fermement établie chez les noirs et commence à porter des fruits, or la plupart, jusqu'à présent préfère des formations courtes ou dans le domaines du show biz question de gagner rapidement des sous. Côté éducatif, le système scolaire primaire dans les écoles d'état est faible contrairement au système universitaire, or les blancs ont assez d'argent pour mettre leurs enfants dans des écoles privées excellentes et onéreuses, ce qui les assure encore les meilleures places dans les meilleures universités. L'une des choses qui a été mise sur pied pour réduire un peu les différences économiques entre blancs et noirs, c'est le Black Brothers Empowerment qui veut que l'on choisisse de préférence un noir même moins qualifié devant un blanc plus expérimenté pour un poste... Ceci afin de rétablir une certaine équité, un équilibre, c'est un peu comme une sorte de dette morale pour toute l'injustice engendrée par l'Apartheid, qui a entrainé sur le long terme des conséquences très lourdes. Ça fait toujours débat jusqu'à l'heure actuelle et même le Cardinal Desmond Tutu en parle, il y a eu des émissions sur cela notament sur 3rd Degree (e-tv). Beaucoup de jeunes gars se sont enrichis après l'Apartheid créant une élite, grâce à l'argent investi dans les mines. L'un de ces gars est Julius Malema. De un, ces gars là c'est pas Mandela qui leur a demandé de se comporter de la sorte, ils agissent comme tout politicien véreux. Si Mandela voulait installer un sytème si vicieux que ça, il n'avait qu'à faire comme Mugabé quitte à faire couler l'économie totale du pays et l'équilibre social si fragile soit il. Et depuis que Mandela a laissé le pouvoir, il s'exprime très rarement encore moins sur les questions politiques. Alors le problème c'est Mandela, ou plutôt les gars avides de pouvoir, prêts à rentrer dans des réseaux de corruption ? De deux, ces noirs élitistes là ne s'associent pas avec les blancs au contraire c'est deux extrêmes, ils veulent justement prouver aux blancs qu'ils peuvent aussi être riches et beaux. Mais que le problème soit la minorité blanche riche ou l'élite noire, qui souffre de cette inégalité de répartition ? C'est la masse noire, qui n'a pas encore pour la majorité atteint une niveau éducatif très élevé... mais au moins ceux qui ont des diplômes univ sont garantis d'avoir un travail très respectable (la politique du BBE aidant à réduire la compétition).
C'est vrai que la xénophobie et la violence ne concernent pas tous les sud-africains mais il y a des explications à ces comportements là et il faut remonter à l'oppression qu'ils ont subi pour le comprendre, peut être pas l'accepter mais c'est compréhensible.
C'est une nation qui encore en plein processus de maturation et dont l'équilibre social est très fragile mais les mélanges commencent à voir le jour, les différentes races se familiarisent peu à peu et on espère le meilleur pour eux et ça viendra quelque soit le temps que ça prendra.

Serge
Répondre

nath, je connais bien le concept d'affirmative actions mis en place dans les universités sud africaines d'ailleurs. En meme temps je ne vois pas trop de contradicions entre ton commentaire et le mien, parce qu'apres tout tu reconnais également l'existence de cette élite noire, qui plus est crée une caste au pouvoir. Je ne dis pas que Mandela a voulu créer quelque chose de vicieux, je dis que la succession qu'il a favorisé au pouvoir a eu des conséquences négatives.

Parise Mastropaolo
Répondre

Ce billet troublant de vérité. Que dire de plus? J'ai mal à l'âme. Québec, Qc. Canada