Comment boire des Flag avec une Tchadienne sans se retrouver dans le lit d’un Nigérian (Quatrième Partie)
Résumé de la troisième partie : Le héros, jeune Togolais vivant à Bamako, est dans un bar bamakois, très chaud, pour prendre un verre avec des amis tchadiens.
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« Beynaud oh oh, ton coupé-décalé est confirmé oh oh, ce n’est pas ma faute oh, c’est Dieu qui m’a donné, oh oh…»
Le salon de 80 à 100 mètres carré, très légèrement éclairé par deux néons peints en bleu pour tamiser la lumière et permettre aux mains rebelles et récalcitrantes de s’égarer de temps en temps dans des zones plus ou moins interdites, aux bouches de se rencontrer, aux langues imbibées de bière, de salive et d’envies de se sucer, le salon sombre, donc, était occupé par une centaine de buveurs regroupés autour de petites tables disposées en rond sur le périmètre, remplies de bouteilles de bière et de liqueurs. Quelques cavalières zélées, le no man’s land de la trentaine passé pour certaines, sûrement un ou deux gosses déjà coincés dans le slip et liquidés en catimini aux mamans restées au village, pour montrer à leurs dragueurs un petit, un tout petit avant-goût de ce qui allait se passer cette nuit dans les lits douillets, loin des yeux jaloux, se déhanchaient sur la petite piste de danse réservée au milieu des tables.
La table où nous attendaient les Tchadiennes était à l’autre bout du salon, et nous dûmes traverser toute la piste de danse, Mahamat profitant du tumulte pour distribuer quelques légères caresses de main sur des fesses honteusement grosses vadrouillant çà et là sur le morceau en vogue de Serge Beynaud, tout en me murmurant à l’oreille : « Je te jure que je ne sais pas comment les Blanches arrivent à exciter leurs hommes, parce que chaque fois que je vois leurs fesses aussi plates que les paumes de la main, et leur poitrine déserte j’ai envie d’éclater en sanglots. Pour moi c’est indiscutable, une femme, c’est avant tout les fesses et la poitrine, le reste vient après. Un ou deux roulements de hanches, un coup de poitrine et t’es déjà debout, voilà une femme, une vraie femme. Et puis tu imagines que celle que je viens de toucher n’a même pas de slip sous son mini, hein, c’est ce qu’on appelle Vol direct Terre-Septième-Ciel, ça te libère des longues et encombrantes escales des dessous à enlever, hi hi hi… La vie est trop belle dans les bars, je te jure, David. »
Une fois qu’elle m’aperçut en compagnie de Mahamat, une des Tchadiennes sauta de sa place, une bouteille de Flag en main, et se jeta à mon cou : « Davidééééé, le roi David, tu vois que je connais déjà ton nom, hein, je suis une magicienne, il paraît que t’es un grand prof de Marketing connu dans tout Bamako, ça tombe bien, je vais m’inscrire en Marketing, tu seras mon encadreur, viens, je te présente ma copine, allez viens, chou. » Je traçai un léger sourire sur mes lèvres, me rappelant ce que me dit un soir un ami ivoirien devant une étudiante nigérienne qui faisait sa strip-teaseuse dans une boîte de nuit : « Tu sais, ces filles sahéliennes aux instincts atrophiés dans leurs pays par les contraintes ridicules de la tradition et les hypocrisies de la religion sont comme des tigres apprivoisés et privés pendant des années de chair et de sang, une fois qu’elles ont l’occasion de s’échapper, bonjour les dégâts. Ses parents, chez elle au Niger, l’imaginent actuellement en train de réviser ses cours dans sa chambre, voilée, mais tu vois ce qu’elle est en train de faire ici ? »
Une dizaine de bouteilles vides de Flag étaient éparpillées sur la table, cinq devant une des filles, trois devant l’autre, quatre devant Mahamat. Avant de se rasseoir, la fille qui était venue m’accueillir m’installa juste à côté d’elle, sortit trois bouteilles de Flag d’un casier de 24 bouteilles à moitié vide posé à côté d’elle, et les déposa devant moi en me tapotant sur l’épaule : « Chou, faut déjà commencer. La nuit sera longue, très longue. Les Flag, ça ne descend agréablement que quand on prend tout son temps pour les avaler. » Je voulus lui demander où elle avait appris à prendre de la bière au Tchad, mais je me ravisai rapidement, je n’étais pas là ce soir pour savoir celui qui avait mis du lait dans la noix de coco, mais pour boire du lait de coco. Je crois bien avoir déjà entendu le comédien ivoirien Gohou, ou l’intellectuel, euh le chanteur de soukouss congolais Awilo Longomba, ou le philosopho-moraliste togolais Eyadema, ou Djénéba la bonne sénégalaise de ma voisine, je crois donc bien avoir déjà entendu un des personnages de ce beau monde aussi hétéroclite que loufoque dire que trop parler c’est maladie.
Mahamat, assis à ma droite, fit notre présentation, après avoir vidé d’un trait une bouteille de Flag. Halimatou et Jamila, nos deux cavalières. Bachelières tchadiennes, musulmanes modérées, célibataires sans enfants, venues faire des études commerciales au Mali. David, Togolais ayant un nom de famille trop difficile à prononcer, chrétien pratiquant n’allant presque jamais à l’église, toujours célibataire et bizarrement pas même avec un seul enfant, enseignant de marketing allant au cours chaque jour en retard et plus proche de ses étudiantes que de ses étudiants, écrivain francophone adulé par ses 14 lecteurs mais aussi inconnu en France qu’un joueur de foot tchadien en Italie, blogueur presque impoli et plus provocateur qu’un singe de conte, accusé de temps à autre de blasphémateur par les catholiques quand il écrit sur les prêtres, d’apostat par ses frères en Christ protestants quand il raille les pasteurs, d’islamophobe par les musulmans quand il applaudit les caricatures de Mahomet dans Charlie Hebdo, de misogyne par les femmes quand il traite les filles de matérialistes, de pédé par les bobos hétéros quand il défend les homosexuels africains, de néocolonialiste par les patriotes africains quand il applaudit la France en guerre en Libye…
Il dut arrêter ma présentation quand les deux filles éclatèrent bruyamment en rires. « T’as un sacré curriculum vitae, toi » me fit Halimatou, celle qui était venue m’accueillir, en me déposant un léger baiser sur la joue. J’avalai une gorgée de salive, et me remémorai une définition de la bière Flag que m’avait donnée une nuit, en 2011, un mentor écrivain dans un bar bamakois. Flag : Femme Libre Attend Garçon. Ouais, Tchadienne libre attend garçon, et elle l’aura ce soir, inch Allah, me suis-je dit en souriant légèrement, et en portant ma première bouteille de Flag à la bouche.
A suivre…
Note : Ce texte, dont le titre est inspiré du célèbre titre « Comment faire l’amour avec un Nègre sans se fatiguer » est écrit pour saluer l’élection de l’éminent écrivain d’origine haïtienne Dany Laferrière à l’Académie française. Tant qu’existeront des hommes comme ce monsieur, le rêve de forger des mots, de les rendre plus beaux, plus doux, plus vivants, hantera toujours des générations et des générations.
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