Pour que la Terre se souvienne d’Haïti

19 août 2011

Pour que la Terre se souvienne d’Haïti

Haïti ! Terre-Malheur, Terre-Catastrophe, Terre-Mélancolie, Terre-Pitié ! Ah Haïti ! Rien ne l’a épargnée, cette terre ! L’esclavage, la dictature des Duvalier, les ouragans, les tempêtes, les tremblements de terre…

Cette terre si lourde des empreintes de l’histoire, si grande par l’héroïsme de ses fils toujours debout, si belle par sa végétation, surnommée la Perle des Antilles, si riche par sa culture… reste un symbole, le symbole de la lutte de l’homme contre la nature. Car rien ne semble lui être clément, la terre d’Haïti, même la nature qui la châtie, la rudoie, la flagelle, violant au jour le jour l’innocence d’un peuple qui n’aspire qu’à la paix qu’il n’a jamais eue.

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Etre Haïtien, tout un art, une science ! Car Haïti doit demeurer, exister, être… vivre, malgré les coups, les gifles, l’humiliation au quotidien. Et les fils et filles de ce pays si beau et si grand l’ont depuis fort longtemps compris. Il faut un pacte, un pacte qui doit lier chaque Haïtienne et Haïtien à sa terre, un pacte à travers lequel chaque fille et fils de ce pays s’engage à parler Haïti, chanter Haïti, écrire Haïti, crier Haïti, pour qu’on ne n’oublie pas, le premier pays au monde issu de l’esclavage.

Et les filles et fils d’Haïti savent bien respecter ce pacte séculaire, ils savent si bien chanter leur pays, écrire leur pays, crier leur pays, que la seule chose que semble aujourd’hui posséder Haïti, que la nature n’arrive jamais, n’arrivera jamais à lui arracher dans son acharnement, est la culture. Haïti ne possède que sa culture. Et elle restera, la culture haïtienne, même quand la dictature, les tempêtes et ouragans, les tremblements de terre… auront tout ravi à cette terre.

Ce pacte qui lie les filles et fils d’Haïti à leur terre se lit dans le petit recueil de poèmes de deux jeunes Haïtiens, Jean Watson Charles et Wébert Charles, Pour que la terre s’en souvienne. Haïti portée par deux jeunes voix. Des textes courts, presque épars, mais liés par une musique mélancolique et douce, une mélopée rythmée par des voix écrasées par la solitude, la tristesse, la désolation devant le sombre tableau de cette ville « où les cadavres vont à la mer… comme à l’église »… Mais où percent un courage stoïque et un espoir presque serein « Nos cœurs sont des pierres tombales, Fossiles recyclables, D’un pays putréfié ». Tout chante dans la poésie des deux jeunes Haïtiens, des vers obscurs par endroits, des images un peu floues, sombres, mais très expressives « Nos corps sont des rues laminaires, Où chaque passant, Laisse ses errances, Mais la vie n’est pas une cicatrice, Sur nos sexes, Ni une offrande à la terre ». Un hommage est rendu au poète et éditeur Haïtien Rodney Saint-Eloi, Poète de la de-ville, un poète très enraciné, comme tous les créateurs haïtiens, dans sa terre natale. Un autre hommage aux petites filles victimes des inondations des Gonaïves, « Je sais que la mer, A voulu semer toutes ses dérives dans nos yeux… » Il s’agit de montrer la terre d’Haïti comme elle est, une terre qui souffle la tristesse, la désolation à ses fils « Nos corps seront toujours des sacrifices, Livrés au soleil, Car nous avons brisé toutes nos déroutes, Contre les murs de nos Babel », mais pas le désespoir « Je continue ma route, Car ma soif est lointaine ».

« Non, Haïti n’est pas une terre qui mendie », s’insurgeait, du haut de son émotion, un Haïtien lors du tremblement de terre qui a dévasté ce pays le 12 Janvier 2010, faisant plus de deux cent mille morts. Bien sûr qu’elle n’est pas une terre qui mendie, Haïti. Qu’a-t-elle à mendier, une terre qui sait produire des fils qui l’aiment, qui la chantent, qui l’écrivent comme elle est ? Que peut-elle mendier, une terre qui a autant de poètes que d’autres ont des gratte-ciels, des hommes d’affaires, des milliardaires qui les oublient toujours, les renient des fois, dans leur ahan dans l’accumulation des vanités d’ici-bas ? Que peut mendier une terre qui a pu produire à la fois Dany Lafferière,  Lyonel Trouillot, Frankétienne… ?

Pour que la Terre s’en souvienne, Editions Bas de page, Haïti, 2010.

Note biographique

Jean Watson charles

Jean Waston Charles

Né à la  Croix-des-Bouquets, Jean Watson Charles, a fait ses études de lettres à l’Ecole Normale Supérieure. Poète, nouvelliste, il est membre de l’Association haïtienne des cinéastes. Il a publié plusieurs articles sur Hector Hyppolite, Marie Chauvet, Dany Laferriere…  dans le quotidien Le nouvelliste et le matin. Organisateur du printemps des poètes  à l’institut français d’Haïti en mars 2009, il étudie la sociologie. Il vit à Port- au- Prince.

Wébert CHARLES

Wébert Charles est né à Port-au-Prince. Etudiant en économie, il est également poète et nouvelliste. Il a publié un collectif avec la participation de plusieurs jeunes poètes  » Anthologie des jeunes poètes d’Haïti (Mai 2008).  Il écrit en créole et en français

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Commentaires

David Kpelly
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It's on!

yslande
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Merci pour ce billet! Et oui, Haiti, n'est pas une terre qui mendie...
"Que peut-elle mendier, une terre qui a autant de poètes que d’autres ont des gratte-ciels, des hommes d’affaires, des milliardaires qui les oublient toujours, les renient des fois, dans leur ahan dans l’accumulation des vanités d’ici-bas ? Que peut mendier une terre qui a pu produire à la fois Dany Lafferière, Lyonel Trouillot, Frankétienne… ?"

David Kpelly
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Un plaisir d'avoir laissé un mot sur cette terre si extraordinaire mais injustement frappée par la nature.
Amitiés

Charles Lebon
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"Etre Haïtien, tout un art, une science ! Car Haïti doit demeurer, exister, être… vivre, malgré les coups, les gifles, l’humiliation au quotidien." : tel doit être notre credo de solidarité avec cette terre en effet!

Avec Haïti, je crois que je suis Haïtien!

Amitiés!

David Kpelly
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Haïtiens, nous le sommes tous. Haïti est la mère de toutes les républiques noires. Cette terre mérite plus que ce que nous lui offrons aujourd'hui, l'indifférence. Tous debout pour Haïti.
Amitiés