La meuf de celui-qui-mange-du-porc
« Dzi mi ko dé kopéa mé, halan détsia sou gbon, Vogan nyo wou Lome… ». Rien d’une incantation, les enfants. Juste une histoire de viande de porc qui serait mieux préparée et plus abondante à Vogan qu’à Lomé, rendant ainsi la vie plus vivable, plus vivante, plus agréable, dans la première ville que dans la seconde pourtant capitale du Togo.
Ah, la viande de porc et nous, Togolais du Sud, une longue, très longue histoire d’amour ! Cette viande-là, c’est presque une partie de nous, une grande partie de notre quotidien, de notre histoire. L’adage populaire connu dans presque toute ma région et celles environnantes le stipule si bien : « Si tu veux faire la paix avec ton plus farouche ennemi, offre-lui de la viande de porc et une gourde de vin de palme frais ». Et la légende raconte les exploits de cette femme infidèle qui, grâce à cette viande-vedette, faisait venir, chaque soir, son amant dans sa maison conjugale, sa chambre conjugale, son lit conjugal, et se faisait visiter et revisiter durant une bonne partie de la nuit, sous la barbe de son mari. Chaque soir, que la légende raconte, l’infidèle faisait un bon plat de pinon – pâte préparée à partir du gari de manioc, arrosée d’une bonne sauce huilée pleine de morceaux de viande de porc. Le mari gourmand, se croyant aimé, choyé, se gavait, se remplissait, et, gorgé comme un boa, s’endormait, s’évanouissait dans un fauteuil dans la cour. L’amant arrivait quelques minutes plus tard, sur un signal de l’infidèle mariée, passait sous le nez de son rival ronflant comme un vieux moteur chinois, rentrait chez l’infidèle, caressait, déshabillait, plongeait, se retirait, replongeait, escaladait, pompait, jerkait… faisant rythmer les hurlements de plaisir avec les ronflements sourds du lourd cocu affaissé dans la cour, drogué par la délicieuse sauce de viande de porc. Et après les ébats, après le départ de l’amant, la Dalila réveillait, réanimait le cocu, lui offrait le reste du plat-drogue. Le lourdaud se gavait de nouveau, rotait gaillardement, murmurait « Je t’aime, ma femme, tu sais trop bien préparer la viande de porc» à l’infidèle, avant d’aller mourir drogué dans le lit qui venait de servir à le tromper.
Je ne puis dire à quel âge j’ai commencé à consommer du porc. Très jeune, mon père, qui n’avait que deux passions, la poésie et la viande de porc, me trimballait, tous les week-ends, dans tous les restaurants de la ville où l’on préparait sa viande préférée. On commençait avec les boyaux servis avec un plat de riz dans un restaurant du sud de la ville, pour terminer avec la graisse fondue en sauce accompagnant du pain dans un restaurant du Nord. Je n’étais que viande de porc en ces temps-là… Mais, presque incroyable, ayant grandi, j’avais, autour de vingt ans, délibérément, refusé de consommer ma viande-héritage, les conditions hygiéniques dans lesquelles elle était préparée dans les restaurants togolais ne m’inspirant pas confiance.
Jerk ! Les orgasmes d’un mangeur de viande de porc, c’est comme les Gnassingbé, quand un défunte, l’autre prend sa place, la même place. Ils reviennent toujours au galop. C’est ainsi qu’il y a trois jours, comme un petit rien de fils qui prend la place de son défunt dictateur de père sur un fauteuil présidentiel, un orgasme, un tout petit orgasme d’ancien mangeur de porc m’est venu. Fallait en manger ce soir, bien me gaver, satisfaire tous les désirs refoulés, surtout que d’autres choses intéressantes m’attendaient durant la soirée.
Avec l’aide d’un compatriote expert en la matière, je retrouvai un petit restaurant caché dans un quartier situé à plus de trente kilomètres du mien. Un restaurant où l’on vendait de la viande de porc, de la vraie viande de porc ! Ah, la chaleur des retrouvailles ! Moi l’enfant prodigue, qui retrouvait les amours de son père, la viande de porc, après tant d’années d’errances ! J’en ai mangé, dévoré, avalé, mes fétiches ! Les boyaux, la chair, les os, la graisse, la moelle… Un échappé du séminaire qui se retrouve dans une maison de tolérance. Rattraper les atrocités de la privation !
Un sachet plein de boyaux bien cuits et pimentés en main, je retournai, à la hâte, chez moi, fredonnant « Quand Margot dégrafait son corsage… » un vieil air de Georges Brassens. Cet air immortel devient sublime quand vous le chantonnez après une overdose de viande de porc, surtout quand un nouveau corsage à dégrafer vient de vous faire signe, vous attendant chez vous.
Un charmant sourire, comme l’ont toujours été ceux des nouvelles conquêtes, m’accueillit. Bon Dieu des fornicateurs ! Avec toute la classe et la splendeur de ces petites filles toujours bling-bling, dire que Tu t’obstines à ne pas mettre à jour Ta Table de la Loi ! Faudra, mon bon vieux Dieu, remplacer le septième commandement ! Y a plus d’adultère, encore moins de fornication, mon Dieu ! C’est la vie, Tu dois le comprendre enfin ! « Tu ne commettras point d’adultère », remplace ça, mets par exemple « Tu ne remplaceras point ton père sur le fauteuil présidentiel » ! Pense à punir Faure Gnassingbé et Ali Bongo, et oublie nous autres fornicateurs ! Amen.
– T’étais où, suis là depuis trente minutes.
– Euh, j’étais parti manger un peu de viande.
– Tu m’en as emmené ?
– Mais bien sûr, comment puis-je manger sans penser à toi, hein, tu sais que t’es la nouvelle étoile qui illumine ma vie, poétisai-je gauchement – elles aiment ces poésies à un centime, en déposant le sachet sur la table devant elle et un baiser sur ses lèvres brillantes et parfumées.
Elle ouvrit le sachet et fit une moue de dégoût devant l’odeur qui s’y était échappée.
– C’est quelle viande, hein ?
La mine était menaçante.
– Euh, c’est de la viande de…
– De quoi, hein, je connais l’odeur de la viande de bœuf et du mouton, cette odeur est différente, c’est quelle viande ?
Je voulus lui dire que c’était du chien ou du chat, mais c’aurait été pire. Naufrage ! Terre et Ciel, dire quelque chose pour la calmer, elle hurlait déjà !
– Ah bon, tu m’as fait venir chez toi pour me faire manger du porc, hein ? Tu veux me toucher après avoir mangé du porc hein, eh Allah, c’est toujours compliqué avec vous les étrangers qui ne priez pas et…
Ciel, dire quelque chose ! Déjà debout, les yeux rouges de rage. Elle partait ! Plus de six mois de drague et se faire ainsi planter ! La poisse, la poisse ! Dire quelque chose, n’importe quoi pour la calmer !
– Euh, écoute, Aïcha, je… ce n’est pas ce que tu crois, hein, cette viande-là, elle est, elle m’a été offerte par…
– Laisse-moi sortir sur-le-champ ou j’appelle la police pour tentative de viol. Et plus jamais ne fais sonner mon phone ou je le dis à mon fiancé. Tu es impur.
Elle sortit en fracas, en manquant de briser ma porte. Le feu au cul, l’entrecuisse dilatée, je m’affaissai sur le canapé, allumé, dur, sevré, frustré, en poussant un soupir de désespoir. Aïe ! Au moins si j’avais été un prophète ! Ecrire un verset, une sourate, pour punir la viande de porc : « Ne mangez pas la viande de porc qui éloigne de vous les belles minettes ! »
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