Les cauchemars africains d’Alain Mabanckou

Mountaga Fané Kantéka. Le nom ne dira sûrement pas grand-chose à plusieurs personnes. Il ne me disait non plus rien avant ce lundi matin, où je suis tombé sur le post Facebook d’une journaliste togolaise qui accusait le monsieur de mauvaise foi. Le lien du post renvoyait au blog du sieur Mountaga, qui, dans un long article intitulé, L’Énigme Mabanckou ou comment devenir un « auteur » célèbre sans être un accuse l’écrivain franco-congolais Alain Mabanckou, Prix Renaudot 2006, de plagiat. Mountaga Fané Kantéka, d’origine malienne, et qui se définit dans son blog comme un « Ecrivain-poète prolifique, ayant dans sa besace plusieurs œuvres inédites et protégées par le Bureau Malien de Droits d’Auteur… », accuse Alain Mabanckou de l’avoir plagié dans ses deux ouvrages majeurs Verre Cassé (Le Seuil 2005) et Mémoires de Porc-épic (Le Seuil 2006). Alain Mabanckou plagiaire, en voilà une qui peut retenir la curiosité !
Je n’ai pas lu l’ouvrage de Mountaga Fané Kantéka, « Odyssées noires/ Amours et mémoire d’Outre-monde/ La main de Soumahoro et la mort d’un mythe », qu’aurait recopié Alain Mabanckou, et je ne suis pas en mesure d’infirmer ou de confirmer la plainte du Malien. Mais ce qui frappe est la hargne et la haine avec lesquelles la présumée victime de plagiat traite Alain Mabanckou. « L’histoire de ce jeune Africain issu de parents analphabètes qui, pour triompher de sa difficile naissance dans la ville côtière de Pointe noire au Congo Brazzaville, rêvait, au bord de la mer, de devenir un jour grand écrivain. Sans en avoir, hélas, les moyens… Se retrouvant ainsi dans un engrenage diabolique qui l’amena à accumuler sur sa tête de graves infractions, allant de la contrefaçon à l’usurpation d’identité. Un destructeur et un voleur de cervelle en puissance ! Un récidiviste de la contrefaçon ! Si bien qu’au lieu de grand écrivain, Alain Mabanckou risque purement et simplement d’être marqué du sceau indélébile de grand criminel de droit commun, condamné à ressasser en prison ses rêves de mégalomane… »
Il est difficile, avec de telles attaques, de déterminer où s’arrête la rage d’un créateur dont l’œuvre intellectuelle a été volée, et où commence la jalousie et l’aigreur d’un écrivain resté inconnu, et qui ne pardonne pas à son collègue d’avoir réussi là où lui il a échoué. Monsieur Mountaga, comme tout autre écrivain, a le droit de porter plainte contre Alain Mabanckou ou tout autre écrivain, s’il sent son ouvrage copié. La création littéraire est l’un des exercices les plus compliqués de l’activité humaine, et voir un autre recopier sans peine ce qu’on a passé des nuits blanches à concevoir peut mettre tout créateur dans un mauvais état. Mais quand les revendications du plagié se changent en injures graves et injustifiées, menaces, diffamations gratuites… contre le présumé plagiaire, ça sent plutôt la frustration et l’aigreur.
La méthode utilisée dans la plainte pour accuser Alain Mabanckou est d’une étrangeté indescriptible. Il s’agit de lui attribuer les propos de son célèbre personnage loufoque, le soulard Verre Cassé du roman éponyme. Ainsi, Verre Cassé qui déclare : « …Tout cela c’est que du rêve, mais le rêve nous permet de nous raccrocher à cette vie scélérate, moi je rêve encore la vie même si je la vis désormais en rêve, je n’ai jamais été aussi lucide dans mon existence… », c’est Alain Mabanckou qui se sent triste et pleure sur sa vie de scélérat et de plagiaire. Verre Cassé qui affirme : « Si j’étais écrivain… j’écrirais comme les mots me viendraient, je commencerais maladroitement et je finirais maladroitement, comme j’avais commencé… » devient Alain Mabanckou qui affirme son incapacité à être un bon écrivain… A un moment, on se pose des questions sur les vraies capacités littéraires et intellectuelles de Monsieur Kantéka.
Il faut avouer que la bêtise qui a toujours rongé notre monde intellectuel est des fois très révoltante. Quel hideux spectacle que de voir des intellectuels africains, ceux-là qui disent parler pour l’Afrique, défendre l’Afrique, faire respecter l’Afrique, se donner entre eux des coups si louches ! Chaque fois qu’un écrivain africain commence à émerger, à s’imposer devant la face du monde, ce sont d’autres écrivains africains, jaloux, aigris, et étouffés par leur médiocrité qui cherchent à le discréditer aux yeux du monde. On a écouté des écrivains africains traiter Ahmadou Kourouma, l’un des écrivains africains les plus illustres, d’ « écrivain inculte et analphabète », on a vu des complots d’écrivains africains montés contre le très jeune écrivain malien Yambo Ouologueum quand il recevait le Prix Renaudot pour son monument « Le Devoir de Violence », on a vu des écrivains et intellectuels africains accuser le Congolais Sony Labou Tansi de ne pas être l’auteur de ses textes, et d’avoir, dans son grand roman « La Vie et Demie », plagié « Cent ans de Solitude » de Gabriel Garcia Maquez, des critiques africains s’associer à une vaine polémique qui accusait Camara Laye de ne pas être le vrai auteur de son roman « Le Regard du Roi »…
Il y a deux semaines, c’était un écrivain congolais, Aimé Eyengué, qui, fabriquant de toutes pièces une critique contre le concept de littérature-monde que promouvrait Alain Mabanckou au Festival Etonnants Voyageurs de Brazzaville, vomissait tout son fiel contre le Prix Renaudot. Il lui reprochait tout et rien : son mépris vis-à-vis des jeunes auteurs congolais, son côté bling-bling, son refus de reconnaître qu’il y a une communauté noire en France, son délit d’avoir délocalisé à Brazzaville la radio France Inter dans le cadre du festival, son crime d’être publié dans les grandes maisons d’édition françaises… et, pendant qu’on y est, pourquoi pas sa casquette et ses chemises à col italien ?
C’est ainsi que nous démolissons nous-mêmes, par nos suffisances et nos insuffisances, nos monuments – puisque Mabanckou en est un. Et on s’étonne après que les autres ne nous vendent pas au prix que nous méritons, que nos intellectuels ne sont pas écoutés, que nos écrivains ne sont pas lus et reconnus en Occident… On s’étonne que jusqu’ici il n’y a toujours pas de voix assez fortes pour défendre l’Afrique… Heureusement que la juste formule, Mabanckou l’a trouvée, et il rira bien à toutes ces attaques de ce cruel monde intellectuel africain où son succès va le contraindre à se sentir si seul, car il sait que c’est ainsi que va notre monde, à nous Africains, et nos bassesses avec.
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