La facture 2.0 de ma future femme
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Je suis un conseiller à succès. Bah, ouais, disons quelqu’un que l’on peut baptiser un conseiller spécial délégué auprès des époux et futurs époux, parce que, faut pas faire, bien que je sois aussi célibataire que Faure Gnassingbé – même si je n’aime pas trop cette comparaison inégale parce que moi je n’ai pas encore trente ans, j’ai encore un peu de temps pour faire la teuf-teuf alors qu’il a plus de quarante ans lui, je suis très beau et très drôle, les filles m’aiment, même les Somaliennes, et elles ne se fâchent pas même quand je dégueule des saloperies sur elles, moi un mélange réussi de Brad Pitt et de Desproges, et c’est normal que j’aie l’embarras de choix entre elles, alors que lui Faure, lourd, taciturne, haineux, violent, fils de dictateur sanguinaire… il est tout ce que les filles détestent et ne peut pas dire qu’il a l’embarras de choix comme moi, et je ne comprends pas jusqu’ici pourquoi il est toujours célibataire à presque cinquante ans… mais bon, passons, je disais, donc, que même célibataire, je suis sollicité par mes amis mariés ou désirant le faire, pour leur conseiller les filles qu’ils doivent épouser ou ne pas épouser, comment ils doivent tromper leurs femmes, comment ils doivent tenir à l’écart de leur vie conjugale leurs maîtresses…
J’ai, donc, ce soir, sur mon bureau de conseiller à succès, un dossier si simple mais qui me donne des envies de meurtre. Un ami malien, Omar, jeune agent de banque, pressé par les parents de Kadi, une jeune étudiante de vingt-quatre ans qu’il a rencontrée il y a presque un mois, de venir payer la dot de la dulcinée, et d’organiser le mariage avant un mois, une partie de la dot, qui s’élève à plus d’un million de francs, devant servir à rembourser Ali, un autre prétendant de la dulcinée, ouvrier aux Etats-Unis, qui avait, l’année passée, payé un demi-million pour épouser la Kadi, mais qui ne peut plus payer l’autre partie, ayant perdu son boulot, et perdant ainsi sa presque-femme.
Mon ami doit, donc, en plus du montant normal de la dot, rembourser le loser étasunien pour pouvoir avoir sa femme en toute liberté, et devant ses hésitations, ne disposant pas de ce pactole, son futur beau-père lui conseille de vendre sa voiture, vite, parce qu’un autre prétendant, riche agriculteur et commerçant de cinquante-deux ans, attend la Kadi, il est prêt à tout payer. Voilà, alors, mon zigoto incirconcis d’Omar aussi refroidi que le museau d’un chien, venu dans mon cabinet de consultation, ce soir – quand je suis encore occupé à traiter le délicat dossier d’un autre ami désirant tromper sa femme avec la petite sœur de cette dernière, pas pour me demander des conseils, mais pour l’aider à faire un choix entre vendre sa voiture ou faire un prêt à la banque où il travaille pour payer la double-dot de Kadi.
Avant de lui répondre, j’ai cherché dans un tiroir de mon bureau mon fouet que j’ai acheté la semaine passée, parce que j’ai décidé de commencer ma charia locale dans mon quartier avant l’arrivée des islamistes de Tombouctou, deux-cents coups de fouet à toutes les filles de mon quartier qui oseront entrer chez un autre gars à part moi, Vlan, vlan, vlan, Allah ne vous permet pas, ô jeunes filles impures, de niquer avec un autre gars à part moi, Vlan, vlan, vlan, les hadiths vous interdisent, sales filles de la chair, de rentrer dans d’autres maisons à part la mienne… J’ai donc cherché, avant de répondre à ce zozo d’Omar, à le fouetter, parce qu’un fouet, je ne sais vraiment pas pourquoi la charia ne l’a pas mentionné, ça ne sert pas seulement à punir des impurs qui ne veulent pas respecter les recommandations d’Allah et de son prophète, mais ça permet aussi d’éveiller des idiots aux cervelles aussi dormantes que celle d’Omar.
Ah, la dot ! Elle est devenue dans certains pays africains, surtout les pays sahéliens où les traditions et la religion, avec cette étrange capacité qu’elles ont à abrutir les idiots, la dot est donc devenue dans ces pays appauvris par des traditions rétrogrades et des idéologies religieuses bancales – comme par exemple celle de faire beaucoup d’enfants parce que c’est Dieu qui les donne, un moyen pour des parents, surtout des pères, paresseux et imbéciles, de se faire une fortune. J’ai un voisin de quartier, vieux retraité, qui depuis sa retraite s’était donné aux jeux, sillonnant tous les cybercafés du quartier du matin au soir, misant sur des chevaux qui courent en Europe pour pouvoir subvenir à ses charges de père de famille, mais qui s’est acheté, il y a trois mois, au lendemain du mariage de sa fille de dix-huit ans, une voiture qu’il passe plus de temps à laver dans sa cour qu’à conduire, s’enorgueillissant devant ses admirateurs que faire une fille est le plus beau cadeau qu’Allah puisse offrir à un homme après le paradis. L’apostat a empoché son gain, que sa jeune fille aille souffrir à mort au foyer d’un vieux polygame macho parmi de vieilles sorcières aigries de coépouses, il n’en a cure. Mon bon vieux Dieu, je ne sais pas s’il ira vraiment au paradis, comme je ne connais pas encore Tes critères de sélection, mais il faut que je T’avertisse déjà, si je croise ce monsieur au paradis je file en enfer.
La devise est simple, et toutes les filles, même les plus petites, même les plus idiotes, même les plus sales la serinent dans tous les coins et recoins de Bamako, Il faut payer cher la dot parce que la femme est un trésor. Même Djénéba la bonne sénégalaise de ma voisine connaît cette formule, elle qui a des dents aussi jaunies de carie que je me demande toujours en la voyant quel jeune gardien de nuit lui fera un jour la faveur de lui plaquer une grossesse pour qu’elle ne meurt pas sans avoir pu trouver un mari. Paillardises !
J’ignore peut-être ce que cela signifie, un trésor, mais quand je vois de jeunes garçons, qui dans la plupart des cas se tuent dans des travaux pénibles, usant leur jeunesse, rétribués par de minables salaires, aller se vider dans les poches trouées d’un vieux raté aux dents rougies de cola stipulant qu’ils sont en train de payer la dot pour des filles qui ont passé tout leur temps à dévergonder, des fois juste pour des pacotilles comme un basin de quinze mille francs à porter à un mariage, ou des boucles d’oreilles à porter à l’anniversaire d’une copine pas moins décarcassée, ou une paire d’escarpins à porter en boîte pour aller se frotter durant toute une nuit contre de petits délinquants drogués, eh bien, je me dis que nous avons de drôles de trésors par ici.
Je connais le martyr que les femmes, surtout les nôtres, souffrent dans les foyers. La cuisine. Le ménage. Les grossesses. Les enfants. Je les plains certains soirs où, décidant de faire des omelettes ou frire un bout de viande, je reçois des jets d’huile bouillante en plein visage, me hâte d’éteindre la gazinière, et cours, énervé, dormir le ventre vide. Je les plains quand je rencontre au Togo une femme enceinte traînant un gros ventre, ployant sous un fagot de bois ou un sac de maïs ou de riz, essayant de calmer un bambin en pleurs au ventre aussi gros que le sien – pas de grossesse mais de kwashiorkor, alors qu’au même moment, le mari, celui-là même qui l’a mise dans cet état excité une nuit après avoir bu un verre de liqueur mélangé à une poudre aphrodisiaque, trompe une petite lycéenne dans un bar mal famé, ou fabrique d’autres grossesses avec d’autres victimes. Les foyers sont de véritables chemins de croix pour nos femmes. Mais s’il y a une récompense à leur faire, ce sont elles-mêmes qui doivent en bénéficier, et non des pères et grands-pères irresponsables qui généralement n’ont même rien fait dans l’éducation de ces filles, mais qui sont, phallocratie toujours au pouvoir, leurs premiers responsables le jour du payement de la dot.
Je suis toujours au bureau, le dossier d’Omar traité devant moi. Il ne paiera pas cette dot, bien sûr. Mais dès demain je lui établirai une stratégie pour labourer et relabourer cette Kadi pendant au moins un mois avant de la laisser, usée, à ses parents et leur dot. Je fais appel à Mouna ma secrétaire – Salut Mouna !, une jeune étudiante tchadienne que j’ai embauchée depuis une semaine dans mon cabinet de consultation d’époux et de futurs époux, Mouna que je compte, en bon directeur qui se respecte, draguer d’ici la fin de la semaine, il faut d’ailleurs que je le mentionne déjà dans mon agenda – Vendredi, 7h30 minutes : Draguer Mouna. Heureusement qu’elle est tchadienne, le Tchad est loin, très loin, Dieu m’est témoin, et le jour où elle me demandera d’aller payer sa dot au Tchad, je lui dirai de dire à son père de m’écrire sur Facebook pour qu’on discute des modalités de paiement.
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