Un démon dans le soutif du pasteur
Crédit Photo: Gaëtan Noussouglo (Togo)
Je n’avais finalement cru mon ami Rodrigue qu’une fois entré, ce matin de mars 2007, dans le Grand Temple Le Fouet de Jésus Va Fouetter. Décidément, le fouet et nos religions ! Si ce ne sont pas des criminels barbus cocaïnés qui l’utilisent pour violenter, blesser et tuer de pauvres innocents au nom d’Allah, c’est Jésus lui-même qui s’en sert pour fouetter je ne sais trop qui, peut-être Faure Gnassingbé, comme il mérite vraiment des coups de fouet, lui, Vlan vlan vlan, tu crois que le Togo est une propriété de ton vilain boiteux dictateur de père-là hein, Vlan, qui t’a dit que la compétence d’un chef d’Etat se mesure par le nombre de ses copines, hein, Vlan, tu vas enfin arrêter de laisser ta bouche entrebâillée comme un handicapé mental et enfin foutre la paix aux Togolais en quittant ce pouvoir que tu as volé, hein !
Je n’avais, donc, finalement cru mon ami Rodrigue qu’une fois entré dans le Grand Temple Le Fouet de Jésus Va Fouetter. Il était vraiment sur l’autel, Samuel, le pasteur Samuel, lisant le nom des fidèles qui avaient donné leur dîme, et mettant en garde les mécréants qui s’obstinaient à ne pas la donner, Eh bien, qu’est-ce que vous croyez, hein, tas d’hommes de peu de foi, vous êtes plus mauvais que les catholiques, plus voleurs que les protestants, plus dangereux que les animistes, plus criminels que ces assassins de musulmans, si vous ne donnez pas la dîme, mais alors, bande de juifs, bande de pharisiens, que voulez-vous, hein, que la maison de Dieu manque de provisions, hein, Dieu viendra chercher Son argent dans vos maisons si vous refusez de le payer, vos enfants et petits-enfants mourront comme ceux des Egyptiens sous Pharaon si vous refusez d’amener vos moissons dans la maison de Dieu, au nom de Jésus mourez mécréants, mourez, mourez… Aaaameeeen.
Je m’assis dans la première rangée pour qu’il me remarque. Il me remarqua après une dizaine de minutes, et l’expression de son visage montra qu’il m’avait reconnu. Bonne mémoire. Il me revit, deux ans avant, le livrant aux injures et coups de toute une maisonnée sous les yeux honteux de Nathalie l’infidèle, cette jeune femme mariée de notre cour qu’il venait fréquenter en l’absence de son mari. Le traquenard avait été simple, très simple pour le taquin provocateur que j’ai toujours été. J’avais dressé, pour le dénicher, un dogue prêté chez un ami libanais dealer qui s’accrocha une nuit à son pantalon, juste au moment où il sortait de la chambre de son amante. Poltron, il avait commencé à hurler, alertant toute la maisonnée, confirmant les soupçons qui planaient sur lui dans le quartier qu’il sortait avec Nathalie, notre voisine, en l’absence du mari de cette dernière. Hué, humilié, injurié, frappé, il s’enfuit de la maison après m’avoir foudroyé d’un regard kadhafien, et quitta le quartier le jour suivant sous la honte et les menaces.
Deux ans que nous nous étions perdus de vue, et mon ami Rodrigue m’informa qu’il était devenu un grand pasteur dans un quartier reculé de la ville, passant même à la télévision pour prêcher comme tous les pasteurs à succès au Togo. J’étais venu vérifier. Samuel l’enculeur des femmes mariées devenu pasteur, il n’est donc pas trop tard, messieurs et dames, soyez prêts, personne ne connaît ni le jour ni l’heure, mais nous entendrons bientôt parler d’un révérend Faure Gnassingbé, d’un révérend Sylvio Berlusconi, d’un révérend Jacob Zuma, d’une révérende Zahia, d’un révérend DJ Arafat…
Zen comme le pagne d’une nouvelle veuve, le Révérend Samuel continua la messe, me jetant de temps en temps de furtifs coups d’œil. La prédication fut simplement une campagne de dénigrement de l’Eglise catholique. Révérend Samuel, tout en hurlant, arrosait son interprète de la salive nauséabonde coulant de sa bouche, le pauvre interprète, chômeur recyclé, se croyant au temps de Noé sous ce déluge de salive fétide, essayant tant bien que mal de traduire les mots de son maître qui avait décidé, ce jour, de prêcher en anglais pour montrer aux fidèles qu’il n’était pas n’importe qui dans ce pays de n’importe qui. Chers frères et sœurs en Christ, je veux d’abord vous dire ceci, c’est Dieu Lui-même qui vous a guidés vers ce temple parce qu’Il vous aime. Voyez vos centaines de frères et sœurs qui se perdent dans ces églises où on leur apprend à adorer des statues. Regardez ces brebis perdues qui passent tout leur temps à réciter un poème sans sens qu’ils baptisent Pater noster. Allez et faites de toutes les nations de la Terre mes disciples, cette recommandation, c’est le Christ qui l’a donnée à ses disciples avant de s’en aller au Ciel, s’asseoir à la droite de son Père d’où il vous voit ce matin. C’est donc votre travail, vrais disciples de Jésus, d’aller amener vos frères qui se perdent dans ces églises de démons. N’avez-vous pas entendu parler de ces prêtres qui s’en vont chez les féticheurs chaque nuit, hein, ces prêtes qu’on nous dit chastes mais qui font des cochonneries avec des femmes mariées, avec des femmes semi-mariées, avec des veuves, avec des mineurs, et Dieu seul sait s’ils ne bandent même pas devant les statues de celle qu’ils appellent la Vierge Marie Mère de Dieu, Allez, allez, que ça saute, allez me faire venir tous ces salopards qui se perdent dans l’église de Rome. Allez, allez… Amen. Une explosion d’applaudissements salua ce message plein d’enseignements. La femme à ma droite versait même des larmes, prise d’une profonde sympathie pour ces brebis perdues de l’église de Rome.
Pendant la quête, le pasteur Samuel fut encore plus zélé, ne tenant plus sur place, courant de rangée en rangée en hurlant, Donnez à Jésus, chers frères et sœurs, donnez au Fils de Dieu qui pour vous a sacrifié sa précieuse vie, donnez pour ce jeune homme qui a pris sur lui tous vos péchés, donnez, donnez… La quête terminée, on passa aux témoignages. Vous recevez plus de bénédiction en donnant qu’en recevant, avait-il averti. Plus de dix femmes passèrent sur le podium, racontèrent ce qu’elles prenaient pour des choses merveilleuses dans leur vie et déposaient dans une cuvette presque remplie à bord des billets dont la saleté prouvait les difficultés que leur gain a causées à leurs possesseurs. Celle-ci, depuis son adolescence, avait des règles douloureuses mais depuis qu’elle mit pied dans cette église elle ne sentait plus rien, celle-là que sa belle-mère ne saluait jamais mais qui s’était, grâce au pasteur béni de Dieu, réconciliée avec cette dernière, cette autre qui avait assisté à l’agonie puis à la mort de sa coépouse qui voulait la tuer, cette quatrième dont le mari venait d’avoir le visa pour les Etats-Unis… Le pasteur Samuel, ex-niqueur de femmes d’autrui, nostalgique, l’entrecuisse gonflé comme un ballon de foot devant les déhanchements shakiriens de ces femmes désemparées comme leur pays, explosait dans des Dieu soit loué, Gloire au Fils de Dieu, Jésus a gagné dans ta vie, lançant de fréquents coups d’œil à la cuvette.
Après les témoignages payants, ce fut la grande prière de délivrance. La guerre avec les forces du noir où il fallait maltraiter et chasser tous les envoyés des démons présents dans le temple. Yeux fermés, tous. Le combat avec les esprits du noir commença. Brouhaha et hurlements. Comme tout le monde, je fermai les yeux, attendant les nouvelles mises en scène de notre cher révérend, quand je sentis subitement une forte claque de deux mains sèches sur mon dos. J’ouvris les yeux en poussant un grand cri sous la douleur. Révérend Samuel était debout devant moi, les yeux rouges et graves, hurlant, Le feu du Saint-Esprit sur les démons, Le sang de Jésus t’a vaincu, sois maudit pour l’éternité, Retourne en enfer d’où tu viens, chers frères et sœurs en Christ, je l’ai déniché… Avant que je fasse un geste brusque pour me retourner et détaler, une jeune femme me frappa violemment le visage de son pagne, en criant, Vous ne nous aurez pas si facilement, vous avez tué mon fils unique, mais le Saint-Esprit va vous dénicher. Je m’écroulai sur le plancher, face contre terre, sous les coups… Noir.
Je me réveillai quelques heures après, allongé sous le soleil dans la cour de la chapelle, plusieurs blessures sur tout le corps, sous le regard sévère du Révérend Samuel et quelques fidèles qui me fixaient avec rage. Dis-moi le nom du sorcier qui t’a envoyé, me demanda le saint homme d’une voix enrouée par la rage et la revanche. C’est la sorcière Nathalie ton ex, pensai-je en refermant les yeux sous la vive douleur.
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