Teuf-teuf dans le canapé de mon rival
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… Ecoute, Dévé, le problème est que des types comme toi c’est le degré zéro de la modernité. Tu comprends, hein. Regarde-toi très bien, t’es une honte. Ta profession est moche. Tu te dis prof, alors qu’actuellement aucun jeune ne fait plus ça, c’est réservé aux vieux atteints de cancer qui doivent vite mourir pour éviter les souffrances. Tu écris des bouquins, et c’est là le comble du ridicule, même les Témoins de Jéhovah ne s’intéressent plus à ça, les bouquins, c’est pour des dépressifs et des fous qui peinent à trouver leur place dans la société. Même tes goûts musicaux sont archaïques, tu passes tout ton temps à me crever les tympans avec Don Williams et John Coltrane, des succès morts avant les années quatre-vingt-dix, je me demande même si tu n’écoutes pas Zaiko Langa Langa et OK Jazz. T’es ridicule, passé de mode, chiant, éhonté, nuisible… et quand on te propose des affaires juteuses et dignes d’un vrai jeune, t’es là à traumatiser les gens avec tes conseils à deux balles. Tu m’aides ou pas, hein, si tu veux pas je peux contacter d’autres personnes, il y a des milliers et des milliers de jeunes gens, de vrais jeunes je veux dire, qui sauteraient sur l’occasion.
Je l’ai, pendant près de dix minutes, regardée, horripilé. Cette fille n’a jamais cessé de m’étonner. Deux ans de relation avec elle, mais je n’ai jamais pu la connaître dans toute sa perversité. « Tu sais, Dévé, ce monde est plein d’opportunités, il suffit de les exploiter, seuls les aveugles ne peuvent pas s’enrichir ici-bas, quand on a des yeux, faut voir, quand je vois des centaines de jeunes filles qui portent cette robe blanche sans en profiter, ça me faire marrer, je t’en dirai plus après, t’inquiète, tu sais que t’es mon bébé, c’est-à-dire mon bébé à moi », m’avait-elle écrit par sms le jour de son mariage. Elle m’avait promis un coup après son mariage, elle m’en offrait.
– Safiatou, tu sais quoi, hein, ce coup tordu et sans sens que tu prépares est une honte, une vraie honte pour la femme mariée que tu es et…
– Je ne suis pas une femme mariée, je suis une jeune fille, idiot, ceci montre encore combien t’es archaïque. Femme mariée, ça fait penser à un lourdaud de mari, des ordres à recevoir de lui, un lit moite à partager avec lui toutes les nuits, femme mariée ça fait penser à des gosses, à des odeurs d’urine et de morve … pire à des coépouses sorcières méchantes, des hiboux, tu vois, hein, c’est cette horreur que signifie femme mariée, et moi j’en suis pas une, tu comprends pourquoi…
– Et le mariage que tu as célébré le mois passé, ta bague de mariage que tu as au doigt, tous les documents que tu as signés, ton mari, ces…
– Hein, donc pour toi chaque fille qui passe devant un maire dans une longue robe blanche aux bras d’un vieil imbécile mangé par tous les virus de cette terre, un pépé à la braguette ouverte prêt à tirer sur tout ce qui bouge, tu crois donc que chaque fille qui déclare à la mairie prendre un zozo de quatre-vingt-dix ans usé par ses précédentes femmes, soûlé de Viagra et d’aphrodisiaques, comme mari pour le meilleur et pour le pire devient une femme mariée, hein, ô, mon petit, mon tout petit, la mairie c’est juste des mises en scène, des photos, de l’argent à faire au parents et aux oncles… et c’est ce que j’ai fait. Mon vrai mariage, eh bien, c’est ce que je te propose depuis plus d’une heure et que tu ne veux pas faire, le vrai mariage c’est des deals, c’est de l’argent qui fume, c’est un moribond à la tête rasée qu’il faut achever et envoyer en enfer…
– C’est cruel, Safiatou, cruelle cette vie-là et tu…
– Pas plus cruel qu’un cadavre ambulant qui se bourre les poches de billets de banque pour se présenter dans une famille, pointer du doigt une innocente adolescente dix fois moins âgée que lui, qu’il veut épouser et aller exposer aux méchancetés de vieilles femmes maltraitées, frustrées et aigries, pas plus cruel qu’un illuminé qui réduit, par sourates interposées, les femmes à des meubles qu’on peut disposer comme on veut dans sa maison pour l’embellir, pas plus cruelle, ma vie, que mes parents irresponsables qui m’ont vendue. Je ne sais même pas pourquoi je dois me justifier devant toi et…
– Je comprends, je te comprends, Safiatou, mais tu…
– Je n’ai pas besoin de tes conseils, Gandhi, tu contribues ou pas, hein, j’ai pas de temps à perdre, mon projet a besoin de temps.
– J’ai peur de cette étiquette de coureur de femme d’autrui, surtout celle d’un vieil imam, tu vois, hein, je préfère qu’on me caricature avec des couilles aussi grosses que ceux d’un taureau comme Jacob Zuma, qu’on m’intente une action en justice pour m’être tapé une pute mineure comme Berlusconi et Ribery, qu’on me tripote dans la presse pour pédophilie comme un prêtre… tu vois, hein, tout ce bazar ne fait pas très glamour mais c’est au moins bon pour la pub, mais se faire traiter de putain-de-vieux-célibataire-coureur-de-femmes-et-arracheur-de-meufs-de-stars-de-foot-ou-d’imam c’est du style Faure Gnassingbé, c’est déshonorant.
– Donc tu n’as rien capté de tout ce que je t’explique depuis une heure, hein, à part toi, moi et lui personne n’en saura rien, même sous l’effet d’une tonne de drogue et de mille barils d’alcool il n’en dira un seul mot à personne, ce sera une très grande honte pour lui, la honte de sa vie, voir sa femme qu’il a épousée depuis seulement un mois, la troisième et la plus jeune, se faire butiner par un jeune homme, étranger et chrétien, ce sera pour lui un déshonneur, il n’osera plus sortir dans le quartier, aller au boulot, à la mosquée, ou dans sa famille, et il préférera mourir que d’en parler, je connais les hommes de ce pays, surtout quand ils se baptisent responsables religieux, je suis née parmi eux, et je connais leur orgueil de vieux villageois, tu peux compter sur moi.
– Et tu crois que cela marchera aussi facilement que ça, hein, les enquêtes, les analyses, les tests, les témoignages et…
– Me fais pas rire, David, quelles enquêtes, hein, tu vois ce vieux mégalo libidineux avoir le temps de faire des enquêtes une fois qu’il est blessé dans son amour-propre, hein. Il vient de surprendre dans sa propre chambre, son propre lit conjugal, sa plus jeune femme en train d’être culbutée à mort par un jeune homme, étranger et chrétien, tu imagines, hein, la religion de son rival va déjà lui provoquer un si grand dégoût qu’il n’aura d’autres solutions que de répudier sa jeune femme. Et comme il ne pourra pas, mais alors jamais, expliquer le motif du divorce, lui le tout-puissant imam cocu, le maire prononcera le divorce à ses torts exclusifs, ce qui le condamnera au payement de gros dommages à la jeune répudiée qu’il a usée pendant un mois. La répudiée prend cinq millions de dommages et en donne une partie à son complice, son amant, toi. Post-scriptum, l’amant, s’il est un peu courageux, demande au vieil imam cocu divorcé de lui filer deux millions pour ne pas dévoiler le secret, et le vieux zozo, pour garder sa fierté d’imam respecté, s’exécute. T’en dis quoi, hein, mon bébé, me dis pas qu’il n’est pas génial, mon plan.
– Et que diront tes parents de tout ce branlebas honteux-là, hein, tu ne vois pas que tu les déshonores en perdant ton mariage après seulement un mois, hein.
– Mon Dieu, David, je comprends maintenant cette formule, Intelligent à l’école, nul dans la rue, je vois que ton intelligence se limite à tes petits cours de marketing-là, tu crois que mes parents ont quelque chose à foutre avec ce vieux pitre d’imam, hein, ils l’ont simplement déplumé, et ils seront très contents que leur fille leur revienne à la maison, comme je redeviens une fois de plus une marchandise vendable à un autre vieux plaisantin, mon père et mes oncles ont tellement d’amis qui veulent prendre leur troisième ou quatrième femme, et je te jure que je ne vais pas chômer pour un mois, le marché du mariage ne connaît pas la crise dans ce pays.
– Hum, Safiatou, je crois que…
– Ne crois rien, poltron, allez, on se donne rendez-vous demain chez moi, dans mon lit, et je m’arrangerai pour qu’il vienne nous surprendre, oui, et dans trois mois au plus t’as deux millions, et surtout n’oublie pas que c’est juste le début, y aura d’autres mariages, donc d’autres coups… d’ailleurs je pourrai même te recommander à des amies pour leurs coups à elles, ça te fera de sacrés millions gratos, allez, souris au moins, jeune riche, je t’ai toujours promis que je te rendrai riche dans ce pays, et t’auras plus besoin d’aller distraire ces nullards d’étudiants pour gagner ton pain, allez, viens faire des câlins à maman, gros bébé, ça n’arrive quand même pas tous les jours dans la vie d’un petit enseignant de coin de rue, hein.
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