Le nouveau hadj et ses gonzesses à la mosquée
Crédit image: www.lacurieusehistoiredumonde.com
Souriant amèrement, en les regardant assises dans les canapés, face à moi, je repensai aux menaces de ma mère, Mère Marthe, en mai passé, durant mon dernier passage à Lomé. David, David, David, combien de fois je viens de t’appeler, hein, trois fois, eh bien, tu me dis trois fois, hein, mon amour, écoute-moi, tu sais que tu es mon seul espoir, tu es unique, tes sœurs ne comptent pas, elles appartiennent à d’autres familles, c’est toi qui m’appartiens, et je veux que tu me fasses ce qu’un fils doit faire pour rendre heureuse sa mère, David, je suis tombée enceinte de ton père, qui était mon professeur d’anglais, à dix-huit ans, j’ai été rejetée par ma famille qui ne s’entendait pas avec la famille de ton père, mais une fois que j’ai mis au monde ta grande sœur, ton père a commencé à me maltraiter, il me laissait…
– Maman, écoute, je n’ai pas encore fait mes valises, il est déjà deux heures du matin et je quitte demain à six heures, parlons rapidement du vrai sujet pour que je…
– Laisse, je te ferai tes valises après, je t’ai toujours tout fait, David mon fils, c’est normal, mon inquiétude, toute mère qui aime son fils serait inquiète à ma place, s’il y a un problème, dis-le-moi, il n’y a aucune honte à cela, je suis ta mère, j’ai lavé ta merde, j’ai aspiré de la morve de ton nez avec ma bouche quand tu étais bébé…
– Maman, laisse cette histoire de morve aspirée de mon nez, tu sais, c’est très dégueulasse, je n’ai pas encore mangé, donc…
– Oui, c’est pour te dire que je suis prête à tout faire pour toi, tu le sais très bien, si je me suis endettée pour t’inscrire dans cette école chère-là après ton bac, c’est que je veux que tu aies un avenir assuré, et tu l’as, mon fils, tu travailles et gagnes pas mal ta vie, j’ai joué ma partition de bonne mère, à toi de jouer la tienne de bon fils, eh bien, David, je veux une belle-fille, je veux porter mes petits-enfants, regarde-moi, je viens d’avoir cinquante-trois ans, et je m’approche de la tombe, dis-moi la joie d’une mère si ce n’est de porter ses petits-enfants et…
– Mais Maman, tu as déjà deux petits-enfants, Gracia et Lumena, les filles de grande-sœur Martine, ça ne te suffit pas et…
– Ca ne me suffit pas parce que tu es le garçon, mon seul garçon, et c’est tes enfants que je veux, des enfants qui portent ton nom, le nom de ton père, tu comprends, hein, tout le monde se moque de moi à l’église, tous tes anciens camarades avec qui tu chantais dans la chorale des enfants sont devenus depuis longtemps des pères de famille avec deux ou trois enfants, toutes les filles avec qui tu t’amusais, enfant, sont devenues des femmes, il y en a parmi elles qui ont même fait des jumeaux, et ça me dérange de toujours répondre aux gens qui te demandent que tu es toujours célibataire, depuis toutes ces années que tu enseignes tu veux me dire qu’aucune, pas même une seule de tes étudiantes n’est arrivée à te séduire, hein, non, mon fils, je…
– Maman, fis-je en me levant, fatigué de cette histoire de femme avec laquelle elle m’avait seriné durant tous les six jours de mon séjour, le problème est que…
– Il n’y a aucun problème, avant je t’avais imposé de ne pas prendre une malienne musulmane, mais là, prends ce que tu veux, tu sais, prends n’importe qui, n’importe quoi, il suffit qu’elle soit une femme capable de te faire des enfants et prendre soin de toi, tu peux même aller à Tombouctou prendre la fille d’un islamiste d’Ansar Dine ou du Mujao, il suffira qu’on lui apprenne à ne pas confondre tes pieds et tes mains à ceux d’un mouton en les décapitant, moi je veux un petit-fils de toi mon unique garçon, un petit-fils qui va mouiller mes pagnes de vieille femme de son urine, écoute David, c’est la dernière fois que j’ai cette discussion avec toi, si avant la fin de cette année tu ne viens pas me présenter ta future femme, eh bien, je t’en enverrai une à Bamako, et si tu oses la refuser je me suicide, comme c’est ma mort que tu veux et…
… et la voilà, à deux mois de la fin de l’année, mettre en exécution sa menace, m’ayant envoyé du Togo quatre Togolaises de profils différents, Sonia : teint clair, vingt-trois ans, originaire de ma région, maîtrise en sociologie, Gloria : vingt-cinq ans, teint noir, un mètre quatre-vingts, Brevet de technicien supérieur en commerce international, originaire de la région centrale du Togo, Cassandre : vingt-et-un ans, un mètre-soixante – femme de poche, maîtrise en droit, originaire de la région de la Kara, la région de Faure Gnassingbé, Beverly : professeur d’anglais, trente ans – plus âgée que moi – femme-maman, celle qui peut bien supporter mes caprices de garçon unique gâté …
– Donc, les filles, si je vous comprends bien, Mère Marthe vous a fait venir ici pour que j’épouse une parmi vous, en…
– On n’est pas ici pour que tu nous épouses sur-le-champ, coupa Beverly, la plus âgée du groupe et qui depuis leur arrivée jouait le porte-parole, ta mère te demande juste de choisir une entre nous, parce qu’elle se dit que peut-être tu ne trouves pas des femmes à ton goût au Mali, elle a fait des enquêtes à l’église, et comme nous aussi nos parents nous poussent à nous marier malgré notre réticence, eh bien, nous nous sommes dit pourquoi ne pas venir te voir, hein, on sait jamais. Mais là faut que j’avoue que nous sommes un peu déçues, parce que tu n’es même pas beau, pas même un peu, tu ressembles à un fossoyeur camerounais, pauvre de nous, dire que c’est pour toi-là qu’on a voyagé du Togo jusqu’ici, hein. Mais bon, faut choisir entre nous et on verra bien, comme on le dit, il n’y a plus d’homme, donc le fossoyeur camerounais que tu es aussi peut avoir une femme.
– Là, si je choisis une parmi vous, Mère Marthe va se charger de me la suivre le temps que je revienne au Togo faire les formalités de paiement de la dot et autres…
– Oui, c’est d’ailleurs ainsi que se marient beaucoup de Togolais de la diaspora, tu n’as pas entendu parler de ces agences qui mettent en liaison les femmes et les hommes, hein, ta mère a, en quelque sorte, joué ce rôle.
– Les filles, fis-je en soupirant, sincèrement, je vous comprends, mais comprenez-moi, je ne suis pas prêt à me marier, vous savez, je souffre sûrement du syndrome de Faure Gnassingbé, lui qui est toujours célibataire à presque cinquante ans, donc, ce qu’on va faire, je vais vous payer votre voyage-retour, je vais me charger de tout expliquer à ma mère au téléphone, si…
– Ah ouais, j’oubliais, ta mère nous a demandé de rester chez toi jusqu’à ce que tu fasses ton choix, donc si tu ne choisis pas une parmi nous tout de suite, nous resterons chez toi jusqu’à ce que tu le fasses et…
– Quoi, m’indignai-je, je n’arrive pas à choisir une entre vous et vous me demandez de supporter vous quatre, c’est de la blague, les filles, vous croyez que…
Allahou Akbaaaaaaaaarrrrrrrrrrrrrrrr. La voix du muezzin de la grande mosquée de mon quartier m’interrompit. L’idée, comme un éclair, me traversa la tête et me fit sourire. Elles sont plus ou moins toutes belles, toutes instruites, et sûrement toutes intelligentes, sauf Sonia dont les yeux dormants ressemblent à ceux d’un mouton venant d’être rôti sur un feu paille. J’ai sûrement un embarras de choix. Et quand on n’arrive pas à choisir, on… prend tout. J’ai un coran que m’ont offert des amis musulmans quand j’avais décidé, en 2008, d’apprendre un peu sur l’islam, et je sais réciter quelques prières musulmanes. Mon appartement a deux chambres vides que j’ai réservées aux amis. Elles pourront les partager à deux. L’équivalent de mon nom, David, en islam c’est Daouda. C’est vrai que ce n’est pas très glamour, les filles ne pourront pas couper cela comme elles coupent David en Dave, Dévé, Mr Di… Daouda coupé, ça donnerait Daou, ou Doudou, ou Ouda… on dirait le nom d’un commerçant ambulant nigérien. Bah, je garderai mon nom, en y ajoutant El Hadj. El Hadj Dave, ô la classe !
– Allez, rejoignez vos chambres deux à deux… euh, Beverly, tu es l’aînée, donc la première, et c’est ton tour aujourd’hui, tu feras la cuisine et mon lit, tes coépouses arrangeront le salon. Allez, changez-vous rapidement, il est l’heure pour la prière, on va à la mosquée, mes femmes.
PS : Maman Marthe, mon amour de mère, je comprends ton inquiétude, mais encore un peu de patience, ça va finir par venir. Promis.
Commentaires