Saint Bouazizi et les mille imbéciles

2 avril 2011

Saint Bouazizi et les mille imbéciles

– David, non, cette fois-ci, rien ne peut plus m’arrêter, ma décision est prise, et je dois impérativement la mettre en exécution. David, si dans trois jours tu apprends qu’un jeune s’est immolé au Togo devant le palais de la Présidence, eh bien, ne te pose pas de questions, c’est moi.

Déconcentré et dégoûté, je lève la tête et le regarde, debout, droit comme une sentinelle de dessin animé, attendant ma réponse.

– Souley, que je lui murmure après un soupir de rage, c’est quoi cette histoire d’immolation avec laquelle tu viens me déconcentrer en plein travail, hein ?

– Tu sais que Mariam me trompait avec un de ses collègues étudiants ? Et tu sais tout ce que j’ai dépensé pour cette fille. J’ai même entre-temps failli perdre mon boulot pour elle, mais elle osait me tromper, cette petite pute. Non, je suis désespéré, je retourne au Togo pour m’immoler devant le palais présidentiel de Faure Gnassingbé.

Je me baisse de nouveau sur mon clavier, après un long juron de dédain. C’est ma première fois d’écouter un Togolais vouloir se tuer pour avoir perdu une femme. Presque tout le monde connaît cette chanson chez nous : « Ma femme m’a quitté mais j’ai ma bouteille et mon petit verre, remplissez-le moi pour que je l’avale… » Souley, un pauvre sale cuisinier qui ose sortir avec une étudiante malienne, peut-il s’attendre à autre chose ? Plus doubleuse que ces petites étudiantes maliennes tu crèves, mon vieux, wallahi !

Son projet d’immolation devant le palais présidentiel au Togo ? Bah ! Le seul conseil que je puis lui donner, c’est d’attendre que les forces républicaines mettent la main sur Laurent Gbagbo et que la coalition internationale déloge Kadhafi de son terrier, car aucun journal, pas même un seul, n’a actuellement le temps de parler d’un crasseux cuisinier de merde s’étant immolé devant le palais présidentiel d’un petit crasseux pays de merde comme le Togo. De toute façon, il faut qu’il oublie la Radio France internationale, elle préférerait aller en grève que de parler de cette histoire de moindre importance.

Les deux cas d’immolation au Togo qu’a rapportés la rumeur presque toujours mensongère n’ont pas du tout été moroses pour les victimes. Le premier immolé s’étant fait traiter de voleur par les journaux de Faure Gnassingbé puis par l’opinion, car il est de notoriété publique au Togo que les voleurs sont généralement brûlés vifs. Notre cher immolé fut donc simplement considéré comme un voleur enflammé ayant réussi à s’enfuir sous les flammes avant de chuter, complètement grillé, devant le palais de la Présidence. Le second Bouazizi togolais a eu un sort plus dégueulasse, il fut carrément rejeté par sa famille qui l’avait considéré comme une véritable perte. S’il est connu qu’un enfant, surtout chrétien, qui meurt au Togo peut enrichir ses parents avec les enveloppes reçues lors des funérailles, personne n’y ignore que les morts par accident, par noyade, par incendie… ne sont pas honorés, donc ne rapportent rien à la famille…

C’est pourquoi avec cette histoire d’immolation, ce geste téméraire, symbolique et inoubliable qu’avait posé un jeune homme au bout du désespoir, qui devient maintenant une mode – qui sait si cela ne va devenir un style ?- à tous les jeunes Africains, je ne fais que sourire. Les jeunes Togolais n’ont que cette rengaine à la bouche ces derniers temps dans les restaurants togolais ici à Bamako. « Il va falloir qu’on aille s’immoler devant lui – Faure Gnassingbé -, pour qu’il comprenne que nous souffrons », glosent-ils quand ils se font complètement dépouiller par ces limes de Maliennes qui vous la sucent le sang à longueur de journée, comme si c’était Faure Gnassingbé qui leur avait demandé de ne pas s’abstenir et chercher de petites bonnes pour s’en taper une de temps en temps… Un jeune Tchadien a menacé cette semaine sur les ondes de la Radio France internationale de s’immoler devant le palais d’Idris Debi au Tchad ! Il paraît même qu’il y a deux semaines, un jeune Malien s’étant fait tabasser à mort par des putes car n’ayant pas suffisamment de sous pour payer une au fin fond de laquelle il venait de disparaître avait décidé de s’immoler devant la Présidence du Mali, pour montrer son indignation contre la hausse démesurée des tarifs des péripatéticiennes. Un autre Malien, avait raconté la rumeur, était à deux pas de poser le même acte la semaine passée, juste parce que la nuit sa femme l’avait rejeté par des coups de pieds, se plaignant de fatigue, quand le malabar voulait la transpercer.

Nous ne savons qu’imiter ici, aussi pauvres en créativité que nous sommes doués en hypocrisie ! Ne pouvons-nous pas inventer d’autres méthodes, à part celle de ce pauvre Bouazizi que nous devons laisser dormir en paix, pour exprimer notre désespoir ? Moi j’en propose une, se couper la bite en deux avec un couteau et faire éclater ses testicules devant le palais présidentiel.

Ben, je l’avoue, adepte incontestable de la mode, il y a une semaine que moi aussi je me suis laissé presque aller. De retour d’une émission radio où je fus insulté, menacé, humilié par des journalistes maliens parce que je soutenais l’intervention de la coalition internationale en Libye, le découragement et le désespoir m’avaient fait prendre la décision d’aller m’immoler devant le palais présidentiel de Bamako, pour montrer que je suis contre cet antioccidentalisme saugrenu, honteux et indigne devenu notre drogue ici. Mais juste au moment où je sortais de ma chambre pour aller me tuer par le feu, mes yeux, comme par miracle, tombèrent sur une photo de Ruth posée à mon chevet, où dans une petite robe fleurie, elle souriait de ce sourire charmeur qui fait creuser deux petites fossettes sur ses pommettes. Je l’ai du coup imaginée en train de pleurer sur mon corps calciné devant le palais de la Présidence, se faisant consoler par un de ses amis qui va l’amener à la maison, une main posée sur son épaule et l’autre sur ses hanches pour la faire marcher, continuer de la consoler en lui passant la main dans les cheveux, lui demandant de m’oublier parce que je n’existais plus, de voir l’avenir, de le voir, lui… quand moi je serai, rôti, en train de me faire grignoter dans une sinistre fosse par des termites ! J’ai posé la boîte d’allumette et le bidon d’essence par terre, en pouffant de rire : « Moi m’immoler et laisser Ruth, ma Ruth à moi, se faire prendre par un imbécile ! Je ne m’immole pas aujourd’hui, ni demain, ni après-demain… Jamais ! »

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Commentaires

David Kpelly
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It's on!

René Nkowa
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Hum! Toi et ta Ruth là...

David Kpelly
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Que veux-tu que je fasse, mon cher Jackson, quand celle-là me rend fou, fou fou fou! Je ne m'immolerai jamais, jamais... à cause d'elle!
Amitiés

Dossou clébert
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Arrête d'indexer les gens d'insuffisance intellectuelle et autres choses... Ce n'est pas parce que tu donnes quelques cours de management (ou je ne sais quoi) que tu es une lumière. Ecrase !!! Il n'y a rien de pertinent dans tes pseudos analyses.

David Kpelly
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Salut, cher Dossou
Merci pour ta remarque. En fait, je ne pense pas qu'il existe une seule lumière ici chez nous, et la preuve est là, nous ne nous en sortons pas. Mais je pense aussi que si chacun essaie d'extérioriser ce qu'il pense (réellement), et ce qu'il ne pense pas, on se porterait mieux. On peut perdre, des fois, tout contrôle, et ne pas se modérer dans les analyses ( j'en suis très souvent victime) mais ce n'est pas pour cette raison qu'il faut redouter dire ce que l'on pense.
De toute façon, cher compatriote (tu portes un nom togolais), merci pour la remarque, cela me construit toujours. Tu as maintenant toute liberté de publier dans ce blog tes commentaires, sans modération, et j'espère que tes remarques construiront petit à petit les analyses, pour en faire, peut-être, quelque chose de plus potable. Une fois de plus, merci d'être passé.
Amitisé