10 juin 2011

L’ultimatum

 

 


Une pensée à toutes les femmes, nos mères, sœurs, filles, femmes, amantes… violées ou violentées en Afrique et ailleurs, à travers cette nouvelle tirée de mon recueil de nouvelles, Le Gigolo de la réforme (Edilivre, Paris, 2009).

La vieille Yobo pleura pendant tout l’après-midi et s’enferma chez elle avant le coucher du soleil, refusant d’ouvrir à ses voisins qui frappaient à sa porte, la suppliant. Elle n’avait pas du tout cru que le jugement se déroulerait ainsi. Quitter cette maison qu’elle avait contribué à bâtir ! Quitter cette maison où elle avait vécu pendant plus de cinquante ans avec son cher mari, hélas ! Retourner dans son village où elle n’avait plus personne. Ses parents étaient morts depuis et toutes ses amies d’enfance avaient vieilli ; ses cousines, nièces, oncles, tantes, etc. personne ne pouvait l’abriter car elle était une vraie honte pour sa famille, une charge, et elle le savait bien. Pourquoi avait-elle osé être ce qu’elle était ? Où allait-elle partir ? Où pourrait-elle se diriger, vieille, fatiguée et surtout stérile qu’elle était ! Comment peut-on être stérile en Afrique ? Que faire ?

Oh ! si la mort pourrait venir l’arracher, l’emmener dormir entre les bras de son cher mari ! Si cette mort-là qui semblait l’avoir oubliée et qui s’acharnait contre de pauvres jeunes qui avaient à peine souri devant la beauté des fleurs et la clarté des étoiles pourrait venir lui fermer à jamais les paupières sur toutes ces atrocités ! Était-ce sa faute si elle n’avait pas eu d’enfant ? Elle avait tout fait, tout essayé pour donner un seul héritier à son mari, mais jamais le Ciel n’eut pitié d’elle. Et elle avait vieilli stérile sous les moqueries, les injures et les menaces de toute sa belle-famille. On l’avait traitée de tout : sorcière, prostituée, sirène, mangeuse d’âmes etc. Les plus méchants étaient allés jusqu’à venir la frapper et l’humilier dans sa maison en l’absence de son mari. Les mauvaises langues avaient raconté l’avoir vue une nuit à minuit au bord du fleuve du village en train de faire des sacrifices. D’autres soutenaient l’avoir surprise en train de prendre la forme d’un hibou, et elle était la risée du village, rejetée par tous sauf son pauvre mari qui la soutenait et la réconfortait dans le malheur. Mais voici que son seul consolateur aussi avait décidé, il y avait trois mois, de s’en aller. Son mari avait définitivement fermé les yeux à la vie suite à une crise cardiaque qui l’avait attaqué, il y avait trois mois. Et le calice lui devint encore plus amer à boire. Elle devait sortir de la maison. Elle devait le faire parce qu’elle était stérile et donc inutile. Elle essaya d’aller plaider sa cause devant le chef du village qui donna raison à ses adversaires. On n’avait plus besoin d’elle, elle ne servait plus à rien. Une femme stérile n’a jamais servi en Afrique ! Elle n’est rien à part un tonneau vide qui occupe de la place pour rien. Elle était stérile et c’était une malédiction ! Elle devait sortir sans délai de cette maison qui était tout ce qui lui restait dans la vie. Mais où aller ? Elle était bel et bien dans son pays, sa région, parmi son peuple, ses frères et sœurs, mais où aller donc ? Ah ! si la mort pourrait l’écouter et avoir pitié d’elle ! Elle sombra dans un profond sommeil.

Il était vingt et trois heures et demie et tout le village dormait. Elle se réveilla pour la prière, chercha sa bible et commença par lire l’Apocalypse : « Et je vis un nouveau ciel et une nouvelle terre… »

On cognait à sa porte.

– Qui est-ce ? demanda-t-elle la voix tremblante.

– Toulan et Houno, grognèrent des voix masculines.

– Ah ! soyez les bienvenus, mes beaux-frères, fit la vieille Yobo en s’empressant de leur ouvrir.

Les deux hommes ne répondirent pas et la dépassèrent pour s’asseoir sur le lit.

– Yobo, fit Toulan, d’abord, laisse-nous te rappeler que nous ne sommes plus tes beaux-frères, d’ailleurs nous n’avons jamais été tes beaux-frères comme tu n’as pas fait d’enfant pour notre cher frère. Votre mariage n’a donc jamais existé. Notre frère ne serait pas mort si seulement il avait écouté nos mises en garde. Nous lui avions à plusieurs reprises défendu de t’épouser parce que vous êtes tous des sorciers dans votre village mais il ne nous a pas écoutés, et il a eu les conséquences. Mais ce soir, nous sommes là pour te demander ce que tu penses du jugement du chef qui te donne trois jours pour quitter cette maison…

– Nous ne sommes pas là pour demander son avis, coupa Houno, mais pour lui rappeler que dans trois jours, elle doit sortir de cette maison. Nous ne l’accepterons plus dans cette maison après trois jours. Elle est inutile et n’a pas de place chez nous.

– Mes beaux-frères, fit Yobo la vieille en pleurant, je ne suis pas de votre village mais je suis votre sœur. Je n’ai nulle part où aller, mes frères. S’il vous plaît, laissez-moi rester ici. Vous pouvez occuper les autres chambres comme vous voulez mais laissez-moi cette petite pièce, je vous en prie.

– Nous ne sommes pas ici pour négocier, avec toi,Yobo, nous sommes là pour te dire que nous te chasserons à coups de gourdin et de hache si tu ne disparais pas de cette maison après les trois jours qui te sont accordés. Mais si tu veux oser, tu verras. Tu as tué notre frère et on ne pourra pas t’accepter ici.

– Et puis, qu’elle le sache bien, hurla Houno, Yobo, sache-le bien, en partant, tu ne prendras que tes affaires. Tu n’as pas le droit de toucher aux meubles et aux ustensiles de notre frère. Tu as été bien avertie. Tu as encore soixante-douze heures.

Les deux hommes se levèrent et se dirigèrent vers la porte en grinçant des dents. Ô Afrique ! Si tu rejettes tes propres fils, où veux-tu qu’ils trouvent refuge ? La vieille Yobo fit un effort pour se lever et sortit de la chambre, suivant les deux hommes qui disparaissaient dans le noir. Elle s’arrêta au milieu de la cour et leur cria en sanglots :

– Je suis votre sœur et vous me chassez de chez vous, où dois-je aller ?

 

Le Gigolo de la réforme, Edilivre, Paris, 2009, 256 pages, nouvelles

Partagez

Commentaires

David Kpelly
Répondre

It's on

saminou
Répondre

belle reflexion.helas ce sont les realites de l afrique.

David Kpelly
Répondre

Les tristes réalités de notre Afrique des fiers guerriers dans les savanes, toujours, ancestrales.
Amitiés

Andriamihaja Guénolé
Répondre

la suite, la suite!!!! ;)

David Kpelly
Répondre

Invente une suite, mon vieux! Comment vas?

SUY Kahofi
Répondre

Bien dit!

David Kpelly
Répondre

Merci et amitiés, King Suy!

Le PaNdA
Répondre

Moi je te donne la suite: 3 jours plus tard, les beaux-frères de Yobo vinrent pour l'expulser de la maison. Mais ils se rendirent compte à leurs dépens que la vieille Yobo était en fait un maître kung-fu! ;) ;)
Plus sérieusement, ces trucs où juste après le décès du mari, la veuve se fait spolier me met hors de moi. L'un de mes voisins était décédé. Son épouse et ses enfants sont allés pour l'inhumation. A la fin des obsèques, elle rentre chez elle et se rend compte que toutes les portes de la maison conjugale ont été cadenassées par sa belle-famille. Toutes ses affaires étaient à l'intérieur et elle n'a même pu prendre un seul vêtement. Son mari venait de mourir pour la seconde fois. Dieu seul sait ce que cette dame est devenue avec ses trois bambins. Tu passes des années avec un homme, en t'efforçant de construite quelque chose avec lui, en avalant toutes les couleuvres possibles (infidélité, bastonnades, irresponsabilité) et le jour où il meurt sa famille vient tout prendre? Il faut d'ailleurs que j'aille réunir les membres de ma famille pour leur faire quelques mises en garde.

David Kpelly
Répondre

Ce n'est qu'un vieux panda qui peut imaginer une telle suite.
Bon sérieux, René, c'est ainsi, certaines réalités de notre continent, on ne sait pas comment c'est arrivé mais bon... Mais il faut les démolir, les démolir... tout simplement les démolir.
Amitiés