L’avant-goût d’une mort en exil

13 avril 2012

L’avant-goût d’une mort en exil

 

Partout où l’on est bien, là est la patrie. Cicéron, Tusculanes

Je ne suis toujours pas parti. Retourné. Pas parce que je ne suis pas inquiété, terrifié par ces actes des violence des brigands de Bamako qui profitent de l’instabilité pour monter en force, dépouillant tout ce qui leur passe sous le nez et semant la mort dans des maisons qu’ils envahissent presque toutes les nuits dans les quartiers les plus exposés, sous la barbe de policiers démotivés et déroutés. Pas parce que je n’ai pas peur de toutes ces rumeurs grandissantes et désormais insistantes qui circulent dans tous les coins et recoins de Bamako. Les terroristes islamistes qui se seraient, qui se sont déjà infiltrés dans Bamako, et qui commenceront bientôt à commettre des attentats un peu partout dans la ville. Ils sont nombreux, terrifiants, et répartis en plusieurs groupes aussi sanguinaires les uns que les autres, Al-Qaïda au Maghreb islamique, le Mouvement uni pour le Djihad en Afrique de l’Ouest, An Sardine, et, le cauchemar du Nigeria, Boko Haram. Les Touaregs sécessionnistes qui menacent de descendre à Bamako si la Cedeao intervient pour les contraindre à libérer l’Azawad, déclenchant une guerre civile…

L’atmosphère quotidienne de Bamako et la rumeur annoncent l’Apocalypse, très prochaine, dans la capitale malienne. Tout gronde en sourdine. L’inquiétude. Partout. Des écoles clairsemées, d’autres déjà fermées. Les marchés quasi-vides. La circulation fluide. Cette circulation naguère si bouillante. Les banques toujours pleines, chacun cherchant à avoir son pécule sur soi avant un plausible effondrement. Les rues, même les plus animées, désertes dès dix-neuf heures. Bamako frémit, impuissante, tel un condamné à mort qui attend son bourreau. On sent que ça peut exploser n’importe quand, le danger étant tellement si proche de nous. Une mauvaise négociation, un plan raté, une résolution pas mûrement réfléchie, un coup d’orgueil trop poussé… Et le feu.

Mais, malgré les mises en garde des amis bienveillants, malgré les insistances des compatriotes qui s’en sont allés, malgré toutes les voix suppliantes qui me harcèlent depuis le pays, je ne suis pas encore retourné. J’hésitais. Puis cette phrase, ce soir, lancée sur un air ordinaire et presque goguenard par un ami agent de banque à Ecobank Mali, à qui j’ai demandé s’il comptait rentrer : Vous agissez comme si vous aviez un pays, tu es prêt toi à aller revivre ce qui t’a fait quitter ce cauchemar, hein, je suis désormais d’ici, et je peux mourir ici.

Retourner ! Le drame. Le mien, et celui de tous mes compatriotes togolais qui sont toujours là, le cœur battant.  Beaucoup s’en vont chaque jour, en groupes, désespérés mais avec une ferme conviction, une foi, ils reviendront quand les choses s’amélioreront ici. Là-bas où ils s’en vont, ils ne comptent pas rester pendant longtemps. Juste quelques temps, pour que les choses s’améliorent ici. Là-bas, ils ne voient pas de vie, leur vie. Ils pensent, sont convaincus, que leur vie est ici. Nous qui sommes toujours là ne voulant pas retourner, nous ne voulons même pas croire que nous pouvons tenir quelques temps là-bas, en attendant que les choses s’améliorent ici. Nous ne pouvons pas quitter nos postes si chèrement acquis, cette vie que nous avons pierre sur pierre construite ici, ces espoirs que nous avons recommencé à nourrir ici, après les avoir perdus là-bas, nous ne pouvons pas tracer sur ces rêves que nous avons ici écrits, pour retourner là-bas, où l’on n’a jamais pu rêver. Là-bas où rien n’est sûr, où rien n’a jamais été sincère.

Là-bas ! C’est pourtant chez nous. C’est nous. Là où nous sommes nés. Avons grandi. Avons commencé à aimer. Là-bas, c’est pourtant nos racines, c’est ceux-là que nous avons de plus chers ici-bas, nos parents, nos aïeuls, nos amours, nos sœurs, nos belles, nos plus belles amours. Là-bas, c’est pourtant notre vie. C’aurait été notre vie. Là-bas, le Togo. La patrie. Cette patrie qui nous fait aujourd’hui si peur. Qui semble ne pas avoir besoin de nous. Cette patrie qui nous a vomis, sans hésiter. On pense à toutes ces pénibles années de chômage. A toutes ces journées fades passées à ne rien faire.  A toutes ces demandes d’emploi distribuées un peu partout avec le même résultat, le silence. A ces petits boulots sans salaire, juste pour tuer le temps. A tous ces regards dédaigneux et railleurs des détracteurs. Aux soupirs de nos pères à qui nous étions devenus des charges, presque des échecs. Aux larmes de nos mères qui ne voyaient pas en nous les fils qu’elles rêvaient voir. A tous ces projets que nous montions toutes les nuits, mais qui s’écroulaient au matin, une fois au contact de la réalité, un système séculaire érigé pour étouffer les jeunes. Aucune politique de l’emploi, aucune allocation de chômage, aucun fonds de soutien aux initiatives privées et microprojets… Rien qui puisse aider les jeunes diplômés à rêver ! Le chômage est une déchéance, le poison le plus mortel pour un jeune diplômé. Il avilit son corps, affaiblit son âme et humilie son esprit.

Puis l’exil, les larmes aux yeux. Et l’espoir qui renaît avec un travail plus ou moins rassurant. Le sourire, le rire, et la joie… Et retourner aujourd’hui, si subitement, les mains vides, la tête incertaine, l’âme troublée, après avoir commencé à rebâtir une vie qu’on a failli perdre là-bas ! Retourner alors que nos petits-frères étudiants sont tous les jours dans les rues, réclamant leurs droits les plus élémentaires, retourner alors que nos frères diplômés se sont tous reconvertis en conducteurs de mototaxis pour les plus chanceux et en drogués oisifs pour les malchanceux, retourner alors que Faure Gnassingbé, l’Homme-Etat, refusant toujours d’être sincère avec lui-même, falsifie un rapport qui le met à nu le matin, fait torturer ses ennemis le soir, demande pardon la nuit et condamne arbitrairement un journaliste innocent le jour suivant ! Retourner si subitement au Togo pour recommencer à espérer son avenir de la mauvaise foi de Faure Gnassingbé et de toute sa bande, de la fourberie de nos politiques, des horreurs de notre armée !

Ce sont les premières gouttes de pluie qui indiquent à la poule égarée le chemin de son poulailler, que dit le proverbe de mon peuple éwé. Mais comment retourne-t-on si subitement dans sa patrie quand cette dernière se résume à une loque de terre remise comme un cadeau d’anniversaire par un boiteux dictateur sanguinaire à un fils cocaïné, Terre et Ciel !

Mère-patrie, il nous faut aujourd’hui plus que toi pour nous faire revenir à toi. Nous ne savons pas si c’est nous qui t’avons trahie ou c’est toi qui nous as trahis. Peut-être n’aurions-nous jamais dû partir. Demeurer chez toi malgré l’échec, l’humiliation, espérer, espérer, et espérer comme beaucoup de nos frères qui ont espéré jusqu’à la mort. Cette mort que nous, des centaines de tes fils, sommes prêts à attendre aujourd’hui ici, loin de toi. Car nous préférons mourir des mains des autres, que des tiennes. Car nous voulons bien t’épargner de nouveaux crimes, les nôtres, bien-aimée Mère-patrie.

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Commentaires

David Kpelly
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It's on

Armelle Assima
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Ca c'est ton image qu'on n'aime pas voir. Tu n'es pas bien quand tu es triste. C'est triste comme cette crise t'a affecté. On comprend, tu as commencé à aimer le Mali. Mais il faut que tu te décides vite, reviens s'il le faut. La vie est un recommencement, tu peux encore reconstruire. Courage.

David Kpelly
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Hi hi hi, je vais rester ici, sauf si tu viens me chercher, ce sera l'occasion rêvée que tu viennes enfin me rendre visite. Armelle, tu viens me chercher où je reste, je vais même aller plus au Nord si tu ne te dépêches pas. Amitiés

Tine
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Comme je me retrouve dans ce texte! En 2009 j'ai également dû quitter mon pays pour me réfugier au mali et je suis tombée amoureuse de ce pays qui me rappelait tellement le mien quand les choses allaient encore... Il me parle ce texte car je suis toujours dans cette même inconfortable position d'exilée et je me cherche toujours. Rester au mali, pourquoi pas? mais je veux te dire que tu devras sûrement partir, laisser ta nouvelle patrie/ta nouvelle vie pour les mêmes raisons qui t'ont poussé à quitter le Togo et les mêmes qui m'ont éloigné de ma Guinée natale: sauver ta vie! Bon courage et bonne continuation!

David Kpelly
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Triste, très triste, notre condition, Tine, mais comment rentre-t-on quand on fuit la mort pour aller butter sur la mort? La patrie, l'exil, que choisir? Je doute, sincèrement je doute.
Amitiés

stonde
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Bien triste réalité, mais les maux sont les mêmes dans la quasi pays d'Afrique, cependant comme j'aime à le dire je me cite : "l'on n'est certes pas prophète chez soi, mais rien ne vaut le chez soi".
Peace à toi!

David Kpelly
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Oui, cher Stonde, mais le drame c'est quand le "chez soi" devient un cauchemar. On préfère donc le cauchemar d'ailleurs.
Amitiés

Jos
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Que Dieu protège les togolais, où qu'ils soient. J'ai passé, quatre mois à Lomé (Kegué) quand mon pays, la Côte-d'Ivoire était déchirée par la guerre. Au Togo, j'ai découvert un peuple sympathique. J'en garde le meilleur souvenir. Dieu veille sur les togolais, devenues depuis, mes frères !

David Kpelly
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Que Dieu te protège aussi, cher Jos. Oui, nous sommes un peuple très cool, malheureusement divisé par les politiques.
Amitiés

Annassan AMEGANVI
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Bj Cher ami, je salue ta belle plume engagée. je ne sais d'où vous écrivez cet article, mais comme toi j'ai souffert cet enfer. J'ai quittai ma patrie depuis l'âge de 7 ans parce que le système politique en place avait ruiné les affaires de mon père qui était un industriel en textil. Aujourd'hui j'en ai 34. j'ai fait tout mon cursus académique dans ce pays d'accueil du primaire jusqu'au master. J'ai servi ce pays, j'ai aidé nombre de désérités de ce pays car je suis spécialiste en développement local. Cependant, en novembre dernier lors d'un tour à Lomé j'ai réalisé qu'il y avait plus de démunis dans mon pays qu'ailleurs (taux de pauvreté 90% dans la savane, environ 70% dans la région maritime. 4 régions sont gravement touchées sur les 5). Alors j'ai tout plaqué pour essayé de servir les mains nues. J'avoue que c'est pas facile. Tout ce discours pour dire que nous avons tous un devoir vis-à-vis de la patrie. Il revient à chacun de découvrir la manière d'apporter sa contribution à la réduction de l'extrême pauvreté dans laquelle végètent les populations. Par ailleurs ne soyons pas des lunatiques, la politique dans nos pays ne s'améliorera pas. Car le système démocratique en lui même est un système à problème. Lisez l'imposture démocratique et toute la littérature sur ce système vous le conffirme. De plus le couple Affaire et politique entraine la déchéance. Un des meilleurs écrits sur la géopolitique de l'Afrique dont j'ai oublié le nom de l'auteur,vous le démontre. Cher frère, Ne nous leurons pas. Cherchez et trouvez la manière de vous rendre heureux et utile à votre patrie. Nous à l'Association Go for Peace, nous évoluons suivant 2 slogans
- Pour la Paix et le Développement, je dois y faire quelque chose
- Servir donne sens à notre vie.
j'espère avoir dit quelque chose d'utile

David Kpelly
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Tout est si clair, mon cher Ameganvi, et je crois qu'on peut être heureux et servir la patrie partout. Le Togo est le nôtre, c'est nous, et nous le laisserons pas. Jamais.
Amitiés

Annassan AMEGANVI
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Je suis ravi de votre nouvelle posture, elle augure l'espoir et la sérénité. Si le coeur t'en dit je t'invite à rejoindre Go for Peace et en parler autour de toi. car nous autres avons besoin de vous pour l'amélioration des conditions de vie des populations les plus démunis. Tu pourrais visiter notre page facebook:https://www.facebook.com/pages/Go-for-Peace/289519841070003.
Bien à tour

David Kpelly
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Merci, cher Ameganvi, je ferai un tour sur la page avec plaisir.
Amitiés

Eli
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Vraiment triste cette situation que vous vivez actuellement. J'ai dit la même chose à un ami qui est actuellement à Bamako. Vous êtes allés là bas pour avoir une meilleure vie mais cela se révèle un autre cauchemar. On ne peut que vous souhaiter du courage et que Dieu vous protège!

David Kpelly
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Merci, cher Eli, Lomé va bien?
Amitiés

ayyahh
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Courage, au moment opportun tu sauras prendre la bonne décision.

David Kpelly
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Merci, Ayyah, je viens de découvrir votre blog. Très pittoresque! Tout un plaisir, j'y passerai très souvent.
Amitiés

ayyahh
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merci! :)

Assaleck AG TITA
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La vie est un éternel recommencement, courage et dit toi que tout est possible dans des pays où l'on construit des châteaux en carton. Toute l'Afrique de l'ouest est une honte, si tu observes objectivement comment toute l'administration fonctionne, tu as pitié.je suis exilé dans un pays de la sous région en ce moment,cependant j'ai un CDI avec un grand organisme au Mali qui paye super bien, pourtant je n'ai pas hésité à quitter ce Mali bas de mon cul!!! J'ai tout perdu mais l'avenir m’appartient.
Bien de choses à toi frère et surtout il faut se battre.

David Kpelly
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Ah, cher AG, merci pour le message. Mais dis-moi t'as quitté le Mali? T'avais terminé les études à l'Iglam?
Amitiés

jeogo
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Émouvant.Cela rappelle à tous tous le déchirement que provoque le départ de son pays.Ne laisse pas le pessimisme t'envahir,le Mali s'en sortira( cela dépend beaucoup d'eux, et non de l'extérieur); le Togo aussi, sortira de cet état de lassitude chronique.On se retrouvera un jour au pays (autour d'un bon foufou) et toutes nos vicissitudes ne seront pas oubliées mais seront du passé.
Peace!!!

David Kpelly
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Que le Ciel t'écoute, cher Joego.
Amitiés

Hum hum
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Eh bien, il faut reconnaitre que l'exilé sent qu'il n'a plus de vie de l'autre coté, chez lui. 8 ans en exil now de mon coté.

David Kpelly
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Huit ans, mon vieux! C'est pas petit. Mais il faut reconnaître que ca passe si vite, et on se sent si loin de la patrie.
Amitiés