La troisième mi-temps d’El Hadj Diouf et Cie
Crédit image, www.diasporas.biz
Dévi wouli wouli wo miényé dévi suè suè mienye, Dévi wouli wouli wo miényé dévi suè suè mienye, gaké né mié do go la, miezou kalin to, gaké né mié do go la miezou kalinto… C’est nous qu’a joué oh, c’est nous qu’a gagné oh, Eperviers connaît ballon, ballon connaît Eperviers oh, allez oh, oh Eperviers oh, la Can 2013 là c’est pour nous, on va les manger oh, oh…
J’ai passé un week-end foot, bon Dieu des week-ends foot ! Le samedi, ce fut la qualification des Eléphants de la Côte d’Ivoire contre les Lions sénégalais, et moi, j’ai, bien sûr, supporté la Côte d’Ivoire contre le Sénégal, parce que je suis depuis trois jours en couple avec une merveille ivoirienne, Rita, Rita que je compte épouser en 2042, après trente ans de concubinage, si elle a la chance que je ne rencontre pas avant cette date une Ivoirienne plus belle, plus riche, plus généreuse qu’elle, parce que même s’il est vrai que j’épouserai une quarantaine de femmes, je n’en prendrai pas deux d’une même nationalité, disons que depuis notre idylle elle n’a pas encore osé commettre le crime de me demander de l’argent, elle me laisse au contraire gérer son portefeuille quand on part faire des courses, elle m’a même filé le code de sa carte de crédit, et moi je suis fou d’elle, même si elle est trop collante, aussi collante jusqu’au point de m’appeler, le vendredi passé, alors que j’étais en plein cours, et me demander, en miaulant, Dis-moi, mon cœur, tu veux que je porte quelle couleur ce soir pour te faire plaisir quand on ira dehors manger, hein… Oh, ma petite tasse de chocolat, tu veux que je te dise quelle couleur porter, hein, eh bien, porte la couleur fais-péter, tu sais, j’aime trop cette couleur, la couleur fais-péter, justement parce que tu me fais péter, allez, va te faire foutre, et laisse-moi bosser, n’oublie surtout pas que c’est toi qui paieras comme toujours l’addition ce soir, je t’aime, feignasse.
Bref, j’ai passé un beau week-end de foot avec la qualification pour la Can 2013 de mon pays d’origine, le Togo, mon pays d’adoption, le Mali, et le pays de ma nouvelle copine, la Côte d’Ivoire. Bof, il y a eu des couacs, comme le très mauvais spectacle que les Sénégalais ont offert à leurs frères ivoiriens à Dakar, après leur défaite. La honte. Vous êtes malmenés sur le terrain, et au lieu de filer doux et aller ruminer votre défaite dans les vestiaires et à la maison, les couilles entre les cuisses, comme un chien griffé par un chat, vous êtes là à vous mettre en valeur dans des démonstrations ridicules de violence, bande de rabat-joie… des couacs comme l’élimination du Cameroun qui sera pour la deuxième fois consécutive absent de la Can, éliminé par un rien de pays, le Cap-Vert… pauvres frères camerounais, avoir un président si vieux mais qui refuse de mourir, une première dame qui vous l’envoie à longueur de journée en pleine bouille comme une actrice pré-pubère de Hollywood, et ne même pas connaître la chance de temps en temps de se réjouir devant les prouesses de leur équipe nationale, quel cauchemar, hein. Bah, c’est vrai que je leur en veux, les amis kamers, parce que cela fait deux semaines que Nany ma copine camerounaise m’a plaqué, je ne sais pour quelle gouape chauve, et un mois maintenant que Linda, une étudiante camerounaise en médecine à l’Université de Bamako me repousse comme un tas de merde, et là je dis ouais, c’est bien fait pour elles, ça leur apprendra à ne plus me la faire.
Toute cette gaieté et ces déceptions autour du ballon rond m’ont rappelé mes jeunes glorieuses années, quand j’étais un joueur de talent dans l’équipe de ma maison, c’est-à-dire de ma famille, où je jouais, aux côtés de deux de mes cousins paternels qui habitaient avec nous, contre des garçons des maisons voisines. Ah, ces années, les enfants ! J’avais entre cinq et huit ans. Chaque fois que j’arborais le maillot de mon équipe nationale, euh familiale, c’était un évènement. Je me revois faisant mon entrée triomphale sur le terrain de notre cour, sous les applaudissements des filles, mes trois sœurs et des cousines, scandant Dévé Dévé Dévé, sous les regards apeurés de mes trois adversaires, les enfants des autres maisons venus jouer contre nous. Ma carrière fut très brillante, et jusqu’aujourd’hui j’éprouve de grands remords pour avoir délaissé cette voie, moi qui aurais dû être aujourd’hui l’une des plus grandes stars du foot africain, loin, très loin devant Samuel Eto’o, Didier Drogba, et Emmanuel Adebayor avec ses jambes de héron.
Je n’ai jamais, durant toute ma carrière enfantine, perdu un seul match, sur ma centaine de sélections sous les couleurs nationales, euh, familiales, parce que chaque fois que mon équipe était menée, je menaçais les adversaires de les renvoyer chez eux, comme on jouait dans notre cour, et même de m’en aller avec le ballon qui m’appartenait. Préférant donc perdre leur match que de ne plus jouer, les adversaires se laissaient battre, et mes coéquipiers de cousins, à qui je donnais la ferme consigne avant chaque match de me laisser marquer tous les buts de notre équipe, sous peine de les dénoncer d’avoir obtenu zéro en calcul mental à l’école, d’avoir épié ma grande-sœur dans la douche, d’avoir piétiné la Bible de ma mère – ce qui, dans le code pénal de ma mère, pouvait leur coûter un arrêt de mort ou un passage sur une chaise électrique, d’avoir volé des morceaux de viande de porc dans la sauce… mes cousins, ayant au moins une fois dans la semaine obtenu zéro en calcul mental à l’école, ou zyeuté ma sœur dans la douche, ou piétiné l’une des multiples Bibles de ma mère qui trainaient partout dans la maison, ou volé un morceau de viande dans la sauce… mes cousins, donc, sous mes chantages, me laissaient marquer tous les buts de notre équipe.
Je fus, donc, un très bon joueur, et un super buteur de mon équipe familiale jusqu’au jour où notre quartier devait jouer contre un quartier voisin. Par mes éternels chantages, je réussis à éclipser mes voisins et me faire désigner comme le représentant de ma famille, buteur de l’équipe du quartier. Le match allait se dérouler sur la place publique de notre quartier. Avec un ballon de l’équipe du quartier et non le mien. Contre de vrais adversaires, non mes voisins. Avec de vrais coéquipiers, pas mes cousins. Devant de vrais supporters, pas mes sœurs et cousines. Devant, surtout, Miriam, la jeune fille de huit ans du médecin du village avec qui je faisais la même classe, et dont j’étais aussi fou qu’un berger peul de ses vaches… J’allais jouer devant Miriam, séduire Miriam par mes buts ô combien acrobatiques. La classe !
La première balle que je touchai de la partie, après plus d’une heure de jeu, fut celle du malheur. C’était une passe qui me venait d’un latéral. Attaquant, je devais dribler le défenseur devant moi et foncer sur le gardien. J’amortis la balle, dont la puissance sur ma poitrine faillit me renverser, l’ajustai sur mon pied gauche, étant gaucher, et m’apprêtais à m’élancer quand je sentis la charge du défenseur sur mon orteil. Un tacle régulier. Mais trop méchant, trop sévère, trop douloureux pour moi. La douleur fila de mon orteil, attaqua mon cœur, s’échappa de ma bouche à travers un puissant Maman que je hurlai en m’écroulant face contre terre, avant d’éclater en sanglots. Tous les joueurs et les supporters avaient déjà tout vu durant leurs années d’expérience avec le foot, mais un attaquant qui fond en sanglots en invoquant sa mère devant un si léger tacle ! Tout le stade, mes coéquipiers, mes adversaires, les supporters et… Miriam, tous éclatèrent de rire. Toujours en sanglots, allongé dans le sable, je m’apprêtais à me lever, et détaler sous la honte quand je sentis deux mains me soulever du sol. Ma Mère, Mère Marthe, qui était venue au stade supporter son sacré petit dieu du ballon rond, me posa un baiser sur le front et me murmura, Allez, viens, mon champion, tu ne vas plus jamais jouer en public, tu joueras désormais toujours à la maison, tu es plus talentueux à domicile.
Bah, ouais, mon amour de mère, pourquoi pas, hein, au moins si c’était à domicile, j’allais exclure celui qui m’avait taclé, le menacer de me laisser marquer le but ou retirer mon ballon. Je gagne toujours à domicile. Mieux que les Sénégalais.
PS : Ma petite Rita, tu vois que je ne suis pas un mauvais perdant, hein, j’ai pas pu remporter le Nobel mais je sais remporter les matchs à domicile. A toi.
Commentaires