Aicha Koné : frères ivoiriens, dites-lui M… !

J’ai reçu, ce matin, ce message d’une fidèle lectrice de mes blogs, une Ivoirienne installée à Paris. « Tu as dénoncé l’injustice, sur ton blog, de la chanson de la diva ivoirienne Aicha Koné. En revanche, face à ce déferlement de xénophobie ambiante de la part de tes compatriotes togolais, je ne t’ai pas vu réagir. Que le peuple togolais juge l’artiste sur ses actes et non sur ses origines et sa nationalité. Les togolais sont bien accueillis, intégrés et acceptés en Côte d’Ivoire. Dommage que ce ne soit pas réciproque. Les femmes et enfants réfugiés depuis 2 ans sur le camp d’Avepozo à Lomé sont malmenés par les forces de l’ordre togolaises. Elles manifestent pour avoir de quoi manger, boire et vivre. Elles affrontent cela dans la dignité. A cela, elles doivent ajouter le rejet de la population autochtone sur place, cela devient carrément invivable. Pourtant, je ne vois pas d’Ivoiriens s’en prendre aux Togolais. Au contraire, ils les remercient de leur hospitalité envers un pays voisin… »
J’ai tout simplement souri à la lecture du mail, car je connais très bien ce genre de messages et où ils peuvent mener. Je me rappelle encore cet épisode lors d’un passage, en novembre passé, à Abidjan pour une conférence. Une des hôtesses qui distribuaient les badges aux intervenants, voyant mon prénom « Yao », m’avait demandé si j’étais baoulé. Non, que je lui avais répondu, je suis togolais. « Ah, Togolais, mais vous n’êtes pas gentils avec nos réfugiés chez vous là-bas dèh ! », m’avait-elle murmuré en souriant. Je voulus me défendre et lui fis savoir que tous les réfugiés du monde ont toujours eu des problèmes dans tous les pays d’accueil, que les Togolais ne sont pas reconnus pour leur xénophobie jusqu’au point de maltraiter injustement de pauvres réfugiés ayant fui la persécution chez eux… que… Je fus interrompu par une voix derrière moi : « Mon frère, ce que vous les Togolais vous nous faites subir là-bas est inhumain, alors que nous on vous accepte chez nous ici comme nos frères et… », un collègue eut l’intelligence de me tirer gentiment par la main pour me sortir du traquenard. J’avais commencé à suer, pas du tout préparé à faire un débat de ce genre.
Je ne suis pas en mesure de trancher cette tension qui oppose les réfugiés ivoiriens au Togo et les autorités, autochtones et forces de l’ordre togolais. Connaissant les autorités et forces de l’ordre de mon pays, et comment ils nous traitent, nous Togolais, je sais de quoi ils peuvent être capables en matière de gestion de réfugiés vulnérables laissés-pour-compte. Mais je ne peux non plus totalement donner raison à ces réfugiés ivoiriens qualifiés par plusieurs rapports par leur intransigeance et leurs actes de mauvais voisinage vis-à-vis des autochtones togolais.
Mais le message de ma lectrice m’a confirmé une remarque que je fais depuis quelques jours sur les sites où se déroule la polémique liée à la chanson d’Aicha Koné : la virulence excessive et le caractère xénophobe de certains propos des internautes togolais. Hier, j’ai dû supprimer de mon blog deux commentaires d’internautes togolais, l’un appelant les Togolais à aller attaquer les Ivoiriens au Togo, et exiger qu’Aicha Koné rembourse aux Togolais ce qu’elle a pris avec Faure Gnassingbé pour faire son morceau, l’autre traitant les Ivoiriens d’opportunistes… Le genre de messages qui amènent à des violences gratuites et insensées.
Qu’on se le dise, chers compatriotes, cette chanson n’est pas une histoire entre Togolais et Ivoiriens. Aicha Koné n’a consulté aucun Ivoirien avant d’aller faire cette chanson, et c’est elle seule qui sait ce qu’elle y a gagné. C’est elle seule qui doit être attaquée, harcelée, huée… jusqu’à ce qu’elle monte au créneau et dise ce qu’elle y a gagné. Elle et son héros national, son dieu Faure Gnassingbé. Le chef d’Etat capable d’aller commanditer une chanson qui le loue, pendant que les fonctionnaires du pays qu’il prétend diriger sont dans les rues, plaidant pour une amélioration de leurs minables salaires, pendant que six mois après la rentrée les étudiants de son pays n’ont pas encore touché une seule tranche de leurs aides, pendant que chaque jour, chassés par la misère et le désespoir, des centaines de jeunes Togolais se lancent dans des aventures sans issue vers des destinations incertaines.
Chers frères ivoiriens, rassurez-vous, les Togolais ne sont pas xénophobes. Vous êtes chez vous au Togo, tout comme nous, Togolais, sommes chez nous en Côte d’Ivoire. Et s’il arrive à vos frères réfugiés d’être injustement maltraités durant leur exil sur le sol togolais, n’y voyez aucune trace de xénophobie des Togolais, mais de la mauvaise foi, l’incapacité et l’irresponsabilité de ceux-là qui dirigent leur pays d’accueil. Le Togo ne va pas bien. Le Togo d’Eyadema, de ses fils et de son clan est un cauchemar pour les Togolais. Voilà pourquoi, nous, milliers de jeunes Togolais, sommes en exil, incapables de retourner chez nous. Vos frères réfugiés ne sont que des victimes parmi les millions de victimes que nous sommes. Voilà en quoi le cantique d’Aicha Koné à son idole Faure Gnassingbé vous insulte, tout comme nous. Dites-lui donc Merde !
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