Du champagne pour la sœur de Faure Gnassingbé

Depuis qu’Etienne, un de mes amis à Bamako, a amené sa femme du Togo, il y a un an, le nouveau marié ne cesse de me vanter les mérites du mariage. « Je ne sais pas ce que tu veux, toi, toutes ces petites étudiantes togolaises ici, tu ne peux pas en choisir une hein, tu les laisses à qui, hein, tu sais qu’elles n’aiment pas les Maliens, elles les trouvent pas branchés et surtout polygames, écoute, si tu ne veux pas en prendre une ici, cherche juste un mois, tu cours au pays en prendre une, tu sais aucune fille du pays ne refuse actuellement un garçon revenu de l’étranger, quel que soit le pays d’où il revient, même si tu reviens d’Afghanistan ou d’Irak, tu trouveras de jolies Togolaises prêtes à t’épouser et te suivre, elles ne veulent pas finir dans le mouroir des Gnassingbé, d’ailleurs, t’inquiète, je t’en chercherai une ici très bientôt, crois-moi. » Et il m’en a trouvé, une, et pas n’importe laquelle.
– La petite sœur même père de Faure Gnassingbé, étudiante ici, tu dis, hein ? Mais pourquoi n’est-elle pas en France ? Une Gnassingbé, propriétaire du Togo donc, qui n’a trouvé que Bamako pour étudier ? C’est bizarre.
– Comment ça bizarre, hein, avait rétorqué Etienne, plus convaincant qu’un Ivoirien à la drague, tu sais, nos riches deviennent de plus en plus intelligents, ils ne veulent plus envoyer leurs enfants en Occident, parce qu’ils leur reviennent de là soit drogués soit homosexuels, ou, pire, mariés à des Blancs. Je te jure que c’est la sœur de Faure Gnassingbé, j’ai lu le nom sur sa carte d’identité de mes propres yeux, d’ailleurs quand tu la verras, tu n’auras plus besoin qu’on te le dise, elle pue l’argent, et quand tu vois son derrière, mon vieux…
Je ne savais si je devais croire Etienne ou pas. Un de ses voisins de quartier avait ramassé, dans un bar très cher de Bamako, la carte d’identité d’une Togolaise, et sachant qu’il était Togolais, le voisin la lui avait amenée, et, que lisait-il sur la carte, hein, les dix lettres magiques formant la formule qui permet d’être président de père en fils pendant cinquante ans : GNASSINGBE. Il avait sursauté, avait paniqué, parce qu’une carte d’identité portant le nom « Gnassingbé » est aussi rare à ramasser que trouver le soutien-gorge d’une star de Hollywood à la mode dans le lit d’un portefaix. Ayant repris ses esprits, il avait appelé le numéro qui figurait sur la carte, et la fille lui avait donné rendez-vous dans un bar. Ils s’étaient rencontrés, et quand il avait demandé à la fille si elle était une sœur de Faure Gnassingbé, elle avait bougé la tête vers le bas, ce qui signifiait oui. Elle est étudiante. « David, mon frère, c’est ta femme, je vais tout arranger, c’est ta chance, cette fille est ta chance de réussite dans la vie, un petit poste de ministre te conviendrait non? Attends juste qu’on la rencontre ce soir, tu jugeras toi-même. Bon, elle n’est pas belle, elle ressemble à son grand-frère, mais bon, que veux-tu, hein, à défaut d’une jeune fille, une veuve s’appelle « mon amour » dit le proverbe. Tu fermes les yeux et tu l’épouses, c’est son argent qui compte. Je sais que tu te demandes si elle est vraiment riche comme je la présente. Pas de souci, tu crois que je me serais intéressé à elle si elle n’était pas riche, hein, dis-moi, un Gnassingbé ça vaut quoi si ça n’a pas d’argent, hein… »
« Chop my money, chop my money ooooooooo, chop my money, i don’t caaaaaare… hé…hé » Le Blabla. Un des restos les plus chers de Bamako, prisé par une clientèle majoritairement occidentale relayée de temps à autre par de vieux experts en péculat, spécialistes en consommation exagérée de Viagra toujours décidés à en mettre plein les entrailles à de petites nymphomanes aussi matérialistes qu’allumées. Pendant plus de deux heures, Etienne, moi, et la petite sœur de Faure Gnassingbé avons mangé, bu et bavardé. Pas belle, mais très propre et élégante ! Elle puait vraiment l’argent ! Etienne avait vu juste. J’ai même décelé une ressemblance entre elle et son grand frère le président togolais : ces yeux dormants qui donnent toujours l’impression à la télé que notre président somnole à toutes les conférences. Comme me l’avait conseillé Etienne, je n’abordai aucun sujet politique, et lui cachai que j’étais blogueur. Un petit tour sur mon blog, et tout serait foutu si elle découvrait toutes les grivoiseries que je vomis à longueur de texte sur son grand-frère de président.
Vers minuit, nous décidâmes de payer et partir. On nous amena une addition totale de cent-trois mille francs CFA. La sœur de Faure Gnassingbé, riche bécébégé, avait fait sauter un vin mousseux de quarante-deux mille. Le serveur, voyant ma bedaine naissante qui me donne l’air de je ne sais quel bourgeois de village, me tendit la note. Je lui fis signe de la tête de la tendre à la riche sœur de Faure Gnassingbé. Elle parut, la sœur de Faure Gnassingbé, étonnée que je lui demande de payer. Je parus étonné qu’elle parût étonnée que je lui demande de payer. Etienne parut étonné que nous parussions étonnés. Et ce fut lui qui brisa le silence qui s’était abattu sur nous :
– Euh, Mademoiselle, écoutez, euh, nous on s’est dit que, bon, comme vous, vous êtes la sœur du président, et…
Elle, la sœur de Faure Gnassingbé, pouffa d’un rire amer, en tapant des mains, comme le font les Togolaises quand elles font des commérages :
– Ehouéééééééééé, makoulaaaaaaaaa, donc, si je comprends bien, vous m’avez fait venir ici pour manger et me faire payer avec l’argent volé de mon frère le président ! Tchoooo, mon frère, écoute, je ne suis pas la sœur de Faure Gnassingbé, pas même sa cousine au trentième degré, je m’appelle Nadou, tu vois, hein, je suis d’Aného, loin, très loin de Faure Gnassingbé, donc…
– Hein… Et… et… ta carte d’identité, le nom « Gnassingbé », balbutia Etienne, alors que moi je m’efforçais à me rappeler un zidobo, une de ces incantations qu’on apprenait durant l’enfance, et qui, nous disait-on, pouvaient nous aider à disparaître dans certaines situations critiques et nous retrouver dans notre chambre.
– Ohhhhhhhhhhhh, fofonyé, mon grand-frère, cette carte, c’est juste une invention d’un de mes anciens grotos à Lomé, un commissaire de police. Il me l’avait établie juste pour me permettre de gérer certaines situations difficiles. Tu sais que le nom « Gnassingbé » ça peut gérer pas mal de situations au Togo. Je l’ai amenée à Bamako en attendant d’établir ma carte consulaire, et je l’ai égarée dans le bar où ton ami l’a retrouvée. Elle n’a rien de vrai, cette carte, d’ailleurs il y est mentionné que je suis étudiante alors que je n’ai pas le CEPD, moi. J’ai toujours été serveuse.
– Et pourquoi avais-tu accepté quand je t’avais demandé, hier, si tu étais une petite sœur de Faure Gnassingbé ? eut encore le courage de murmurer Etienne, alors que le serveur, la patience à fleur de peau, poussait déjà de petits jurons de chien méchant.
– Bah, répondit la sœur de Faure Gnassingbé, ou plutôt celle qui aurait dû l’être pour payer cette addition de malheur, bah, répondit-elle, je ne pouvais pas refuser d’être une sœur de Faure Gnassingbé si on décide de m’en faire ! Bon, assez bavardé, payez et on y va, je suis votre sœur après tout, vous pouvez payer pour ce petit truc que j’ai mangé non ? Lui, surtout, il est bien joufflu, il a de l’argent, on dirait que c’est plutôt lui le petit frère de Faure Gnassingbé, fit-elle, pickpocket, en me désignant.
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