Ce n’est pas par l’odeur du pet qu’on reconnaît un vieux (Première partie)

Du temps où on naissait plusieurs fois
Kader Konaté, K2 (K Au Carré) pour les intimes (Et Allah le Miséricordieux est témoin, des intimes, Kader Konaté en a à faire tuer dans la bande de Gaza pendant au moins six mois de bombardements israéliens), K2 donc, est malien. Son premier acte de naissance, celui qui lui avait été établi quand il devait être inscrit à l’école primaire publique de son village indique : « Né vers 1944 », le deuxième, établi l’année où il passait le certificat d’études du premier degré pour lui permettre de tenir dans la grille d’âge autorisée par l’Etat pour être orienté dans un collège public, mentionne « Né en 1948 », et le troisième acte, avec lequel il est entré dans la fonction publique indique : « Né le 31 décembre 1954». Les mauvaises langues parmi ses collègues murmurent qu’il s’est fait établir un quatrième acte de naissance qui le fait naître un 15 juillet 1957, pour lui permettre de repousser de trois ans son âge réglementaire de départ à la retraite… Mais, la date de naissance normale de Kader Konaté, c’est-à-dire celle qu’il déclare quand on lui demande son âge, est « Né le 12 janvier 1958».
Bref, pour ne pas vexer K2 (il a un long périple à courir, ne le chargeons pas dès le début, « on n’a point besoin de tirer les couilles d’un bouc qu’on est sur le point d’égorger », dit l’adage), pour ne point le charger donc, le K2, disons, comme il le dit, qu’il est né en 1958. « Qui ne change pas d’âge dans ce pays, hein, alors, dites-moi, qui ne change pas d’âge dans ce Mali où vous croisez des vieillards marchant avec une canne qui vous disent qu’ils ont trente-cinq ans ou des hommes qui ont des enfants de trente-six ans vous dire qu’ils ont quarante ans ? Non, ce n’est pas l’acte de naissance qui compte, c’est la solidité physique » s’emporte-t-il, d’ailleurs, quand un rabat-joie à la tête aussi lisse que le postérieur d’un chimpanzé commet l’imprudence de lui poser des questions sur ses multiples dates de naissance.
Cependant, aussi bizarre que cela puisse paraître, malgré ce que peut faire croire sa ribambelle d’actes de naissance, Kader Konaté n’est pas un footballeur camerounais, pas plus que Rihanna n’est pas une sœur. Il travaille, il a toujours travaillé, depuis son entrée dans la fonction publique en 1992 avec son Certificat d’Etudes primaires, comme agent de pointage au Service des Recouvrements de la Direction nationale des Impôts du Mali, un poste que lui avait offert un membre de l’exécutif malien de l’époque, en échange de sa médiation sans faille dans les démarches du troisième mariage de ce dernier avec une de ses cousines.
Pour parler dans le jargon de son domaine, K2 occupe un poste très juteux, ce qui lui permet, malgré son risible diplôme, malgré son statut de fonctionnaire de classe exceptionnellement basse, malgré son salaire mensuel officiel de 56 500 FCFA, de toucher un revenu mensuel avoisinant 600 000 F Cfa, l’équivalent du double ou du triple du salaire d’un chargé de cours à l’université.
Parce que quand on travaille à la Direction nationale des Impôts d’un pays fissuré de tous les côtés par deux décennies d’une démocratie socialo-populo-analphabeto-villageoise, qu’on a la chance de se retrouver au Service des Recouvrements, les affaires viennent, d’elles-mêmes, frapper à la porte à cinq heures du matin, demandant d’être faites, les opportunités accourent de tous les côtés, suppliant d’être saisies, les billets de banque coulent de n’importe où, implorant juste d’être mangés.
Et K2, en vingt ans de bons et loyaux services rendus à la nation, a suffisamment eu du temps pour apprendre à faire les « affaires » qui s’offrent à lui, ouvertes, dociles, telles des amantes en chaleur, à ramasser des deux mains tous les billets de banque propres, presque propres, un peu sales, sales, très sales qui vadrouillent dans son sillage. Il a appris à doubler ses supérieurs hiérarchiques pour plumer des commerçants en retard de paiement, les menaçant de fermer leurs commerces s’ils ne lui mouillent pas la barbe – qu’il a assez fournie comme tout musulman qui se respecte, à délivrer de fausses factures avec de fausses signatures et cachets, à faire payer deux ou trois fois les mêmes redevances aux imposables usurpant des titres çà et là… avec toujours la même devise sur les lèvres : « La fonction publique paie très mal, on ne peut pas y survivre sans les affaires. Comment voulez-vous que nous, gros diplômés de ce pays, nous nous contentions de ces miettes que l’Etat nous paie, alors que dans le privé de petits morveux sans aucun diplôme gagnent des millions par mois, hein ? Je n’ai pas fait mes études pour venir remplir gratuitement la caisse de l’Etat qui n’est en fait que la caisse du président de la République… »
A suivre…
Commentaires