Comment je l’ai assassinée durant le ramadan

17 juillet 2013

Comment je l’ai assassinée durant le ramadan

 

Fille africaine (Crédit image: www.linternaute.com)
Fille africaine (Crédit image: www.linternaute.com)

Hum ! Dzakpata bé deviwo mou nya kou o … Les enfants ne connaissent vraiment pas le visage de la mort, sagesse d’une vipère de chez moi.

Je m’étais retrouvé hier dans un restaurant aussi cher que superflu de Bamako, un de mes lecteurs maliens vivant à Paris, un de ces Maliens qui m’avaient découvert sur Internet l’année passée, quand je jouais au charcutier avec le capitaine Sanogo – qui jouait lui-même au ping-pong avec le Mali – le découpant comme des boyaux de bœuf par mes blogs et des sites internet maliens interposés. De passage à Bamako pour quelques jours, il m’invitait à prendre un verre avec lui et sa copine française. Disons que je m’étais dit que c’était plus pour me montrer sa copine blanche, histoire de me dire « Hé, le mec, moi j’ai pas une plume qui cartonne comme la tienne, mais j’ai une meuf blanche, pas même vieille comme celles de la plupart de nos frères, mais jeune, tu vois, hein, une blanche jeune, tu vois là ! »

Nous avions à peine commencé à discuter des prochaines élections présidentielles françaises, euh maliennes, bon disons franco-maliennes, puisque c’est la France qui les organise ici, quand mon téléphone portable sonna. Safiatou D. Le louche. Chaque fois que cette fille m’appelle, cette ancienne étudiante à moi dont je n’ai jamais réussi à trouver le mot juste pour décrire la relation qui m’a lié et continue de me lier à elle, ex-étudiante, ex-amie ou amie, ex-copine ou copine… chaque fois que Safiatou m’appelle, donc, je sais qu’elle a une affaire louche à me proposer.

Je décidai de ne pas lui répondre, mais mon téléphone, que je ne pouvais pas éteindre pour ne pas rater un appel important que j’attendais, avait commencé à déranger mes hôtes. « Allo, Safiatou, écoute, je suis en train de prendre un verre avec des amis au Paradise, je te rappelle après… »

Hou là là, ça c’est un miracle, Dévé, tu as dit la vérité au moins une fois dans ta vie, tu es vraiment ici avec des amis et pas avec une de tes étudiantes pucelles villageoises-là qui te prennent pour Casanova, bah, écoute, j’étais dans les parages quand je t’appelais et je me suis dit pourquoi ne pas venir vérifier si t’es vraiment au Paradise, et je vois que vous êtes comblés, là, votre table me fait saliver, hein, je me joins à vous, bonjour l’ami, ah, vous avez un accent parisien là, vous revenez de chez les Toubabs, hein, bonjour la Blanche, qu’elle est mignonne, mon Dieu, une blanche mignonne avec un jeune Malien, quel miracle, hi hi hi, celles que nos frères s’en vont nous ramener ici sont tellement vieilles et décrépies qu’ont dirait qu’ils sont partis les ramasser dans des tombes, aie, aie, mes hanches, ce ramadan et son jeûne-là vont me tuer kouééé…

Elle s’assit, sans qu’on l’eût autorisée, prit le menu, fit signe au serveur et commanda un whisky au coca comme apéritif, du riz avec du rognon de bœuf, un milk-shake, une limonade… Mes hôtes la regardaient et me regardaient, étonnés.

Mais, Sa… Safiatou, je, je suis avec des amis et tu… tu viens, euh, dis-moi, pourquoi tu es venue alors que je t’ai dit que j’allais te rappeler, et, euh… je… je…

La copine de mon hôte, voyant les tonnes de honte ayant déformé ma mine, me demanda de la laisser, que c’était bien qu’elle se joigne à nous, qu’on formait maintenant deux couples et que la discussion serait plus intéressante, plus équilibrée, alors que Safiatou, insensible à mon pétrin, discutait déjà avec le parisien, lui tapotant ses les épaules et les cuisses comme si elle le connaissait avant, racontant des méchancetés sur sa copine blanche en bambara.

Trois quart d’heure après, nous discutions toujours des difficultés autour de l’élection du 28 prochain, Safiatou le nez dans son plat qu’elle dévorait avec avidité, entrecoupant, la bouche pleine, nos arguments par ses conneries habituelles, quand deux jeunes hommes, musclés, les yeux cachés derrière des lunettes noires, s’arrêtèrent à notre table, juste face à Safiatou qui ne les voyait pas, concentrée sur son plat de riz.

Monsieur, vous, vous cherchez quelqu’un, hein, ai-je balbutié, croyant qu’ils s’étaient trompé de table.

Ma voix fit sursauter Safiatou qui, à la vue des deux hommes, prit une mine déroutée. Mes deux hôtes étaient perdus d’étonnement et sûrement de peur. Allait-on se faire braquer en plein public ? Il y avait une Blanche parmi nous, et ça attire maintenant des ennuis ici, une Blanche. Nous sommes sous le nez d’Al-Qaïda au Maghreb islamique !

Messieurs, je, euh, vous cherchez quelqu’un, hein, parce que là ça fait deux minutes que vous êtes là à nous épier et…

Nous la cherchons, elle, fit l’un d’eux en désignant Safiatou qui avait maintenant la mine d’un talibé malien affamé, elle doit des choses à notre boss et…

Je… je… dois quoi à votre boss, hein, moi, euh, vous, alors… écoute, David, je…

Le louche, le louche, mon Dieu, cette fille ! Je demandai, par prudence, à mon lecteur de s’en aller avec sa copine, j’allais régler l’addition et je les rappellerais après pour une autre rencontre, ils…

Que personne ne se lève, cette fille doit des choses à notre patron, et on l’a trouvée avec vous, cela signifie que vous êtes ses complices et…

Mais, écoutez, les gars, vous ne pouvez pas comme ça débarquer ici et commencer à nous intimer l’ordre de…

Vlan ! Mon lecteur n’eut pas le temps de terminer sa phrase, une gifle d’un des deux lascars l’atteignit en pleine bouille. Débandade. Tout alla très vite. Mon lecteur et sa copine, grâce aux services de sécurité, arrivèrent à se dérober. Moi j’étais immobilisé à ma place par un des lascars qui me prenait maintenant pour garantie, alors que l’autre distribuait des gifles sur tout le visage de Safiatou, sous les cris d’horreur des autres clients du restaurant. Les deux agents de sécurité arrivèrent à libérer Safiatou, et chasser les deux loubards du restaurant après un dizaine de minutes. «Tu paieras jusqu’au dernier fil de ton slip » lança un des lascars à Safiatou en sortant.

David, tu viens de dépasser les limites de ta méchanceté, c’est horrible, ce que tu viens de faire, tu étais assis là à voir ces bandits drogués me maltraiter, et tu n’as pas eu le courage d’intervenir, de me protéger, je suis une femme, tu as bafoué mon honneur et…

Je sursautai quand elle prononça le mot « honneur ». Elle était là, assise à côté de moi, le visage boursoufflé par les gifles, les yeux en larmes… C’est en la regardant que j’eus pitié d’elle. Elle avait raison, je venais de bafouer son honneur, et je devais le lui rendre, son honneur. Et pour une fille ayant juré de passer toute sa vie dans le déshonneur et l’indignité, la manière de lui rendre son honneur est simple. Je sortis mon téléphone portable et envoyai ce message à un ami juge : « Dis-moi, Ousmane, je risque combien d’années de prison au Mali en assassinant dans un bar une fille de 23 ans pendant le mois de ramadan ? »

 

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Commentaires

David Kpelly
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It's on!

chrissfreevoice
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Tu m'as fait voyager. Merci !
Et alors, combien d'année ? ;)

David Kpelly
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Ah, le nombre d'années de prison que j'encours, mon Chris, je sais pas encore, la police ne s'est pas encore présentée chez moi. Peut-être qu'ils ont été eux aussi roublés une fois par ma Safiatou, et ils se sont dit, bon débarras, cette fille c'était la peste!
Amitiés

Serge
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putain... c'est pas facile pour toi deh

David Kpelly
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Ah, est-ce que c'est facile pour quelqu'un hein, mon cher Serge? C'est facile pour toi là-bas avec les Brésiliennes?
Amitiés

Marek Lloyd
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En tout cas, du courage.ça va"ira"..

David Kpelly
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J'espère, jeune frère. Ca bouge? Courage à toi aussi, je te lis avec plaisir dans ton blog!
Amitiés

Eliane
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T'avais pas besoin de la tuer, Tonton! Y a meilleur moyen de punir une fille! Suis mon regard..... MDR comme toujours en te lisant papa!

David Kpelly
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Ah, la Elianette, si je te dis! C'est que cette fille n'écoute pas!Plus têtu qu'elle - et que toi aussi, hi hi hi, tu meurs! Comment tu vas, maman?

Nany
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Sacré Dave!!!!!

David Kpelly
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La Nanyette, comment tu vas?

angel
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ici au togo pour les choses de ce genre on repond par la phrase*ça depend* moi je dis donc que ça dépend de ce que safiatou défini par honneur.allait t-elle peut être dire horreur qui sais?