Ces dealers et Cie des bas-fonds de Cotonou

13 juin 2011

Ces dealers et Cie des bas-fonds de Cotonou

Florent Couao-Zotti

Fiche de lecture du roman Si la cour du mouton est sale, ce n’est pas au porc de le dire de l’écrivain béninois Florent Couao-Zotti.

 

« Smaïn courait comme un diarrhéique. Il courait, valisette au vent, sans savoir vers où s’orienter, dans quel endroit échouer. Ses yeux, des boules de grillons excités, scrutèrent l’enceinte de l’établissement. A gauche, les entrepôts s’alignaient, grands, immenses avec leurs lots de grues, comme figés dans l’éternité. Devant, des camions, avec leurs remorques positionnées pour des chargements. Plus loin, des pyramides de marchandises, avec à côté, des conteneurs installés les uns sur les autres tels des cartons ou des boîtes d’allumettes… »

Cotonou, capitale de la République du Bénin, en Afrique de l’Ouest. Smaïn, un Arabe louche et lubrique, star de foot avorté, aimant croquer les minettes bien arrondies pour son « dîner sexuel ». Trois jolies demoiselles, des putes de luxe, des « banques poilues où l’on met de l’argent sans en retirer ». Deux policiers entreprenants de la brigade des stupéfiants. Un ancien policier reconverti en détective privé. Et une valisette de cocaïne estimée à quatre-vingt millions de francs. Florent Couao-Zotti entraîne, comme d’habitude, ses lecteurs dans les bas-fonds de la capitale béninoise où les personnages nous font vivre les souffles d’une ville où chacun essaie de tirer son propre diable par la queue.

Ce polar de deux cents pages de l’écrivain béninois de 47 ans, l’un des plus doués et originaux de la nouvelle génération d’écrivains africains, s’ouvre sur un Arabe, Smaïn, torturant une jeune belle fille, réclamant d’elle un secret que refuse de révéler cette dernière. L’Arabe, pour accentuer la pression sur la martyrisée, demande à Mathias, son homme de main, de la violer, mais la rusée arrive à détourner l’attention du jeune violeur pour se sauver, juste pour quelques fractions de seconde, comme elle sera très vite rattrapée. On la retrouvera morte, mutilée, sur la berge de Cotonou. Et pendant que la police mène des enquêtes sur ce meurtre commis sur la jeune fille, une ancienne Miss Bénin enrôlée de force dans un réseau de narcotrafiquants, une autre belle jeune fille, Sylvana, « aux hanches qui explosent en une espèce d’entonnoir », débarque chez l’Arabe et lui propose de lui échanger une valisette de cocaïne contre de l’argent, la même valisette que propose une troisième jeune fille, Rockya, à un ancien policier reconverti en détective privé fauché en manque de clientèle. L’échange de la valisette de cocaïne contre vingt millions de francs aura lieu entre l’Arabe et Sylvana. A la grande joie des deux parties. Une joie aussi éphémère qu’un feu de paille, comme l’Arabe se rendra vite compte qu’il a la police à ses trousses, et Sylvana que les billets de l’Arabe sont faux. Elle qui avait volé la valisette de cocaïne à son amie Rockya à qui l’avait confiée la Miss assassinée. S’ensuivent alors une course poursuite et une série de cache-cache entre l’Arabe et la police, et des règlements de comptes entre Sylvana et Rockya. Smaïn fuit à grands pas devant la police, défiant balles et menaces, assassinant tout ce qui peut lui barrer le passage, quand les deux amies se règlent de vieux comptes entre rivales… Jusqu’à la fin où tous ces sinistres acteurs de ce feuilleton cocasse se retrouvent encerclés dans un coin de quartier, dans le noir, par quelques caïds de quartier prêts à les expédier six pieds sous terre après les avoir atrocement fait souffrir.

Dans ce roman récompensé par le prix Ahmadou-Kourouma 2010, Florent Couao-Zotti reste lui-même avec son style particulier qui produit un enchantement sur le lecteur qui n’est pas prêt à interrompre sa lecture avant la dernière page. Car Florent Couao-Zotti, c’est d’abord du style, un style qui sait épouser le cadre du récit et les personnages, qui n’hésite pas à intercaler entre les mots français des mots tirés du fon, langue nationale du Bénin, ou d’autres dialectes parlés dans les rues du Bénin, comme dans la phrase « Allonge le chia (argent, en argot fon), mec, on va pas y passer la journée. »

Comme dans la plupart de ses précédents livres, l’écrivain, qui réside à Cotonou, nous fait vibrer au rythme de ces petites gens oubliés dans leurs coins, des hommes sans aveu, qui cherchent à se construire une vie, un destin, généralement dans le louche, les matoiseries et la roublardise. Comme Danger, le héros du premier roman de l’auteur, Notre Pain de chaque nuit, ce jeune champion de boxe obsédé par l’amour d’une jeune belle demoiselle à la moralité pas tout à fait propre, ce Danger qui avait tout tenté pour conquérir cette fille qui le rendait fou mais qui était occupée à voir ailleurs, dans des portefeuilles cossus, nous retrouvons ici un Smaïn jusqu’au-boutiste  prêt à aller à bout de toutes ses forces pour atteindre son objectif, sauver sa valisette de cocaïne. Et ce personnage, Smaïn, ne fait que rappeler d’autres personnages qui jonchent les recueils de nouvelles L’Homme dit fou et la mauvaise foi des hommes et Poulet-bicyclette et Cie de l’auteur béninois, comme ce jeune garçon prêt à affronter tous les dangers pour sauver un métal précieux volé, ces femmes qui, les pagnes retroussés, sont prêtes à se battre ou contre leurs maris pour protéger leurs enfants, ou contre des policiers corrompus pour protéger leurs marchandises. Comme l’Arabe Smaïn, les personnages de Couao-Zotti, à l’instar de tous ces laissés-pour-compte que l’on croise dans tous les coins et recoins des villes africaines, savent que leur survie ne peut dépendre que d’eux-mêmes. Et ils se battent, avec toutes les armes, pour la bonne ou la mauvaise cause, pourvu qu’ils y trouvent une petite lueur pour illuminer le sombre dédale de leur vie. Ils sont, surtout, sans lois. Leur philosophie est claire, personne ne peut empêcher personne de s’accomplir, car, des donneurs de leçons, il ne doit pas y en avoir dans ces coins où chacun semble avoir signé un pacte avec le dieu Roublardise. Chacun doit essayer d’ôter la poutre de son oeil, avant de s’attarder sur la paille dans celui de son voisin. Car ce dicton populaire si bien connu au Togo et au Bénin le dit si bien, Si la cour du mouton est sale, ce n’est pas au porc (roi de la saleté) de le dire !

David Kpelly

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David Kpelly
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