Amadou Toumani Touré à la barre !

9 avril 2012

Amadou Toumani Touré à la barre !

 

Deux semaines de choc, d’angoisses, d’émotions, de passions, de questionnements… Deux semaines d’opposition surtout, autour d’un putsch aussi imprévu qu’intempestif. Le 22 mars 2012. L’attente avait duré toute la nuit, à Bamako, où chacun, terré chez soi depuis les premiers coups de feu, fixait l’écran de la télévision nationale où l’on lisait le message Dans un instant un message des militaires. Puis le message, autour de quatre heures. Un groupe de militaires tous apparemment jeunes, cherchant tous à regarder sur la feuille où l’un des leurs lisait un communiqué écrit à la hâte, informait le peuple malien de la chute du régime d’Amadou Toumani Touré. Il lui était reproché son incompétence dans la lutte contre la rébellion touarègue qui avait éclaté au Nord du pays en janvier 2012. ATT venait donc de tomber, à un mois des élections qui devaient marquer la fin de son mandat. Le président était, certes, désavoué par une très grande partie de sa population, mais il disposait toujours d’un pouvoir légitime.

Il fallait, rapidement, s’aligner. Soutenir le coup, ou le dénoncer au nom de la constitution malienne. Ou tout simplement en profiter comme le firent les rebelles touaregs et les islamistes. Chacun s’y était donné avec passion. Des journées entières à sillonner centres de conférences, podiums et médias de Bamako et même d’ailleurs pour valider ou condamner l’action des jeunes militaires, l’impitoyable soleil sahélien de mars et d’avril à défier dans des marches de soutien ou de protestation, des nuits blanches à passer pour écrire des billets et des billets pour faire rester ou dégager le capitaine putschiste et sa bande sur-le-champ.

La même passion pour nous tous qui avons été très activement impliqués dans l’appréciation de ce putsch, la même fougue aussi, mais pas avec les mêmes objectifs, les mêmes intérêts. Chacun avait défendu sa position, en fonction de sa vision de la démocratie, le mot s’étant retrouvé dans les discours des deux camps protagonistes. Certains n’avaient, dans leur lutte, que le Mali à cœur, d’autres le Mali et leurs intérêts particuliers, d’autres encore leurs intérêts particuliers uniquement.

La constitution malienne a triomphé avec les pressions de la Cedeao et de la communauté internationale, le pouvoir retourne aux civils, selon l’ordre constitutionnel établi. Mais la crise malienne, aggravée par la proclamation de l’indépendance par les rebelles touaregs et la montée en puissance de plusieurs groupes islamistes, est loin, très loin d’être réglée.

Maintenant que la junte putschiste a rendu le pouvoir, maintenant que l’ordre constitutionnel est rétabli, qu’il y a moins de confusions, maintenant que le Mali n’est désormais confronté qu’à une seule crise, celle du Nord, Amadou Toumani Touré, après trop d’années de silences, a des choses à dire aux Maliens. Il doit avoir des choses, beaucoup de choses, à dire, à expliquer aux Maliens. Ses silences autour des ravages d’Al-Qaïda au Maghreb islamique malgré les mises en garde et interpellations de la Mauritanie, de l’Algérie et du Niger. Ses silences autour de ses louches négociations pour la libération des otages français. Ses silences autour de l’alerte donnée en 2010 par un terroriste isolé originaire de la Tunisie devant l’ambassade de France à Bamako. Ses silences autour de l’entrée sur le territoire malien des combattants touaregs revenus, lourdement armés, de la Libye après la chute de Kadhafi et sa suspecte générosité qui l’avait poussé à leur faire don de voitures et de dizaines de millions. Les clauses de ses précédentes négociations avec les rebelles sous les commandes de son gourou libyen Kadhafi. Ses silences et indulgences autour des premières avancées des rebelles touaregs au Nord du Mali. Ses silences devant les insistances et les plaintes des militaires combattants se plaignant de leurs mauvaises conditions… Amadou Toumani Touré est le chef des rebelles, ont fini par conclure les Maliens abasourdis par les silences de leur président. Et il doit s’exprimer, maintenant, pour que cette crise encore trop floue, trop complexe, soit rapidement élucidée.

Les deux-tiers du territoire malien sont aujourd’hui dirigés par un groupe d’islamistes enragés cachés derrière des rebelles qui ne se retrouvent pas encore sur le territoire qu’ils disent avoir conquis. L’enjeu de cette crise est trop grand. Le territoire revendiqué par les rebelles est riche, dit-on, en pétrole et en uranium, le désert favorable à l’implantation des groupes terroristes et des narcotrafiquants, et des intérêts, aussi grands que cette partie du Mali annexée, peuvent rapidement venir se greffer, s’ils ne le sont pas encore.

Aujourd’hui, c’est le terrorisme islamique qui paraît le grand vainqueur, contrôlant la plus grande partie du territoire conquis. Sur toutes les chaînes, ils proclament leur objectif, instaurer la charia partout sur le territoire malien. Et pour lutter contre l’islamisme, il faut des moyens, de très grands moyens que le Mali, la Cedeao, et l’Union africaine n’ont pas. Les pays qui financent et soutiennent l’islamisme sont connus. Ceux qui le combattent, ou prétendent le combattre aussi. De l’affrontement de ces deux groupes de géants naîtra un pays qui ne sera ni le Mali ni l’Azawad, encore moins les deux confondus. Un pays qui ne profitera donc ni au Mali ni à la rébellion touarègue, mais à un groupe de pays terroristes prêts à financer les plus grands tueurs de la terre au nom de l’islam, ou à une nébuleuse de pays capitalistes capables d’enflammer toutes les parties de la terre qui peuvent leur servir au nom de n’importe quel principe.

Un enjeu économique, ou religieux, ou les deux se joue dans cette crise malienne, le Mouvement national de Libération de l’Azawad ne servant aujourd’hui que d’un trompe-l’œil hypocrite. Les positions contradictoires de la France qui prône un dialogue avec les rebelles mais qui promet d’aider la Cedeao en fournitures de guerre en cas d’intervention militaire, le cynisme de la Belgique qui ose parler d’une autonomie à reconnaître aux rebelles, l’apparent silence de la Chine qui est pourtant l’un des plus grands partenaires économiques du Mali, l’opposition entre l’Algérie – d’où les combattants armés libyens s’étaient infiltrés sur le territoire malien, et le Niger sur l’intervention militaire…

Amadou Toumani Touré, qui ne doit pas ne pas en savoir quelque chose, doit, au-delà de toutes les spéculations en cours au Mali, au-delà de tous les recoupements, au-delà de toutes les rumeurs, de tous les noms de ces pays chuchotés à tort ou à raison, s’expliquer, après trop d’années de silences.  Sa démission ne le libère pas de sa lourde responsabilité dans ce chaos qu’il a vu grandir. Qu’il a même peut-être nourri. Pour un intérêt économique, ou religieux.

 

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Commentaires

David Kpelly
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It's on!

Sylvia A
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Eh, BB, on sent comment le Mali te tient à coeur! Articles sur articles, avec rage et passion. Ca va aller. Mais c'est tes histoires caustiques qui commencent à nous manquer. La crise a éloigné de toi les nanas hein. Bi....

David Kpelly
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T'inquiète, puce, je reviendrai après la crise, je suis Malien!
Amitiés

Dicko
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si seulement un tiers de nos compatriotes avait votre clairvoyance et si nos redacteurs de feuilles de choux pouvaient faire de telles analyses, notre cher Mali ne sera pas au bord du gouffre. Chapeau Kpelly

David Kpelly
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Amitiés, cher Dicko, et à suivre.

lisa
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Merci, on y voit plus clair !