Joseph, Marie et le féticheur au réveillon…

Article : Joseph, Marie et le féticheur au réveillon…
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24 décembre 2012

Joseph, Marie et le féticheur au réveillon…

caricature

Décembre à Bamako me rend triste, malheureux. Cinq ans que je suis là, mais je ne m’y fais pas. Je m’y sens toujours aussi enragé qu’un islamiste catapulté dans un temple parmi des chrétiennes en pleines louanges, aussi sevré que Faure Gnassingbé largué dans un séminaire loin des femmes, aussi confus qu’Abdoulaye Wade à un concert de DJ Arafat, aussi indigné qu’un petit puceau peuhl dans une boîte à strip-tease assistant au spectacle de ces pétasses allumées fumant des cigarettes avec leur… euh… leur… avec leur…hum… Salut l’ami, je vois toujours ton visage indigné quand tu me racontais l’horreur : « Tu imagines ça, hein, elles sont devenues folles, ces filles, il y a même eu une qui est montée sur le poteau, a commencé à danser, a allumé une cigarette et l’a mise dans son truc-là, j’ai failli vomir, c’était dégoûtant… » Ah mon pauvre, j’ai même entendu parler de certaines qui exécutent des chansons avec des flûtes dans lesquelles elles soufflent avec… ça, tu vois, hein, c’est la révolution du strip-tease en Afrique… Qui a dit qu’on n’évolue pas ici, hein.

Décembre, donc, me rend très malheureux à Bamako. Ici, on fête Noël avec la froideur d’un déjeuner entre Simone Gbagbo et Alassane Ouattara. Décembre, et aucune boutique, aucun magasin, aucun lieu public, aucun carrefour bien décoré, aucun « Petit-papa- Noël -quand-tu-descendras-du-ciel »… fredonné par la suave voix de Claudette à se mettre sous la dent, aucune ambiance dans les bars – tous cachés, aucun haut-parleur crachant « Azonto, azonto, azonto »… vous mettant déjà l’eau à la bouche. Rien. Les Bamakois, en majorité des musulmans, se foutent de la naissance de Jésus comme une adolescente pubère de sa grand-mère qui lui conseille de se méfier du petit drogué qui lui tourne autour, et les très rares Chrétiens préfèrent rester dans leurs carapaces et organiser de furtives réjouissances…

Ce matin, tendu comme Blaise Compaoré devant un film sur Thomas Sankara, ennuyé comme un militaire malien, ne sachant à quel saint – et à quelle paire de seins – me vouer, j’ai décidé de feuilleter de vieux albums de Noël datant du début des années quatre-vingt-dix, où je jouais Joseph dans le club théâtral de la chorale des enfants de mon église.

Ah, le début des années quatre-vingt-dix, mes années bonheur… J’avais neuf ou dix ans. Beau comme Adonis. Beau à rendre jaloux Brad Pitt et Leonardo Diccaprio confondus à qui j »étais ce qu’une Guinéenne, une peuhle guinéenne est à une Togolaise et une Béninoise en beauté, ce qu’Abdoulaye Wade est à Youssou N’dour en instruction, ce que Michael Jordan est à Michel Gohou en taille, ce que Zahia est à Djénéba la petite bonne sénégalaise de ma voisine en lubricité, ce que Hitler est au capitaine Sanogo en imbécilité, ce que Chantal Biya est à un fou en cheveux désordonnés, ce qu’une Nigérienne est à une Allemande en fabrication d’enfants…

Bref, aux débuts des années quatre-vingt-dix, j’étais si beau. Et je jouais Joseph dans la chorale des enfants à l’occasion de Noël. Ma femme Marie, celle qui devait mettre au monde Jésus dans la scène, était Miriam, la fille du pharmacien du village, Miriam qui, déjà du haut de ses huit ans, éblouissait tout le village par sa beauté, Miriam qui reste jusqu’à aujourd’hui mon plus grand amour d’enfance, et qui coule actuellement des jours très paisibles au foyer d’un jeune toquard de médecin à Lomé, mère de deux beaux enfants déjà, alors que moi je suis toujours aussi célibataire qu’un python, sentimentalement plus pauvre qu’un talibé des rues maliennes. Bon Dieu, que je déteste ce jeune médecin qui m’a piqué ma dulcinée d’enfance… Gide, ce n’est pas les familles que je hais, moi, c’est les médecins… « Médecins, je vous hais ! »

Nous apprenions, donc, la scène de la naissance de Jésus durant tout le mois de décembre, et la présentions le 24 décembre, à la messe du réveillon, devant les fidèles de notre église. La partie que j’adorais le plus était celle où je devais amener ma femme en travail à Bethléem  Il fallait la serrer, ma Marie de femme, dans mes bras, passer mes mains dans ses  cheveux, lui murmurer de doux mots, sous les applaudissements du public et les flashs des appareils photo. Certes, il y avait des couacs, la partie qui ne me plaisait pas était cette histoire de grossesse divine de Marie, j’aurais préféré que la grossesse fût de Joseph, et quand on sait ce qu’on fout à sa femme pour qu’elle porte une grossesse, vous m’imaginez déjà, Rocco Siffredi en miniature, jouer cette séquence du film… Mais quel Joseph cocu par Dieu, mais comblé, je fus !

Malheur. Ce 24 décembre 1994, à quelques heures de la représentation de notre scène, la quatrième fois consécutive où je devais jouer Joseph avec mon amour Miriam, je piquai une subite crise. Ma mère, paniquée, me transporta à l’hôpital entre des dizaines de psaumes et de prières, la piste des sorciers qui voulaient ma peau dans ce village de sorciers n’étant pas écartée. Soins et injections. Je sombrai dans un profond sommeil. Quand j’ouvris les yeux, je remarquai ma mère qui s’était assoupie sur une natte, la tête posée sur sa Bible ouverte. Je la secouai furieusement, lui annonçai que j’étais rétabli, on pouvait rapidement retourner à la maison pour que je me prépare pour la scène qui devait commencer dans quelques instants. Avec ces yeux tristes qui annoncent les mauvaises nouvelles, elle me fit savoir que les autorités de la paroisse venaient de l’informer qu’on allait me remplacer par un autre acteur. Quoi ! En un bond, je sautai de mon lit de malade, malgré les cris affolés de ma mère.

Je sortais à peine en courant de l’enceinte de l’hôpital quand je vis passer, sur son vélo, le féticheur du village, Gonti Gonti Sakplatoké, le plus grand ennemi de la communauté chrétienne du village. Cet homme était la personne du village la plus détestée de ma mère, chrétienne zélée frôlant l’extrémisme. Le féticheur le savait et l’évitait. En larmes, je l’arrêtai et le priai de m’amener à la paroisse sur son vélo, lui expliquant pourquoi je devais rapidement m’y présenter. Après quelques instants d’hésitation, il poussa un profond soupir et me demanda de monter… J’arrivai à la paroisse quand les acteurs finissaient de porter leurs costumes pour faire leur entrée sur scène. Le méchant coup d’œil que je posai sur mon remplaçant, qui s’apprêtait à interpréter mon rôle de Joseph, me piquer ma Miriam, lui fit comprendre le danger qui le minait. Il se débarrassa rapidement de mon costume qu’il me tendit. J’étais redevenu Joseph, le mari de Marie, de Miriam.

Les premiers applaudissements qui accueillirent mon entrée sur scène avec Miriam me firent oublier les dernières séquelles de ma crise qui avait continué à me donner des vertiges. Je faillis pousser un cri d’étonnement quand je vis, juste devant le podium, aux premières loges des spectateurs, le féticheur Gonti Gonti Sakplatoké qui applaudissait, le visage rayonnant d’allégresse. Il était resté pour suivre la scène qui me tenait tant à cœur. C’était la première fois de sa vie qu’il mettait pied dans la paroisse. Et quand après la scène nous devions souhaiter les vœux à ceux qui nous étaient chers, je le citai et le remerciai. Il se leva, sous les yeux ahuris de toute l’assistance qui ignorait jusque-là sa présence, et vint me donner un billet de cinq cents francs en me murmurant « Joyeux Noël »

Joyeux Noël, donc, chers lecteurs, chers frères au Togo et ailleurs. Joyeux Noël, Miriam. Tu sais que tu seras toujours Marie. La mienne.

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Commentaires

David Kpelly
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It's on!

Tony
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Super David! Je me suis bien régalé. J'ai poussé un ouf de soulagement pour ce dénouement heureux de ton histoire. J'ai pensé un instant qu'arrivé à l'Eglise sur le vélo du féticheur les gens allait penser que tu as été guéri par lui! Joyeux Noel à Bamako où j'ai cherché une bière à siroter en vain!!!

David Kpelly
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Hein! Cher Tony, tu imgines s'ils m'avaient fait ce coup-là! Eh ben, des fois, avec les chrétiens zélés, on sait jamais, peut-être qu'ils y avaient pensé mais s'étaient dit que comme c'est Noel, fallait laisser passer.
Pour la bière à Bamako, t'inquiète, on se rattrape à ton prochain passage.
Amitiés

lim
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Jésus, Marie, Joseph.... !

David Kpelly
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Dans mon cas c'est Joseph, Marie... euf, Féticheur!
Amitiés, mon grand, j'attends votre partie du boulot. Tu sais de quoi je cause!

Nany
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Best wishes for this Christmas my dear Dave....it's pleasure for me to read you every time....You make my year with a single stroke of your pen...
Thumbs up!!!!!

David Kpelly
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Best wishes for u too, dear Nany! And thanks for following!

RitaFlower
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Joyeux Noel à toi David Kpelly...

David Kpelly
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Joyeux Noel à toi aussi, maman. J'espère que tu as bien fini tes courses hier!
Amitiés et à suivre.

Eliane Apedo
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Joyeux Noel, bébé, et sache que nous sommes toutes très proches de toi. Prends surtout soin de toi, et ne bois pas trop!

lesivoiriensontdutalent
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Joyeux noel à toi aussi, David et continue à nous pondre des comparaisons comme tu es seul à en avoir le secret:" la froideur d'un déjeuner entre Simone Gbagbo et Alassane Ouattara". Là tu viens de me porter l'estocade de l'année, en rires bien sûr!

David Kpelly
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Amitiés, et merci de suivre, mes très chers frères ivoiriens, au nom de mes racines baoulés!
Amitiés

Nadia
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Chrismas nyuié na wo loooooo, fofo gan.

David Kpelly
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Na wo tsan loooo, dadagan!

Aphtal CISSE
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Hummmmm que puis-je placer devant tant de grandeur?

Coco
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Ewo kpo yé nyi fofogan la, tsévié vi ya... Lémaaaaaaaaaaaaaa?