Oui, nous sommes africains et homosexuels

En rentrant dans ma classe ce matin, j’ai saisi des bribes d’une discussion entre un collègue enseignant et ses étudiants, portant sur l’homosexualité en Afrique. « Vous savez, cette histoire est une affaire des Blancs, c’est eux qui acceptent ces choses chez eux. Il n’y a pas de débat sur l’homosexualité en Afrique. Ceux qui le sont savent très bien eux-mêmes qu’ils ont choisi d’être des marginalisés. Si vous voyez cette bêtise se propager maintenant dans nos pays, c’est juste parce que nous sommes toujours dans cette logique bête d’imiter aveuglément ce que font les Blancs. Je sais que dans quelques années, les bailleurs de fonds européens commenceront à imposer à nos Etats d’accepter de dépénaliser et même de légitimer l’homosexualité, invoquant comme toujours les notions d’égalité, de justice, de droits de l’homme… Ils conditionneront même les aides qu’ils nous font à l’acceptation de ce fléau. Mais ce qui est sûr, c’est peut-être dans les pays chrétiens africains que cela pourra passer, pas chez nous… »
Je voulus ouvrir la porte de la classe, identifier le professeur, et avoir une petite discussion avec lui après les cours. Mais, avisé, je me retins, sachant les raccourcis que peuvent entraîner des débats de ce genre, avec certaines personnes. Déjà, son « Chez nous » avec lequel il avait terminé son discours me mettait en garde. Les « Chez vous » et « Chez nous », j’y suis habitué à Bamako, et on me les a souvent sortis chaque fois que j’ai cherché à défendre mes points de vue sur le concubinage, le mariage forcé, la place de la femme dans la famille, et tout récemment l’homosexualité. « Chez nous – les musulmans – la religion ne permet pas le concubinage, mais chez vous – les chrétiens – vous le faites parce que vous imitez les Occidentaux… »
Je me suis rappelé ce litige qui m’avait opposé, en 2008, à mon professeur de Management stratégique. J’étais en année de maîtrise. Le professeur, de la cinquantaine – qui dès le premier cours nous avait fait part de son incommensurable amour pour l’Afrique et ses valeurs, amour qui l’a empêché de rester en France après son doctorat, malgré les multiples opportunités qui s’y offraient à lui – entra ce soir dans la classe, et avant de commencer le cours nous fit savoir qu’il sortait d’une réunion portant sur une grande campagne de sensibilisation sur le port des préservatifs organisée par une Organisation non gouvernementale américaine à l’intention des étudiants des universités publiques et privées du Mali. Il s’y était opposé, nous avait-il dit, fier de lui, parce qu’il ne voyait pas le bien-fondé d’une campagne destinée à enseigner aux étudiants d’utiliser des préservatifs. C’était, selon lui, l’apologie de la fornication. « Nous n’avons pas tout le temps besoin d’exécuter les ordres que nous donnent les pays occidentaux », avait-il conclu.
Après son show, je levai la main et lui demandai ce qu’il préconisait comme solution aux ravages du Sida en Afrique, s’il n’était pas d’accord avec le préservatif. Ce fut alors qu’il prononça cette épouvantable phrase : « Le Sida est une invention des Blancs, parce que leurs entreprises pharmaceutiques ont besoin de vendre des préservatifs et d’autres produits. Quand ils ont des choses qu’ils ne sont pas en mesure de vendre, ils créent des besoins chez nous pour les écouler. Et puis, jeune homme, sachez que nous notre religion n’accepte pas le préservatif, c’est un péché. Vous dans vos pays-là vous cherchez à imiter les Occidentaux et les suivez sans réfléchir. C’est différent chez nous, tu dois le savoir. » Je fis tous les efforts pour ne pas exploser de rage, et me contentai simplement de lui dire, avant de sortir de la classe : « Monsieur, je vous respecte beaucoup, mais vous pouvez tuer des centaines de jeunes Africains avec votre logique-là. Vous faites peur… »
Mon collègue de ce matin m’a donc fait penser à ce professeur, parce que le premier tient aujourd’hui, sur l’homosexualité, le même discours que tenait en 2008 le second sur le Sida et le préservatif. L’homosexualité est un truc des Occidentaux. Et pour ceux qui savent bien affiner les raccourcis, comme mon collègue, si c’est un truc des Occidentaux, c’est donc un truc des chrétiens d’Afrique, comme les chrétiens, dans beaucoup de pays africains à dominance musulmane, sont considérés comme les Occidentaux d’Afrique.
Attentat ! Dans les communautés chrétiennes d’Afrique aussi, pour renvoyer la balle de l’homosexualité – comme il faut la renvoyer à quelqu’un d’autre, on brandit la Bible en affirmant que l’homosexualité est un péché créé par les Occidentaux non-chrétiens. Certains pasteurs et évangélistes lançant leurs fidèles à la traque des homosexuels, au nom de la Bible, pour prouver leur foi et ferveur aux imams ennemis publics certifiés des homosexuels.
Car ce sont les leaders religieux, leur fanatisme en bandoulière, qui gèrent le grand débat sur l’homosexualité en Afrique, lançant fatwas et malédictions à hue et à dia contre les homosexuels, avec la bénédiction de nos autorités incapables devant les lobbies religieux. La vérité, personne n’a encore le courage et l’honnêteté de l’avouer, l’affronter, surtout qu’il y a le facile raccourci de l’Occident-fautif à prendre. Les langues sont encore trop lourdes pour affirmer que les homosexuels abondent dans tous nos pays, à dominance chrétienne ou musulmane, malgré les messages haineux et les hypocrisies que nous inventons pour les étouffer.
L’homosexualité est une réalité en Afrique. Il y a longtemps qu’elle l’est. Poser le débat et en parler aujourd’hui est une nécessité. Une question de santé publique. Plusieurs enquêtes ont déjà montré que les homosexuels sont partout en Afrique, dans nos maisons, nos écoles, nos marchés, nos couvents, nos églises, nos mosquées, nos ministères, nos parlements… au Mali, au Cameroun, au Togo, au Sénégal, au Gabon, en Guinée, en Gambie – oui, chez vous, Monsieur Yayah Djameh, au Kenya, au Burkina… Et pendant que nous refusons de les voir, de parler d’eux, cherchant à quel pays, à quelle civilisation, à quelle religion, à quelle culture les offrir, ils se multiplient dans le silence que nous avons créé autour d’eux, dans le noir dans lequel nous les avons jetés, contractent, transmettent et meurent du Sida et des chagrins tous les jours à côté de nous, chez nous, avec nous.
Cet article est écrit en prélude à la journée mondiale contre l’homophobie, le 17 mai
Commentaires