Les Sœurs Kardashian chez Faure Gnassingbé

Hier, je prenais une petite Castel ou Flag – je n’ai pas l’habitude de vérifier sur l’étiquette, parce que les bars de Bamako ont cette particularité d’être cachés et sombres, va savoir pourquoi, mon vieux -, je prenais donc, hier, une petite bière dans un bar ivoirien avec trois amis maliens, quand une discussion sur l’investiture du nouveau président malien, Ibrahim Boubacar Keita alias IBK, m’a encore rappelé une évidence que j’ai toujours cherché à ignorer, à nier. Justement, quand on parle d’IBK, on voit son fouet, parce que le gars, il paraît qu’il ne blague pas, qu’avec lui cette pagaille à laquelle nous avons été habitués dans ce pays ne passera plus, que nous serons désormais dressés aussi droits que la lettre « i », qu’avec lui nous deviendrons aussi sages que le pagne d’une nouvelle veuve, que fini la corruption, les pots de vin, les graissages de pattes, les c’est-ton-frère-fais-le-asseoir-quelque-que-part-à-côté-de-toi, que fini les petites étudiantes qui montrent les fils de leurs strings et leurs perles en métal pour déconcentrer leurs profs et les induire dans la tentation, que fini, surtout, les virées nocturnes de nous autres qui ne jurons que par les bars et les bouteilles de bière, parce que les musulmans radicaux qui l’entourent vont le pistonner à fermer les bars, boîtes à putes et autres clubs de striptease qui nous dévergondent ici…
Bref, durant une discussion, hier, sur la prochaine investiture d’IBK, autour de ces petites Castels que nous prenions avec avidité comme si c’étaient les dernières, mes amis maliens m’ont une fois de plus révélé cette évidence que je n’ai toujours pas voulu accepter. Notre président, Faure Gnassingbé, est l’un des présidents les moins connus d’Afrique. J’ai eu à le remarquer depuis mon arrivée au Mali il y a cinq ans, il y a très peu de Maliens qui connaissent Faure Gnassingbé. Les rares qui peuvent le mentionner, l’appellent, vaguement, Faure Eyadema, avec l’ombre de son défunt père planant sur lui. Je ne peux compter le nombre de fois où j’ai répété à mes étudiants que le président du Togo n’est pas Yayi Boni, corrigé ces amis qui me demandent si le Togo est une partie du Bénin, sermonné ces autres qui, goguenards, me disent que le Togo est un pays limitrophe du Cameroun et son président est Sassou N’guesso – Quelle horreur ! Avec tout ce que nous avons comme calamité au Togo, il faut encore que Sassou N’guesso soit notre président ?
Mars 2013. J’attendais mon vol pour Paris dans une salle d’embarquement de l’aéroport de Vienne. Un Asiatique vint s’asseoir à côté de moi et commença à discuter avec moi. Après quelques minutes, il chercha à regarder mon passeport que j’avais en main, et me demanda où se situait le Togo. « En Afrique de l’Ouest, entre le Bénin et le Ghana », lui avais-je répondu. Il me fit savoir qu’en Afrique il ne connaissait que quelques rares pays dont l’Afrique du Sud, le Sénégal où il avait eu une copine – ah, les Sénégalaises !, le Cameroun qui joue bien au foot – « jouait bien », que j’aurais dû lui rappeler, la Côte d’Ivoire où il avait eu une autre copine – décidément ces petits Asiatiques et leur libido !, le Mali avec les islamistes… Je lui fis savoir que ce n’était pas un crime qu’il ne connaisse pas le Togo, qu’en dimensions, c’est un tout petit pays, tellement petit qu’un militaire boiteux devenu président avait jugé bon de l’offrir, à sa mort, comme héritage, à coups de machettes, de grenades et de fusils, à un de ses fils qui est son actuel président et qui s’appelle Faure Gnassingbé. L’Asiatique murmura le nom de notre président pendant quelques secondes, comme on le fait quand on veut mettre un visage sur un nom qu’on connaît, et me demanda si Faure Gnassingbé n’était pas un ancien boxeur célèbre africain. Je courus dans les toilettes pour pouffer de rire. Faure Gnassingbé sur un ring !
Paradoxalement, le président gabonais, Ali Bongo, arrivé au pouvoir au Gabon dans les mêmes conditions que Faure Gnassingbé après la mort de son père Omar Bongo, Ali Bongo qui fait à peine quatre ans à la tête du Gabon, est mille fois plus connu que Faure Gnassingbé qui dirige le Togo depuis huit ans maintenant. Et pourtant, Ali Bongo ne peut pas affirmer qu’il a eu plus de mérite en prenant le pouvoir au Gabon que Faure Gnassingbé au Togo. Il a à peine tué une dizaine de Gabonais pour arracher le pouvoir, alors que Faure Gnassingbé, plus compétent, plus précis, a tué, en 2005, plus de cinq cents Togolais pour prendre le pouvoir. Alors, qu’est-ce qu’il a, Ali Bongo, plus que Faure Gnassingbé, hein ? Le gros ventre ? La tête chauve ? La femme blanche ? Mais alors, si c’est la femme blanche, dites-le-nous, nous allons chercher une de ces petites Asiatiques vendeuses de sandwich dans nos capitales à notre président.
Donc, le constat est là, et beaucoup de Togolais peuvent le témoigner, hors de notre pays, les gens ignorent notre président comme Monica Belluci ignore le capitaine Sanogo (j’ai beau suivre des cours de remise à niveau, je n’arrive pas à l’appeler par son nouveau grade de général). Hors de l’Afrique, ça peut passer qu’on ne connaisse pas notre président, mais à l’intérieur de notre continent, en Afrique de l’Ouest, au Mali, à deux frontières du Togo, qu’on me répète partout que le président togolais c’est Yayi Boni, ça donne quand même un petit coup au relent patriotique. C’est pourquoi en réfléchissant bien hier nuit, après cette nouvelle raclée que j’ai prise avec mes amis maliens qui m’ont dit que le président de notre pays, Yayi Boni, viendra à l’investiture d’IBK en septembre prochain, je me suis dit qu’il faut pousser les conseillers en communication de notre présidence à revoir la communication de notre président. Ces messieurs ne peuvent pas seulement se contenter de faire lire des discours ampoulés, des discours aussi surfacturés que les services d’une tapineuse nigériane, à notre président, il faut chercher à le vendre, notre fort Faure national, hors du Togo.
J’ai donc pensé à un truc simple, mais qui peut être très efficace à court terme. Faire jouer notre président dans une émission télévisée de grand public. L’émission musicale « The Voice » aurait été très appropriée, avec Faure Gnassingbé comme candidat, mais pour qui a déjà écouté notre président parler, ce n’est pas gagné, il a une voix qui tremble. Faure Gnassingbé interprétant « Let it be » par exemple, ce sera comme Assurancetourix dans Axtérix et Obelix, vaut mieux ne pas l’écouter. J’ai aussi pensé à une nouvelle saison de la célèbre série « Prison Break » avec Faure comme acteur principal mais avec tous ces efforts physiques et ces acrobaties, nous risquons de tuer notre président, sachant que sa biographie précise que le sport qu’il fait le mieux c’est le vélo – un vélo à trois roues, j’imagine. Finalement j’ai retenu la téléréalité qui cartonne actuellement «Les Sœurs Kardashian ». On pourrait intituler la saison : « Les Sœurs Kardashian au Togo » où Faure Gnassingbé jouera le copain de Kim Kardashian. Là au moins il sera dans son élément. Bon, je crois.
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