David Kpelly

Tous les écrivains sont l’Ecrivain

Sami Tchak
Sami Tchak

Note de lecture de « La Couleur de l’écrivain » de Sami Tchak

Sami Tchak représente une singularité dans la jeune génération des écrivains africains francophones nés autour des années soixante. Ce natif du Togo, installé en France depuis 1986, s’est créé son « étrangeté » en inscrivant le décor d’une grande partie de son œuvre pas en Afrique ou en France – comme l’ont fait presque tous les classiques de la littérature africaine francophone, comme le font aujourd’hui la plupart de ses pairs, mais en Amérique latine, notamment au Mexique, à Cuba, en Colombie…

Le grand prix littéraire d’Afrique noire 2004 suscite de l’admiration par l’originalité de son œuvre, mais, tout comme les autres écrivains de sa génération vivant en Occident, les écrivains de la « migritude » comme les a baptisés l’émérite universitaire Jacques Chevrier, il suscite aussi des interrogations, beaucoup d’interrogations sur ses choix littéraires, ses relations avec son pays d’adoption et avec sa langue d’écriture le français, ses rapports avec le lectorat de son Togo natal où il ne retourne désormais que très rarement, sa conception de l’engagement de l’écrivain…

« La Couleur de l’écrivain », son nouveau livre, qui vient de paraître aux éditions La Cheminante, en France, répond à toutes ces questions. Composé de trois parties : « Peau et conscience », « Comédie littéraire », « Eloge de la Sarienne », le livre, à travers de courtes réflexions, des récits de voyages, des extraits d’auteurs, des nouvelles… expose, d’une part, les incapacités, les peurs, les attentes de ce condensé de frustrations qu’est aujourd’hui l’écrivain africain francophone, et analyse, d’autre part, des problématiques plus globales liées à la profession d’écrivain, à la littérature…

Il est question de ces créateurs obligés d’écrire en français –  une langue qui n’est pas leur langue natale, mais celle qu’ils ont apprise à l’école – obligés, ces écrivains africains francophones,  de publier dans des maisons d’édition françaises pour espérer être lus, l’activité littéraire dans leurs pays d’origine étant presque morte, obligés de subir les remontrances des Franco-français qui les accusent presque d’écrire en français et non dans leurs langues natales, obligés de subir l’humiliation de l’indifférence dans leurs pays d’origine, leurs livres n’y étant pas lus parce que pas facilement disponibles dans les librairies… Tout un engrenage de frustrations que l’auteur résume, en guise de réponse à une interlocutrice avec qui il converse tout au long du livre : « Madame… Nous le savons, nous connaissons le problème : un public naturel, une nation, une langue constituent les bases de l’épanouissement de toute littérature, et nous n’en avons pas. »

Il est également question de l’engagement de l’écrivain africain qu’on renvoie toujours vers celui qui est devenu le roi de l’engagement dans la littérature africaine d’expression française : Mongo Béti. « On a l’impression que les écrivains africains de la nouvelle génération sont un peu plus individualistes, plus préoccupés par la question de leur visibilité que par le destin de leur pays et de leur continent… » demande l’interlocutrice à l’auteur.  Sami Tchak, après une longue analyse sur la question, lui répond avec l’un des plus beaux passages du livre : « Tous les débats ont leur utilité peut-être, mais les écrivains ne doivent pas oublier que la littérature, engagée ou pas, a ses propres exigences, que ce n’est pas forcément avec un cœur gros comme une montagne qu’on bâtit une œuvre puissante. Les bonnes intentions ne sont pas un obstacle à la bonne littérature, mais elles n’accouchent pas forcément du Voyage au bout de la nuit. »

Les réflexions sont entrecoupées d’extraits d’illustres auteurs aussi variés que Erasme, Dostoïevski, Julien Gracq (chacun d’eux exprimant sa vision particulière de la littérature et de l’écrivain)… de nouvelles et de récits de voyages ressortant des thèmes qui reviennent généralement dans les romans et essais de l’auteur : le racisme, la pauvreté, le crime, la violence, le sexe… On y retrouve la très originale nouvelle : « Vous avez l’heure ? » qui a valu en 2005 à l’auteur le Prix William Sassiné.

Un hommage à Ananda Dévi, célèbre auteure mauricienne, clôture le livre. Sami Tchak, par de courtes évasions littéraires, dissèque l’œuvre de l’auteure de Solstices, Soupir, La vie de Joséphin le fou… à travers ses personnages. «Son monde est celui de la beauté douloureuse, des douceurs amères, de l’amour surchargé de haine, des corps maudits qui se cherchent eux-mêmes tout en cherchant les autres pour des unions fatales. »

En plus de vingt-cinq ans de carrière, depuis la parution de son premier roman, « Femme infidèle », en 1988, Sami Tchak a construit, à travers une douzaine de romans et d’essais, une œuvre d’une irréfutable puissance. Vingt-cinq ans d’expériences qu’il partage, gracieusement, page par page, dans « La Couleur de l’écrivain », avec en sourdine ce refrain : Qu’ils viennent d’Afrique, d’Europe, d’Amérique, d’Asie… malgré les difficultés et les déboires liés à leurs origines, tous les écrivains, les vrais, ne font qu’une littérature : La Littérature.

Sami Tchak, « La Couleur de l’écrivain », La Cheminante, 2014, 224 pages, 20 euros 


Pitié pour notre sébile, Messieurs de la Minusma !

Soldats de la Minusma
Soldats de la Minusma

Messieurs de la Minusma,

C’est un honneur pour moi de vous adresser cette lettre en ce moment crucial de la vie sociopolitique du Mali, vous qui êtes des amis du Mali, comme nous l’a rappelé tout récemment le président malien. Un honneur pour moi parce que, tout comme vous, je suis un ami du Mali, pays où je vis et travaille depuis six ans. Un honneur pour moi, parce que selon la sagesse africaine, il y a des vérités que les amis doivent se dire de temps à autre, pour renforcer leur amitié. Et la vérité, elle rougit les yeux de l’ami, mais les crève pas. Disons-nous donc, chers amis de la Minusma, certaines vérités, entre amis du Mali.

Messieurs de la Minusma, il serait honnête que nous commencions cette lettre en vous avouant que si les Maliens vous ont fait appel en 2013, ce n’est vraiment pas avec joie. Ah ça non ! C’est simplement parce que le Mali était dans une situation désespérée et avait besoin d’aide, de n’importe quelle aide, à n’importe quel prix. « Celui qui se noie ne distingue pas un papayer d’un iroko, il s’accroche à tout », sagesse des anciens. Le Mali a été obligé, en 2013, de s’accrocher à vous parce qu’il était au bord de la noyade. Aucun pays africain n’est prêt aujourd’hui à faire appel à l’ONU et à ses pompeuses missions de son plein gré, puisqu’on connaît le prix, la durée – indéterminée – et le résultat.

Chers Messieurs de la Minusma, dans votre mandat au Mali, il est mentionné que vous êtes là pour la « Stabilisation de la situation dans les principales agglomérations et la contribution au rétablissement de l’autorité de l’État dans tout le pays. » Votre mission se définit d’ailleurs comme : « Mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour la stabilisation au Mali ». Nous autres de la tourbe avons donc été étonnés, il y a quelques jours, par votre refus de prêter main-forte à l’armée malienne dans ses tentatives de reconquête des zones du territoire malien illégalement occupées. Vous avez même refusé, nous a-t-on raconté, de protéger des officiels maliens, prétendant que cela ne faisait pas partie de vos missions. Vous avez copieusement assisté aux mortels affrontements entre les militaires maliens et les groupes armés ayant envahi le nord du Mali. Vous avez regardé des hommes tuer et exécuter des hommes, des soldats agoniser et mourir… alors que dans votre mandat, il est également mentionné que vous êtes au Mali pour la « Promotion et la défense des droits de l’homme. » Le droit à la vie ne fait-il pas partie des droits de l’homme version Minusma ?

Messieurs de la Minusma, nous serions ingrats, dix fois ingrats, cent fois, mille fois ingrats, si nous affirmons que votre présence au Mali n’a rien donné de positif. Vous avez contribué à maintenir presque debout ce pays, à un moment où il était complètement terrassé – et nous saluons particulièrement le sacrifice de nos amis et frères du Tchad, même si votre mission n’est pas gratuite, et que vous la ferez payer par… par…  qui déjà ? Pourquoi ne pas nous le dire, comme nous sommes entre amis, vous la ferez payer complètement, votre mission, par le Mali ! Et quand on voit le coût, on ne peut que commencer à pousser des soupirs de compassion pour ce pays aride en Cfa. Tiens, juste pour mémoire – on est entre amis et on peut se communiquer des chiffres, les bons comptes faisant les bons amis -, le budget approuvé de votre mission sur la période du 1er juillet au 31 décembre 2013 est de 366 774 500 dollars américains !

Messieurs de la Minusma, vous voyez vous-mêmes qu’à ce prix vous ne pouvez pas ne pas faire du bon travail à votre ami le Mali. A ce prix on ne donne pas du faux à son ami. Ce pays est trop pauvre pour que l’ONU et votre mission n’aient pas pitié de lui. Même le voleur le plus éhonté frémit devant la sébile d’un lépreux, et sucer si injustement les pécules de ce pauvre Mali est aussi cruel que voler des pièces de monnaie dans la sébile d’un lépreux. Le Mali n’est ni la République démocratique du Congo ni la Côte d’Ivoire. Le Mali c’est le Mali, 2/3 de désert, pas de cacao, pas de café, pas de diamant, seulement un peu d’or, et même pas encore de pétrole ! Pitié pour le Mali, chers amis !

Chers Messieurs de la Minusma, nous nous indignons, oui, nous sommes inquiets, parce que nous commençons à sentir que vous êtes en train de livrer un mauvais travail au Mali. Et le mauvais travail, c’est de regarder les bras croisés des assaillants exterminer les défenseurs de ce territoire que vous êtes censés protéger. Le mauvais travail c’est quand on voit des voitures de votre mission marquées de l’inscription « UN » végéter devant des bars de Bamako à longueur de journée. Les bières de Bamako n’ont pas nécessairement besoin de vos agents pour êtres bues : les Camerounais, les Congolais et les Togolais sont là, à Bamako, pour ça. Le mauvais travail, c’est de croiser vos agents paradant dans vos grosses 4X4 dans toutes les ruelles de Bamako, aux côtés des jeunes Maliennes, comme s’il n’y avait pas déjà assez d’Ivoiriens pour les courtiser, ces filles. Le mauvais travail, Messieurs de la Minusma, c’est de venir passer cinq ou dix ans dans ce pays, avec ces salaires colossaux que vous percevez, et vous en aller un jour – ou ne même plus vous en aller – sans avoir réglé le problème du Mali d’un seul cheveu.

Messieurs de la Minusma, chers amis du Mali, cette sagesse africaine le dit si bien, mieux vaut ne pas être présent aux funérailles de sa belle-mère que d’y être présent et voir cette dernière être enterrée dans un pagne déchiré. Il est vrai que c’est nous-mêmes, Maliens et amis du Mali, qui vous avons fait appel en 2013, mais si vous n’êtes vraiment pas là pour sortir le Mali de cette grande humiliation jetée sur lui depuis deux ans, si vous n’êtes pas là pour aider le Mali à retrouver son intégrité territoriale, si vous n’êtes pas là pour redonner le sourire aux Maliens devant leur pays apaisé et réconcilié, si vous n’êtes pas là pour le Mali, rien que le Mali, eh bien, chers amis, ramassez déjà vos cliques et vos claques et quittez ! Vous nous aurez au moins épargné nos pauvres Cfa, nos casiers de bière, et… nos filles !


Hypocrites, laissez Boko Haram tranquille !

Michelle Obama réclamant les libération des jeunes Nigérianes
Michelle Obama réclamant les libération des jeunes Nigérianes (Crédit image:www.20minutes.fr)

Je sortais de chez moi, jeudi 15 mai autour du huit heures du matin, quand je butai devant ma porte sur la femme du gardien de mon voisin. Elle était tout de rouge vêtue et semblait très pressée. Je lui demandai où elle allait si hâtivement avec cet accoutrement inhabituel. Elle me répondit qu’elle se rendait à une marche de protestation organisée par des femmes maliennes pour réclamer la libération des lycéennes nigérianes enlevées par la secte islamiste Boko Haram. La version malienne du désormais célèbre #bringbackourgirls. J’ai souri, et lui ai demandé si son mari était au courant de son programme. « Bien sûr qu’il est au courant, c’est d’ailleurs lui-même qui m’a demandé d’aller me joindre à la manifestation, tu sais, il est très énervé contre ces barbares qui non seulement ont pris en otage des enfants des gens, mais qui se permettent de les marier et les faire esclaves. » Là, je n’ai pas pu me retenir et j’ai pouffé de rire.

Pauvre Boko Haram, que je me suis dit. « A force de fréquenter les dépotoirs, on finit par se faire traiter de brouillon par le porc », dit l’adage. Le gardien de mon voisin, celui-là qu’on dit remonté contre Boko Haram, est le plus grand esclavagiste que j’aie jamais vu de toute mon existence, pratiquant l’esclavage avec ses propres enfants. Le monsieur est un miracle au niveau de ses reins, des reins à classer au patrimoine mondial de l’Unesco, parce que chaque fois que je croise sa femme, depuis cinq ans maintenant que je la connais, elle porte soit une grossesse dans le ventre, soit un nouveau-né dans les bras et un bébé au dos, ou les trois à la fois : grossesse dans le ventre-nouveau dans les bras-bébé au dos. Je me suis tellement habitué à ce cycle infernal de fabrication d’enfants que quand je rencontre le fabricant, je demande ainsi la fabricante : « Salut monsieur, et madame, elle a accouché ? » Et sa réponse a toujours été qu’elle a accouché depuis une semaine, ou elle accouche dans une semaine. Les garçons du couple reproducteur sont expédiés, dès cinq ans, dans les rues, une boîte de tomate en main, pour mendier, et les filles placées comme domestiques, dès sept ans, dans des familles de Bamako ou des autres villes du Mali. Voilà le couple qui me parlait, ce jeudi, d’aller manifester contre les barbaries de Boko Haram. On joue la comédie, comme dirait l’autre !

#bringbackourgirls, le hastag de toutes les hypocrisies ! Depuis quelques semaines, tous les pères et toutes les mères sont devenus de bons parents, des parents sensibles partageant la douleur de ces pauvres femmes et hommes attendant leurs filles enlevées par les démons de Boko Haram. Des femmes employant depuis des décennies des petites filles qu’elles ont copieusement baptisées « bonnes », des fillettes qu’elles exploitent, insultent, humilient, frappent, blessent à loisir, des fillettes qu’elles ont délicieusement refusé d’inscrire à l’école, des fillettes qu’elles ont gracieusement mises à la merci de leurs propres enfants, oui, ces femmes qui assassinent jour après jour des dizaines de jeunes filles dans leurs cuisines aussi crient haro sur Boko Haram. Des hommes irresponsables, la braguette toujours ouverte sur tout ce qui peut les accueillir, déversant comme dans une production en série des dizaines d’enfants dans les rues année après année, ces distributeurs automatiques d’enfants de rues aussi disent s’insurger contre Boko Haram. Des proxénètes aux marabouts exploitants d’enfants démunis, des trafiquants d’enfants aux fossoyeurs d’orphelins, des marieurs de mineures aux dealeurs de bébés, tout le monde scande la devise à la mode : « Démons de Boko Haram, ramenez les enfants des gens ».

Bien sûr que Boko Haram est un démon, mais il n’est pas seulement au Nigeria, ce démon. Je suis tellement étonné que c’est seulement après l’enlèvement de ces 200 filles que le monde des indignés et des marcheurs a compris que Boko Haram peut faire du mal aux enfants. Ce Boko Haram que nous côtoyons, que cautionnons, que nous sommes tous les jours. Boko Haram, c’est toutes ces femmes qui exploitent à outrance leurs domestiques, et elles sont partout autour de nous. Boko Haram, c’est ces hommes qui font des enfants avec pour seul planning l’adage aussi idiot que toutes les bouches qui le prononcent : «  Dans chaque bouche qu’il fend, Dieu met du mil. » Boko Haram, c’est ces religieux qui marient des filles mineures et qui sont prêts à vous justifier leur crime par des versets coraniques – et ils ne sont pas seulement au Nigeria. Boko Haram, c’est ces pères qui trafiquent leurs filles dans des mariages arrangés contre quelques billets de banque, invoquant, hélas, les sacro-saintes recommandations des traditions africaines, et ces mères complices qui pour toute protestation contre l’avilissement de leurs filles n’ont que leurs larmes à verser –  elles sont des Boko Haram passives, ces femmes pleureuses, mais des Boko Haram quand même ! Boko Haram, c’est tous les acteurs directs et indirects de tous ces réseaux de trafic de jeunes filles de nos pays vers le Liban… Tous ces otages ne sont pas moins en danger que ceux détenus par les islamistes nigérians.

A bien regarder, nous traînons, tous, une fillette ou un garçonnet quelque part en captivité, une fillette ou un garçonnet que nous privons de son éducation, de sa liberté, de son avenir, de sa vie, comme le fait aujourd’hui la secte islamiste de ces 200 jeunes Nigérianes. Et ce serait bien qu’avant de faire des shows médiatiques sous prétexte qu’on voudrait faire libérer les otages du Nigeria par nos marches et nos hastags, nous pensions tout d’abord – parce que c’est normalement plus facile – à libérer nos propres victimes, Boko Haram que nous sommes tous.

 


Ce qui coupe le pénis du cheval se trouve dans le ventre du cheval (Fin)

Jeune homme africain (Crédit image: www.unmondeailleurs.net)
Jeune homme africain (Crédit image: www.unmondeailleurs.net)

Résumé de la neuvième partie : Le héros, Karim Diallo, gigolo expérimenté, mais malchanceux de temps à autre, est pris dans un engrenage, cherchant à acheter des préservatifs, et des lubrifiants pour lui et un commissaire de police libidineux.

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 « C’est le même jour où ta belle-mère découvre que tu as des molaires cariées que ton beau-père aussi découvre que tu as la bouche qui pue. » Un malheur, disent les Toubabs, ne vient jamais seul.

Drapé dans ses déboires, le gigolo peul avait à peine fait une centaine de mètres en direction du Lycée Descartes que la 4X4, tel un Togolais véreux dans le lit de la femme de son voisin, donna de puissants coups de reins, toussa et s’immobilisa au beau milieu de la chaussée. Le tableau de bord montra que la voiture avait une panne sèche. L’infortuné galant eut à peine le temps de pousser un énième soupir de désespoir quand un tintamarre de klaxons monta derrière lui. Il venait de créer un bouchon sur un des boulevards les plus empruntés de Bamako. Un suicide dans une ville où un article tacite du code de la route stipule que tout conducteur ou associé a la droit d’aller frapper sur le pare-brise de la voiture d’un imprudent qui ose bloquer la circulation, jusqu’à ce que cassure totale s’ensuive.

Karim Diallo crut rêver quand, cinq minutes après, il vit la 4X4 poussée sur le trottoir par deux jeunes conducteurs de taxi. Allahou Akbar, Dieu est grand… parfois. Il remercia chaleureusement les bons Samaritains et s’adossa à la voiture, la tête entre les mains, se demandant où il trouverait au moins un billet de deux mille francs pour alimenter la voiture, ses poches étant complètement vides. Mame Thiam, elle, venait d’envoyer son ultime message de menace : « Karim, malgré tout ce que je t’ai donné, tu m’as laissée tomber. Je suis une Sénégalaise et j’ai tellement regardé la mer que mes yeux sont trop propres, on ne me dupe pas. Je vais bientôt envoyer mes gros bras de Bamako te régler ton compte. Adieu. »

Quand l’autre 4X4, blanche, elle, gara juste à côté de lui, il crut que c’était l’une de ses connaissances qui venait de le voir. Allahou Akbar ! Il commença à scruter le visage qui le fixait à travers la vitre de la voiture. Après quelques minutes d’inspection, l’homme, la soixantaine dépassée, à voir ses cheveux presque tous blancs, et les rides de son visage, descendit en s’appuyant sur des béquilles. Il appela Karim Diallo par son nom en souriant, et lui demanda si c’était bien lui. Karim Diallo acquiesça de la tête, n’arrivant toujours pas à reconnaître le visage. L’homme, les yeux luisants soudainement comme ceux d’un chat sauvage, lui demanda s’il se rappelait la dame Safiatou Traoré. Sa voix tremblait, l’homme.

Bien sûr que Karim se rappelait la Safiatou. Cette jeune friandise de cinquante-cinq ans qu’il avait, il y avait deux ans, rencontrée dans un supermarché de Bamako, qu’il avait abordée comme il aborde toutes les vieilles bébés qui lui tapent à l’œil, qu’il avait commencé à draguer sur-le-champ dans le supermarché, qu’il avait réussi à séduire après trois jours de drague sans relâche, qu’il avait chauffée et réchauffée à tous les feux pendant six mois, avant de la laisser tomber pour Awa Koné une couguar prépubère de quarante-huit ans.  Ah, Safiatou la succulente, aussi appétissante sous les draps que généreuse dans son portefeuille ! Safiatou ! Karim avait appris à l’époque que son mari, terrassé par les trois mousquetaires-ennemis des nouveaux semi-riches d’Afrique, le trinôme CDT, Cancer-Diabète-Tension, s’était rendu, hémiplégique, en France, pour se faire soigner. Un grand cadre de l’armée malienne, qu’on disait qu’il était. Ah, Safiatou !

L’homme, sous l’effort qu’il faisait, appuyé sur ses béquilles, suait à grandes gouttes. Ses bras musclés tremblaient.

-« Donc, tu ne me connais pas, hein ? Tu ne m’as jamais vu ? Safiatou ne t’a jamais montré une photo de moi ? »

– « Euh, je, c’est que, euh, je ne vous… » Karim Diallo n’avait plus besoin qu’on lui explique ce qui se passait. Il n’avait pas besoin qu’on lui ait montré une fois la photo du monsieur pour savoir qui il était. « Quand on le piétine froid, qu’on le voit tacheté et luisant dans le noir, on n’a plus besoin de se faire dire que c’est un serpent », dit l’adage.

On m’a raconté comment tu as bien pris soin de ma femme quand j’étais en France, luttant pour retrouver l’usage de mes membres. On m’a pris, à ton insu, une photo de toi, et voici presque un an que je te cherche dans tout Bamako, pour te récompenser. Tu sais, on dit qu’un bienfait n’est jamais perdu, et le proverbe stipule que quand tu donnes un grain de maïs à un poussin, attends-toi, des années plus tard, à ramasser un œuf de ce poussin devenu poule. Karim, le réconfort des femmes des hommes malades, viens, viens je t’offre déjà une de mes béquilles, parce que bientôt je te ferai marcher sur des béquilles, comme moi. Viens, Karim, viens prendre ton futur pied, toi qui aimes tellement prendre ton pied.

L’homme, hercule, laissa tomber une de ses béquilles et tendit le bras à Karim paralysé par la peur contre la 4X4 du commissaire. Au même moment, le chauffeur de la 4X4 blanche et deux militaires armés, les gardes du vieux cocu, voyant que leur patron n’était plus loin de s’écrouler sur sa seule béquille, sortirent en se précipitant vers lui.

Karim avait, à plusieurs reprises, entendu dire que la course pour la vie, on ne la ralentit que pour descendre dans la tombe. Courir pour vivre, absolument ! Il avait, durant toute sa vie, couru derrière des femmes âgées pour survivre. Il fallait, maintenant, courir devant les maris de ces dernières pour vivre. A quelques mètres derrière lui, de la mosquée du quartier, montait le prêche de l’imam qui expliquait aux fidèles comment Dieu était prêt, a toujours été prêt, à accepter les âmes pécheresses qui reviennent à Lui. Il racla tout le courage de son corps, le concentra dans ses jambes, et bondit en direction de la mosquée en hurlant : « Allah, sauve-moi, Allah, les hommes veulent me tuer, les hommes vont me tuer, sauve-moi, Allah, Allah, Allah… »

Fin

Bamako, le 26 avril 2014

© 2014 – David Kpelly – Tous droits réservés

Note : Le titre de la nouvelle « Ce qui coupe le pénis du cheval se trouve dans le ventre du cheval » est un proverbe du peuple éwé, peuple vivant au Togo, au Ghana et au Bénin. Le proverbe signifie que la plupart des malheurs d’un homme proviennent de lui-même.

 


Ce qui coupe le pénis du cheval se trouve dans le ventre du cheval (Neuvième Partie)

Jeune homme africain
Jeune homme africain

Résumé de la huitième partie : Le héros, Karim Diallo, gigolo expérimenté, mais malchanceux de temps à autre, est sauvé des mains d’un tueur djihadiste par un commissaire de police véreux. En récompense de son geste, ce dernier exige que le gigolo aille lui chercher sa maîtresse à l’école avec son 4X4.

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 « A voir la vitesse à laquelle court quelqu’un qui vient de manger une sauce pimentée, on n’a plus besoin de lui demander s’il a la diarrhée ».

Karim Diallo, une fois dans le 4X4 du commissaire de police, s’est très vite rendu compte que ce dernier était un véritable golfeur, tirant en série dans tous les trous qu’il racontait sur son chemin. Quelques indices lui confirmèrent d’ailleurs que le commissaire avait, la nuit passée, commis un énième forfait à la va-vite dans sa voiture, et n’avait pas eu le temps de laver les traces. Des boules de perles en métal coincées dans les encoignures des fauteuils, le bout d’un emballage de préservatif collé sur le tapis du plancher, et, surtout, un fort parfum féminin régnant à l’intérieur. Pas très prudent, ce gros bouc, pensa Karim. Il avait, ce toutou allumé de commissaire, tiré un coup dans la voiture sans nettoyer les traces et envoyait la même voiture chercher une autre conquête. Peut-être que ça ne doit pas être jalouse la maîtresse d’un commissaire de police. De toute façon, entre ruminer en silence la colère d’avoir été trompée et recevoir dix coups de crosse sur la gueule pour avoir osé demander des explications à Monsieur le Commissaire sur celle avec qui il avait joué aux hanches-ball dans sa voiture, le choix doit normalement être très simple pour les maîtresses de Monsieur le Commissaire.

Le 4X4 s’engagea, majestueux sur la route menant au lycée Descartes. Karim Diallo mit la climatisation pour se rafraîchir un peu la tête – ce n’est pas parce qu’on a la hernie qu’on ne peut plus saluer une demoiselle à la croupe pleine. Le lecteur de disques distillait, à travers les puissants haut-parleurs placés aux quatre coins de la voiture, une chanson à la mode, et qui résumait toute la philosophie du commissaire vis-à-vis de ses minettes collégiennes et lycéennes : « Chop my money, chop my money yéééé, chop my money, I don’t care, I don’t care… Hé hé… » L’argent du commissaire, on peut le bouffer comme on veut, le commissaire n’en a cure, il suffit de savoir le rembourser, jusqu’au dernier centime, jusqu’au dernier coup de hanches, dans les chambres d’hôtel et les chambres de passe des Libanais et de leurs cousins directs les Chinois.

A la première pharmacie qu’il trouva sur sa route, Karim Diallo s’arrêta pour faire les commissions peu honorables du commissaire, ces commissions peu répétables un vendredi en plein mois de ramadan. Il ralentit brusquement à quelques pas de l’entrée de la pharmacie, ayant aperçu juste devant la porte un homme, en apparence touareg, ou maure, ou maghrébin, barbu, habillé tout en blanc, la tête enturbannée, un chapelet en main. Une chèvre à l’oreille coupée n’a point besoin qu’on lui rappelle qu’il est dangereux d’entrer dans la cuisine des ménagères, dit le dicton. Karim Diallo venait à peine d’échapper aux coups de couteau d’un tueur en voulant acheter des préservatifs, et ce n’était pas devant le portrait-robot parfait d’un djihadiste qu’il allait acheter des lubrifiants. On ne fuit pas un voleur pour se réfugier chez un sorcier.

Alors que le gigolo peul, désemparé, s’était figé à sa place, pensant à comment procéder pour entrer dans la pharmacie chercher son haram sans qu’un couteau djihadiste ne lui tranche sa tête de cafre, un jeune Ivoirien, hurlant au téléphone son accent ivoirien et ses substantifs sans articles, vint passer à côté de lui, se dirigeant vers la pharmacie. Une aubaine, car le jeune Ivoirien, c’est notoire, est un dieu de la provocation, capable d’acheter n’importe quoi n’importe où et devant n’importe qui sans la moindre réserve, la moindre crainte. Même sous les yeux de cent imams yéménites dans cette pharmacie, un jeune Ivoirien qui se respecte est capable de se pointer et lancer au pharmacien : « Mon frère, file-moi vite deux boîtes de lubrifiants, y a une petite-là à qui je veux faire mal midi-là. » Le deal fut réglé et le jeune Ivoirien accepta d’aller acheter les lubrifiants pour Karim qui lui tendit, en le remerciant de mille voix, le billet de dix mille francs du commissaire. Allahou Akbar ! Ouais, Dieu est grand, et Il n’oublie jamais Ses enfants… euh… des fois.

Une quinzaine de minutes plus tard, fatigué d’attendre son émissaire qui ne sortait pas, Karim Diallo entra dans la pharmacie et eut la désagréable surprise de constater qu’elle avait une autre porte de sortie derrière. Quand une maison brûle, on ne demande pas où sont passées ses souris. Karim Diallo avait compris, le jeune Ivoirien s’était tiré avec ses dix mille francs, enfin, ceux du commissaire. Au bord de la dépression nerveuse, il plongea la main dans sa poche pour faire l’achat du commissaire avec ses propres dix mille francs, le reste de ses économies, en attendant le pactole de Mame Thiam. Mais il se rappela très rapidement, devant le vide que rencontrèrent ses mains dans ses poches, qu’il avait laissé ses dix mille au pharmacien qui lui vendait les préservatifs dans la première pharmacie, et n’avait pas eu le temps d’avoir le reliquat avant que le djihadiste battu ne bondisse, enragé, dans la pharmacie.

Fatigué, frustré, énervé, déçu, le chasseur de couguars sortit de la pharmacie les deux mains aux hanches, la tête baissée. Son téléphone portable manquait d’exploser sous les appels et les messages de menace de Mame Thiam qui lui rappelait à chaque mot comment une Sénégalaise peut être aussi désagréable qu’un chep djen décomposé, quand on refuse de la chauffer. Il décida d’aller rapidement chercher la maîtresse du commissaire qui attendait sûrement sous le soleil et l’amener à l’hôtel. Mame Thiam, il s’en chargerait juste après. De deux maux, il faut choisir le moindre, disent les Toubabs, caleçon troué vaut mieux que fesses nues, dit l’adage populaire. Il valait mieux avoir sur le dos une mémé sénégalaise nymphomane énervée qu’un commissaire dopé d’un mortel Viagra nigérian sevré de son butin du vendredi.

A suivre…

Note : Le titre de la nouvelle « Ce qui coupe le pénis du cheval se trouve dans le ventre du cheval » est un proverbe du peuple éwé, peuple vivant au Togo, au Ghana et au Bénin. Le proverbe signifie que la plupart des malheurs d’un homme proviennent de lui-même.


Ce qui coupe le pénis du cheval se trouve dans le ventre du cheval (Huitième Partie)

Jeune homme africain (Crédit image: www.123rf.com)
Jeune homme africain (Crédit image: www.123rf.com)

Résumé de la septième partie : Le héros, Karim Diallo, gigolo expérimenté, mais malchanceux de temps à autre, est surpris par un extrémiste musulman alors qu’il achetait des préservatifs. Il est poursuivi par le tueur et n’a d’autre refuge qu’un commissariat de police.

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Il fallut aux deux policiers plus d’une dizaine de minutes pour arriver à faire sortir l’infortuné djihadiste du bureau du commissaire pour le diriger vers la cellule des gardes à vue, ce dernier, agrippé des deux mains au bureau du commissaire, hurlant que wallahi, même si on l’enfermait pendant mille ans, à sa sortie il chercherait ce cafre pour l’égorger, le dépecer et donner sa chair faisandée et souillée aux charognards, il sortirait, oui, il sortirait un jour inch Allahou, et il éliminerait un à un tous les cafres, les enfants de chaytan, de la société malienne, après avoir fini avec les cafres du Mali il irait exterminer les cafres des autres pays africains, et après eux il s’attaquerait au cafre des cafres, l’Occident, qu’il ne mourrait pas, wallahi billahi, jamais il ne mourrait tant que tous les vendeurs de haram n’auraient pas disparu de la face de la Terre, inch Allahou !

Après la sortie de l’enragé, le commissaire expliqua à Karim Diallo qu’il ne tolérait, lui Sory Diarra, aucune forme d’extrémisme religieux, car pour lui, la société malienne était gangrénée par trois menaces qu’il fallait coûte que coûte combattre : les Libanais, l’extrémisme religieux, Canal +. Les Libanais parce que ces gros chiens poilus non seulement ils étaient des dealeurs de drogue sans vergogne, mais aussi ils n’investissaient que dans la débauche et l’immoralité, faisant pousser des bars, des boîtes de nuit, des hôtels, des motels, des chambres de passe, des boîtes de striptease… partout à Bamako. L’extrémisme religieux parce qu’il finirait, si on lui laissait une petite place dans la société malienne, par déchirer des hommes soudés sans distinction de religion depuis des siècles. Canal+ parce que c’était à cause des films cochons qu’elle passait sur ses chaînes que toutes les jeunes filles avaient commencé à porter des strings et des décolletés, entraînant les hommes mariés sur les chemins de la perdition, que c’était toujours à cause d’elle, la bâtarde Canal+, que les femmes mariées ont commencé à regarder des feuilletons et à se rebeller contre leur mari parce que ces derniers ne les choyaient pas comme les hommes blancs le faisaient à leurs femmes dans les films…

Karim Diallo se leva pour prendre congé du commissaire qui continuait de disserter sur sa haine contre les Libanais et leurs cousins directs les Chinois, l’extrémisme religieux, et Canal+. Depuis l’hôtel, Mame Thiam le harcelait par SMS, lui rappelant qu’elle l’attendait, qu’elle devait s’en aller dans moins de deux heures, qu’elle ne lui pardonnerait jamais s’il lui faisait perdre son temps…Karim Diallo voulut donc se presser pour aller rapidement ingurgiter son Chep Djen sénégalais qui, tout le monde le sait bien, n’est agréable à manger que quand il est chaud, mais le commissaire lui ordonna de se rasseoir. Il lui demanda s’il avait un permis de conduire. Affirmative.

« Ok, écoute moi, tu sais, la vie c’est du donnant-donnant, tu me grattes les couilles je te gratte la tête. Je t’ai sauvé des griffes de ce dangereux extrémiste qui était prêt à te décapiter, maintenant c’est à toi de me rendre la monnaie. Euh, comment te le dire, je vais t’envoyer avec ma bagnole, tu vas aller au lycée Descartes me chercher une amie, bon, euh, bah oui, une amie, et me la déposer à l’hôtel Mirador pas loin d’ici. Tu connais l’hôtel Mirador et le Lycée Descartes, j’espère. T’inquiète, ça te prendra au plus trente minutes la course, et tu pourras partir tranquillement chez ta grande coquette. Je t’offrirai même un paquet de préservatifs à ton retour pour aller jouer ton match sans risques, j’en ai une montagne de paquets dans mon tiroir ici. Euh, tu sais, c’est mon chauffeur qui me faisait la course avant, mais j’ai remarqué il y a quelques jours qu’il n’est plus sérieux, il file des infos à ma femme, alors que moi-même je ne peux pas aller me planter devant ce lycée si peuplé pour chercher une petite qui n’est pas ma fille, tu connais la bouche des gens dans ce pays. Rends-moi donc ce petit service aujourd’hui, le temps que je le vire, l’idiot, pour prendre un autre chauffeur. Pas de souci, je vais informer la petite que tu arrives, elle connaît très bien la voiture. Tu la déposes juste devant l’hôtel et tu reviens, je pars la rejoindre à ton retour. J’ose croire que tu n’es pas assez imprudent pour oser penser vouloir fuir avec la voiture d’un commissaire de police. Bah non, tu ne peux même pas oser ça, tu n’es pas un Camerounais ou un Ibo, encore moins un Libanais. Ou bien ? »

Karim Diallo faillit éclater en sanglots. Il voulut expliquer au commissaire que chaque minute qui passait jouait contre lui, Mame Thiam était en train de lui échapper avec son argent, alors qu’il comptait sur le pactole de ce midi pour se lancer dans une vraie activité, une activité digne, et arrêter sa carrière de gigolo… mais le commissaire, en lui tapotant sur l’épaule, lui murmura d’une voix mi-amicale mi-menaçante : « Ecoute, la petite qui t’attend n’est pas du glaçon, elle va quand même pas se fondre si tu arrives chez elle avec une petite demi-heure de retard, voyons … Ah, tiens, cherche de l’essence pour l’engin, et deux boîtes de lubrifiants Manix dans une pharmacie sur ta route, tu me laisses une boîte dans la voiture et tu prends une. Ou bien tu les utilises pas, les lubrifiants ? »  Il lui tendit un billet de dix mille francs et la clé de sa 4X4 garée juste devant son bureau.

A suivre…

Note : Le titre de la nouvelle « Ce qui coupe le pénis du cheval se trouve dans le ventre du cheval » est un proverbe du peuple éwé, peuple vivant au Togo, au Ghana et au Bénin. Le proverbe signifie que la plupart des malheurs d’un homme proviennent de lui-même.


Ce qui coupe le pénis du cheval se trouve dans le ventre du cheval (Septième Partie)

Jeune homme africain
Jeune homme africain

Résumé de la sixième partie : Le héros, Karim Diallo, gigolo expérimenté, mais malchanceux de temps à autre, est surpris par un extrémiste musulman alors qu’il achetait des préservatifs dans une pharmacie, un vendredi, en plein mois de ramadan. Haram!

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Karim Diallo n’a jamais été un bon acrobate  – du moins hors du lit d’une couguar,  mais quand, ce midi, il tourna la tête, alerté par les cris du djihadiste blessé, et vit ce dernier entrer en fracas dans la pharmacie son long couteau luisant levé au-dessus de la tête, il ne chercha même pas à savoir celui que l’enragé voulait égorger, et bondit hors de la pharmacie par la seconde porte. La tête haram du cafre peuhl venait de tenir à une seconde, puisqu’au même moment où il venait de s’échapper de sa place, le long couteau du fou de Dieu s’écrasa sur le comptoir en bois, sous le cri horrifié du pharmacien qui demandait en hurlant au tueur ce qu’il voulait. « Ce que je veux, hein, tu me demandes ce que je veux, hein, tuer ce cafre qui ose acheter ce que tu lui vendais ce jour béni, en ce mois béni où tout bon musulman doit se tenir loin des péchés de ce monde. Je vais le poursuivre, je vais aller l’égorger, et quand j’aurai fini de le décapiter, je reviendrai te tuer toi aussi », suffoquait El Hadj Hassan en s’élançant hors de la pharmacie, se dirigeant vers Karim Diallo qui s’était arrêté sous un arbre juste devant la pharmacie, ne sachant pas encore que c’était à lui qu’en voulait l’égorgeur de cafre.

La guenon qui court pour aller gratter les couilles de son amant et celle qui s’échappe devant la massue d’un chasseur n’ont pas les mêmes enjambées, sagesse des anciens.  Quand Karim Diallo comprit que c’était sa tête que voulait ce fou qui hurlait vers lui la machette toujours levée, un homme qu’il ne connaissait ni d’Adama ni d’Hawa, il se lança dans une course effrénée sur la route pavée devant lui, criant « Au secours, sauvez-moi, au secours » pour attirer l’attention des passants se dirigeant tous en hâte vers la mosquée du quartier. Bizarrement, aucun des religieux pressés ne sembla s’intéresser à lui et à son chasseur, personne n’étant disposé à fourrer son nez dans une obscure affaire où un vieux barbu en boubou blanc poursuivait un jeune homme en jeans et T-shirt moulant, en pleine heure de la grande prière.

Karim Diallo courait depuis plus de cinq minutes, hurlant toujours au secours, poursuivi par le djihadiste qui criait toujours dans son dos qu’il allait l’égorger wallahi ! Et toujours personne ne semblait s’intéresser à la scène. Seuls quelques enfants de rue rachitiques, se ressemblant tous par la rondeur de leur ventre, leurs cheveux sales,  et leurs yeux de chauves-souris cherchant désespérément à qui transmettre Ebola, seuls ces badauds pullulant dans tous les coins et recoins de Bamako,  boîtes de tomate en main,  lançaient des éclats de rire poussifs à leur passage. Le gigolo sentait ses forces faiblir et la distance entre lui et le tueur se rétrécir.  Il courait très vite, le presque-imam, malgré son âge, puisqu’il y avait juste quelques mois il détalait dans les dunes chaudes du Nord-Mali, avec ses collègues d’Ansar Dine, de Boko Haram et du Mujao (Mouvement pour l’unicité e le djihad en Afrique de l’Oeust), feintant les bombes, balles, grenades et autres petits bijoux mortels que les cafres de l’opération Serval leur envoyaient depuis leurs hélicos.

Quand Karim Diallo commença à sentir le souffle du disciple de Mokhtar Belmokhtar dans son dos, il se résolut à aller chercher son salut dans cet endroit où même le citoyen le plus étourdi, le plus fou, n’attendrait aucune aide dans ce pays. Le commissariat de police situé juste à une centaine de mètres. Oui, la police, elle-même ! En trois enjambées, il vira dans une ruelle, dévia la tête pour feinter le couteau du tueur de Dieu qui sifflait sous sa nuque, et vit le portail du commissariat qui s’ouvrait à lui, large, comme une nouvelle péripatéticienne devant un bon payeur. Deux jeunes policiers, assis devant le commissariat, se précipitèrent et s’interposèrent entre la proie et son prédateur.  L’ex-djihadiste fut désarmé de son long couteau, alors qu’il jurait toujours que wallahi, même si ce fils de chien partait se réfugier dans l’anus d’une tortue, il irait l’arracher et l’égorger wallahi. On les conduisit chez le commissaire Sory Diarra.

Sur sa carte de visite, Sory Diarra marquait « Commissaire de police » comme profession. Un grand bluff, puisqu’il ne se rendait au commissariat de police, sous sa casquette de commissaire, qu’une ou deux fois par semaine. Sa vraie profession était le rackettage des noctambules étourdis qu’il dépouillait par centaines de leurs billets de banque chaque nuit avec une troupe de policiers non gradés qu’il amenait en patrouille dans le quartier. Dragueur généraliste à ses heures perdues – il avait, chaque jour, au moins 20 heures perdues sur les 24, il s’était spécialisé, il y avait quelques mois, en dépucelage des jeunes collégiennes et lycéennes, depuis qu’une généreuse âme lui avait conseillé qu’à cinquante ans sonnés, il avait besoin de renouveler son sang avec celui des petites filles de seize dix-sept ans pour garder sa fraîcheur et repousser un peu la vieillesse, ennemie implacable et bâtarde.

Quand les deux parties finirent de lui exposer les faits, le commissaire Diarra, consommateur immodéré de préservatifs Manix, ordonna en colère qu’on enferme l’ex-djihadiste pour tentative de meurtre prémédité. Il prit soin de lui expliquer, à l’imam raté, que le Mali restait et resterait toujours un pays laïque, que chacun avait le droit d’acheter ce qu’il voulait et n’importe quand, que s’il voulait un pays islamique, il n’avait qu’à retourner au Nord-Mali y déloger l’ONU et toute sa racaille habillée et y réinstaller ses gourous extrémistes.

A suivre…

Note : Le titre de la nouvelle « Ce qui coupe le pénis du cheval se trouve dans le ventre du cheval » est un proverbe du peuple éwé, peuple vivant au Togo, au Ghana et au Bénin. Le proverbe signifie que la plupart des malheurs d’un homme proviennent de lui-même.

 


Ce qui coupe le pénis du cheval se trouve dans le ventre du cheval (Sixième Partie)

Jeune homme africain (Crédit image: www.123rf.com
Jeune homme africain (Crédit image: www.123rf.com

Résumé de la cinquième partie:  Le héros, Karim Diallo, la trentaine, gigolo devant Dieu et devant  les femmes âgées, se prépare à aller rencontrer Mame Thiam, une de ses conquêtes. Il se rappelle ses déboires durant sa carrière de gigolo…

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 Karim Diallo finit sa longue toilette et son flash-back de gigolo infortuné, s’apprêtait à sortir et aller rejoindre Mame Thiam qui l’attendait à l’hôtel quand il se rendit subitement compte qu’il était en manque d’outils de travail. Il avait épuisé, se rappela-t-il, son stock, il y avait deux jours, dans la chambre de la jeune Ouleymatou Traoré, une septuagénaire qu’il avait dénichée dans une boîte de nuit pour vieilles branchées, quand cette dernière noyait sa dépression dans un verre de Whisky, lâchée trois jours avant par son pointeur, un jeune danseur de vingt-cinq ans ayant préféré suivre une touriste allemande qui lui promettait visa, mariage et fortune à la seule condition qu’il accepte de la suivre pour le pays de pépé Goethe. Karim Diallo s’était approché de la cocue et avait réussi très facilement à la convaincre d’oublier le danseur, il pouvait le remplacer valablement. Ils s’étaient retrouvés quelques minutes après dans la chambre d’Ouleymatou, dans son lit. La nuit avait été très longue, Ouleymatou ayant besoin de rattraper les trois jours d’abstinence que lui avait imposés son amant déserteur. Tout le stock de préservatifs, de Viagra et de lubrifiants du gigolo peul y était passé.

Midi venait de sonner quand Karim Diallo sortit de sa maison et se dirigea vers la pharmacie du quartier pour s’approvisionner. Mame Thiam, pressée, avait déjà appelé deux fois, lui demandant de se presser pour la rejoindre. Elle prenait l’avion pour le Sénégal à quinze heures, et n’avait donc que deux heures pour s’amuser. Très exigeante, celle-là. Elle ne blaguait pas avec les humeurs de sa libido vieille et capricieuse. Elle payait très bien, mais exigeait en retour un travail bien fait. Karim connaissait son éternelle chanson par cœur : « Moi, Mame, fille d’Oumar Thiam et de Bintou Sy, tout le monde me connaît au Sénégal du Nord au Sud et de l’Est à l’Ouest pour mon honnêteté. Je paie toujours quand on me livre un travail bien fait, mais je sais aussi sévir quand on ne me satisfait pas. J’ai laissé mon nom dans les oreilles de tous les jeunes vigoureux de Dakar, de Thiès, de Gorée… Tu me satisfais je te paie, tu me déçois je te punis. Je suis comme le tchep djen, quand je veux être délicieuse je le suis, mais quand je veux être désagréable je le suis aussi. »

Le mois de ramadan battait son plein, et de toutes les ruelles, de toutes les maisons, de tous les coins du quartier, surgissaient des grappes de croyants mahométans, tous habillés en boubous blancs, nattes sous les bras et chapelets en main, se dirigeant vers la mosquée du quartier où le muezzin avait commencé à faire pleurer sa voix, appelant à la prière. Des mottes de crachats, blanches comme du coton pour certaines, teintées au rouge par la noix de cola pour d’autres, se croisaient dans le vide, lancées dans tous les sens par les bouches édentées ou presque des jeûneurs, et s’écrasaient sur le macadam, sitôt effacées par des pieds aussi maladroits que pressés. L’époque de l’année où il faut circuler dans les embouteillages de Bamako avec la même attention qu’un nouveau gendre lavant les couilles hernieuses de son beau-père, pour ne pas se retrouver la tête enveloppée sous un voile de crachat.

Comme tous les croyants, les vrais, El Hadj Hassan Ben Haidara pressait les pas pour vite arriver à la mosquée et y trouver une bonne place. Voici six mois qu’il était revenu du Nord-Mali où il avait combattu aux côtés des islamistes pour l’instauration de la charia sur toute l’étendue du territoire malien. Le quartier l’identifiait toujours sous la casquette de cet homme pieux, plébiscité par tous les croyants de sa mosquée pour être imam, avant d’être surpris, deux jours avant sa prise officielle de fonction comme imam, dans une des boîtes de strip-tease les plus obscènes de Bamako, le phallus dans la bouche d’une pute mineure, la tête entre les cuisses d’une autre. L’affaire avait fait grand bruit et beaucoup de jeunes musulmans du quartier avaient décidé de l’égorger, le contraignant à s’enfuir pour le Nord, à se radicaliser, puis à prêter main-forte aux fondamentalistes qui se battaient contre les armées françaises et africaines. A la victoire des cafres, il avait fui, comme ses compagnons d’armes, et était revenu dans son quartier bamakois, ruminant en silence ses hontes d’imam raté, ses envies de djihadiste battu, attendant impatiemment le jour où la moindre occasion se présenterait à lui pour sélectionner les vrais croyants et exterminer les impurs.

Ce fut au moment où cette montagne de déceptions, de frustrations, de honte et d’échecs, Aladji Hassan Ben Haidara, passait devant la pharmacie du quartier que le pharmacien tendait à Karim Diallo debout devant le comptoir un gros paquet de préservatifs. Le sang de l’ancien djihadiste ne fit qu’un seizième de tour, quand il vit l’horreur. Donc, en plein mois de carême, de ramadan, un vendredi, à quelques minutes de la prière, ce jeune cafre, dix fois cafre, cent fois cafre, mille fois cafre, se permettait d’acheter des… des… des quoi déjà, hein… il se permettait, ce jeune impur criminel, il se permettait d’acheter l’innommable, l’impensable, l’imprononçable pour un bon musulman en ce mois béni, ce jour, cet instant ! Il achetait le haram, ce garçon ! En un bond, l’imam raté sauta, se saisit du long couteau d’un boucher vendant du mouton au bord de la route, et bondit dans la pharmacie en hurlant : « Haram, Haram, HaramAstafourlai, je vais t’égorger ce midi, chaytan, chaytan, wallahi, je vais t’égorger, comment tu peux acheter ça en ce moment où on doit prier Allah, hein, comment tu peux acheter ça pendant le mois de ramadan, hein, wallahi, je vais t’égorger, je dois t’égorger, vieux cafre, meurs, impur, meurs, chaytan, je vais t’égorger, je dois t’égorger, chaytan… »

A suivre…

Note : Le titre de la nouvelle « Ce qui coupe le pénis du cheval se trouve dans le ventre du cheval » est un proverbe du peuple éwé, peuple vivant au Togo, au Ghana et au Bénin. Le proverbe signifie que la plupart des malheurs d’un homme proviennent de lui-même.