David Kpelly

Comment boire des Flag avec une Tchadienne sans se retrouver dans le lit d’un Nigérian (Quatrième Partie)

Filles dans une boîte de nuit ivoirienne
Filles dans une boîte de nuit ivoirienne

Résumé de la troisième partie : Le héros, jeune Togolais vivant à Bamako, est dans un bar bamakois, très chaud, pour prendre un verre avec des amis tchadiens.

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« Beynaud oh oh, ton coupé-décalé est confirmé oh oh, ce n’est pas ma faute oh, c’est Dieu qui m’a donné, oh oh…»

Le salon de 80 à 100 mètres carré, très légèrement éclairé par deux néons peints en bleu pour tamiser la lumière et permettre aux mains rebelles et récalcitrantes de s’égarer de temps en temps dans des zones plus ou moins interdites, aux bouches de se rencontrer, aux langues imbibées de bière, de salive et d’envies de se sucer, le salon sombre, donc, était occupé par une centaine de buveurs regroupés autour de petites tables disposées en rond sur le périmètre, remplies de bouteilles de bière et de liqueurs. Quelques cavalières zélées, le no man’s land de la trentaine passé pour certaines, sûrement un ou deux gosses déjà coincés dans le slip et liquidés en catimini aux mamans restées au village,  pour montrer à leurs dragueurs un petit, un tout petit avant-goût de ce qui allait se passer cette nuit dans les lits douillets, loin des yeux jaloux, se déhanchaient sur la petite piste de danse réservée au milieu des tables.

La table où nous attendaient les Tchadiennes était à l’autre bout du salon, et nous dûmes traverser toute la piste de danse, Mahamat profitant du tumulte pour distribuer quelques légères caresses de main sur des fesses honteusement grosses vadrouillant çà et là sur le morceau en vogue de Serge Beynaud, tout en me murmurant à l’oreille : « Je te jure que je ne sais pas comment les Blanches arrivent à exciter leurs hommes, parce que chaque fois que je vois leurs fesses aussi plates que les paumes de la main, et leur poitrine déserte j’ai envie d’éclater en sanglots. Pour moi c’est indiscutable, une femme, c’est avant tout les fesses et la poitrine, le reste vient après. Un ou deux roulements de hanches, un coup de poitrine et t’es déjà debout, voilà une femme, une vraie femme. Et puis tu imagines que celle que je viens de toucher n’a même pas de slip sous son mini, hein, c’est ce qu’on appelle Vol direct Terre-Septième-Ciel, ça te libère des longues et encombrantes escales des dessous à enlever, hi hi hi… La vie est trop belle dans les bars, je te jure, David. »

Une fois qu’elle m’aperçut en compagnie de Mahamat, une des Tchadiennes sauta de sa place, une bouteille de Flag en main, et se jeta à mon cou : « Davidééééé, le roi David, tu vois que je connais déjà ton nom, hein, je suis une magicienne, il paraît que t’es un grand prof de Marketing connu dans tout Bamako, ça tombe bien, je vais m’inscrire en Marketing, tu seras mon encadreur, viens, je te présente ma copine, allez viens, chou. » Je traçai un léger sourire sur mes lèvres, me rappelant ce que me dit un soir un ami ivoirien devant une étudiante nigérienne qui faisait sa strip-teaseuse dans une boîte de nuit :  « Tu sais, ces filles sahéliennes aux instincts atrophiés dans leurs pays par les contraintes ridicules de la tradition et les hypocrisies de la religion sont comme des tigres apprivoisés et privés pendant des années de chair et de sang, une fois qu’elles ont l’occasion de s’échapper, bonjour les dégâts. Ses parents, chez elle au Niger, l’imaginent actuellement en train de réviser ses cours dans sa chambre, voilée, mais tu vois ce qu’elle est en train de faire ici ? »

Une dizaine de bouteilles vides de Flag étaient éparpillées sur la table, cinq devant une des filles, trois devant l’autre,  quatre devant Mahamat. Avant de se rasseoir, la fille qui était venue m’accueillir m’installa juste à côté d’elle, sortit trois bouteilles de Flag d’un casier de 24 bouteilles à moitié vide posé à côté d’elle, et les déposa devant moi en me tapotant sur l’épaule : « Chou, faut déjà commencer. La nuit sera longue, très longue. Les Flag, ça ne descend agréablement que quand on prend tout son temps pour les avaler. » Je voulus lui demander où elle avait appris à prendre de la bière au Tchad, mais je me ravisai rapidement, je n’étais pas là ce soir pour savoir celui qui avait mis du lait dans la noix de coco, mais pour boire du lait de coco. Je crois bien avoir déjà entendu le comédien ivoirien Gohou, ou l’intellectuel, euh le chanteur de soukouss congolais Awilo Longomba, ou le philosopho-moraliste togolais Eyadema, ou Djénéba la bonne sénégalaise de ma voisine, je crois donc bien avoir déjà entendu un des personnages de ce beau monde aussi hétéroclite que loufoque dire que trop parler c’est maladie.

Mahamat, assis à ma droite, fit notre présentation, après avoir vidé d’un trait une bouteille de Flag. Halimatou et Jamila, nos deux cavalières. Bachelières tchadiennes, musulmanes modérées, célibataires sans enfants, venues faire des études commerciales au Mali. David, Togolais ayant un nom de famille trop difficile à prononcer, chrétien pratiquant n’allant presque jamais à l’église, toujours célibataire et bizarrement pas même avec un seul enfant, enseignant de marketing allant au cours chaque jour en retard et plus proche de ses étudiantes que de ses étudiants, écrivain francophone adulé par ses 14 lecteurs mais aussi inconnu en France qu’un joueur de foot tchadien en Italie, blogueur presque impoli et plus provocateur qu’un singe de conte, accusé de temps à autre de blasphémateur par les catholiques quand il écrit sur les prêtres, d’apostat par ses frères en Christ protestants quand il raille les pasteurs, d’islamophobe par les musulmans quand il applaudit les caricatures de Mahomet dans Charlie Hebdo, de misogyne par les femmes quand il traite les filles de matérialistes, de pédé par les bobos hétéros quand il défend les homosexuels africains, de néocolonialiste par les patriotes africains quand il applaudit la France en guerre en Libye…

Il dut arrêter ma présentation quand les deux filles éclatèrent bruyamment en rires. « T’as un sacré curriculum vitae, toi » me fit Halimatou, celle qui était venue m’accueillir, en me déposant un léger baiser sur la joue. J’avalai une gorgée de salive, et me remémorai une définition de la bière Flag que m’avait donnée une nuit, en 2011, un mentor écrivain dans un bar bamakois. Flag : Femme Libre Attend Garçon. Ouais, Tchadienne libre attend garçon, et elle l’aura ce soir, inch Allah, me suis-je dit en souriant légèrement, et en portant ma première bouteille de Flag à la bouche.

A suivre…

Note : Ce texte, dont le titre est inspiré du célèbre titre « Comment faire l’amour avec un Nègre sans se fatiguer » est écrit pour saluer l’élection de l’éminent écrivain d’origine haïtienne Dany Laferrière à l’Académie française. Tant qu’existeront des hommes comme ce monsieur, le rêve de forger des mots, de les rendre plus beaux, plus doux, plus vivants, hantera toujours des générations et des générations.


Comment boire des Flag avec une Tchadienne sans se retrouver dans le lit d’un Nigérian (Troisième Partie)

 

Boîte de nuit à Abidjan (Crédit image: www.senego.net)
Boîte de nuit à Abidjan (Crédit image: www.senego.net)

Résumé de la deuxième partie : Le héros, jeune Togolais vivant à Bamako, se rend dans un bar bamakois, où il est invité, en pleine nuit, par un ami tchadien, à venir prendre un verre avec des étudiantes tchadiennes fraîchement débarquées à Bamako.                         ……………………………………………………………………………….

Il me fallut plus de dix minutes de lutte pour échapper à l’assaut des tapineuses prépubères qui s’étaient ensemble abattues sur moi, une fois à l’entrée du bar, me présentant leurs marchandises par de mielleux « Chéri, essaie-moi ce soir, tu ne m’oublieras jamais », « Bébé viens, je suis une magicienne, tu entres en moi par le grand trou et tu en sors par le petit, je ne suis même pas chère si c’est avec des beaux gosses comme toi », « Je sais que tu bandes grave, chaton, et c’est pour moi seule », « Ouye, ouye ouye, ouiiiiii, je te sens déjà en moi, mon étalon, que t’es viril » … les plus rodées en marketing me proposant même des essais gratuits en se saisissant de mes mains et les dirigeant vers leurs entrecuisses éhontés. Derrière moi, j’entendais une voix dont je devinais très bien l’auteur, me criant : « Mais, mon frère togolais, tu attends quoi pour sauter sur elles, hein, toutes ces petites princesses veulent de toi et tu es là à les regarder comme un chat regardant une musaraigne morte ! Moi à ta place je les aurais déjà rendues toutes enceintes sur-le-champ, dis-moi, si tu as honte de le-leur faire devant les gens, viens je te passe mon taxi pour quelques minutes, tu te soulages propre, tu me paies juste deux mille, hooooo, qu’elles sont belles, ces filles, hooooo, hoooo, hooooo ».

Mahamat vint me chercher et me lut la notice d’utilisation de nos deux cavalières. « Ecoute, mon ami, au téléphone je t’ai dit que ces filles sont mes cousines, je t’ai en fait menti, la relation familiale qui me lie à elles est aussi inexistante, aussi impossible qu’une histoire d’amour entre Angelina Jolie et le capitaine Sanogo. Elles sont des amies à un cousin à moi qui me les a recommandées. Je gère une et tu prends l’autre. Je préfère te voir avec elles que de les laisser à la merci de ces jeunes Maliens qui ne feront que leur irriguer le cerveau avec ce mauvais thé qu’ils prennent à longueur de journée. Je te laisse d’abord choisir et je prends celle qui reste. Ecoute, ces filles sont des enfants de riches, leurs papas sont ceux qui pompent tout l’argent du pétrole tchadien, donc à toi de jouer. Comme toute fille de riche qui se respecte, elles sont naïves, et il suffit de leur dire je t’aime avec un air de clown qu’elles se jettent dans tes bras en larmes, comme ça, gratuitement. Allons-y, elles nous attendent. »

Nous étions sur le point d’entrer dans le couloir menant aux entrailles du bar quand un brouhaha subit monta derrière nous. Un petit groupe se forma sur-le-champ. Nous nous approchâmes. Une jeune fille, venue dans une 4X4, venait de déshabiller une péripatéticienne, sa partenaire, qu’elle accusait de la tromper. Cela ne suffisait pas à cette pétasse, se plaignait la cocue, de la tromper avec toutes ses amies, elle la trompait maintenant avec des hommes, elle se prostituait, alors qu’elle lui donnait tout ! Oh, les femmes ! Bon, les femmes-femmes, parce qu’elle était une femme-homme, elle ! L’infidèle, la femme-femme, poils aux vents, se défendant, refusait de rentrer dans la 4X4 de sa partenaire qui l’y poussait de toutes ses forces. Elle en avait marre, marre, marre, disait-elle, des coups de jalousie de son gars-femme qui ne pouvait s’empêcher de faire des scandales chaque fois qu’elle la voyait avec d’autres filles, qu’est-ce qu’elle croyait, hein, son gars au féminin, elle n’avait qu’à aller se faire foutre !

En poussant un long juron de rage, Mahamat me tira de la main, me demandant de quitter cette querelle qu’il qualifiait de grosses conneries de petites filles en manque de godemiché. Nous fîmes à peine quelques pas quand le conducteur de taxi, surgi de l’attroupement autour des querelleuses, vint se placer devant nous, la visage en sueur, les yeux luisants comme ceux d’un chat sauvage. « Mon frère togolais, tu as entendu ce que je viens d’entendre, hein, ces filles se font ça entre elles ! Hoooo, hoooo, hoooo, c’est quelle abomination ça là, hein ! Elles font ça comment, hein ? Yéééééé,  avec tous ces pilons qui trainent ici-bas, ces filles se font ça entre elles, hoooo, hoooo, hoooo, je rêve ou quoi, hein ? Et dire que ça fait maintenant plus de six mois, depuis le départ de ma femme, que je n’ai plus disparu dans le moindre trou ici-bas alors qu’il y a des filles qui se font cela entre elles ! Hoooo, hoooo, hoooo, regarde cette petite fille qui s’en va montrer sa brousse de poils là une femme, c’est quoi cette maladie-là, hein, hoooo, hoooo, hoooo, je te jure que si on la met dans mon lit juste pour quelques minutes elle va être guérie, je vais lui montrer qu’il y a une différence entre 12 et 21, hoooo, hoooo, hoooo, rien qu’en y pensant je raidis, tu peux me toucher voir, je te jure que je raidis rien qu’en pensant à cette fille si poilue dans mon lit, hoooo, hoooo, hoooo ! »

Il détala et se replongea dans la foule des spectateurs toujours amassés autour de la cocue et sa partenaire. Mahamat éclata de rire : « Non, sérieux, dis-moi où tu connais ce phénomène qui t’appelle son frère togolais. C’est des gens comme ça que vous avez au Togo ? Et vous vous plaignez d’avoir un prince libidineux comme président ? » Au lieu de lui répondre que ce comique n’était pas un Togolais, que c’était juste le taximan que j’avais eu le malheur de héler en venant, je pouffai aussi de rire. Je n’en doutais plus, ce monsieur avait pris un Viagra mortel, et l’infortunée fille qui oserait monter dans son taxi puis dans son lit cette nuit se retrouverait au mieux avec une incapacité totale de jouir pendant six mois, au pire une paralysie à vie des membres inférieurs.

Nous longeâmes l’obscur couloir qui menait aux choses sérieuses en faisant les derniers réglages techniques : les proies, il fallait tout mettre en œuvre pour les abattre, les dépecer, les cuire, les ingurgiter et les digérer dès cette nuit. Sur la porte qui s’ouvrait sur le salon presque sombre où l’on buvait, un papier-rame éclairé par une ampoule bleue portait l’inscription : « Ici c’est un bar, il est interdit de s’accoupler. Pour des besoins pressants, contactez les serveurs pour prendre une chambre. Merci. La Direction. »

A suivre…

Note : Ce texte, dont le titre est inspiré du célèbre titre « Comment faire l’amour avec un Nègre sans sa fatiguer » est écrit pour saluer l’élection de l’éminent écrivain d’origine haïtienne Dany Laferrière à l’Académie française. Tant qu’existeront des hommes comme ce monsieur, le rêve de forger des mots, de les rendre plus beaux, plus doux, plus vivants, hantera toujours des générations et des générations.

 


Comment boire des Flag avec une Tchadienne sans se retrouver dans le lit d’un Nigérian (Deuxième Partie)

Boite de nuit à Bangui (Crédit image: www.slateafrique.com)
Boite de nuit à Bangui (Crédit image: www.slateafrique.com)

Résumé de la Première partie : Le héros, jeune Togolais vivant à Bamako, est invité, en pleine nuit, par un ami, tchadien, à venir prendre un verre avec des étudiantes tchadiennes fraîchement débarquées à Bamako. Il prend un taxi pour s’y rendre.

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Le conducteur, cinquantenaire par les rides sur son visage et les cheveux blancs dans sa tignasse, mais jouant au trentenaire avec son look de rappeur underground, T-shirt à l’effigie de Jay-Z et casquette renversée, ne demanda pas mon avis pour me réciter son sermon sur la chute de la femme malienne : « Eh, mon frère, dis-moi, tu es ivoirien ? Ah, Togolais ! Je te jure, mon frère togolais, que ce sont les femmes qui vont détruire ce pays ! On raconte que c’est le coup d’Etat de Sanogo qui a plongé ce pays dans la crise, mais si tu vérifies bien tu vas voir que c’est sa femme qui l’a poussé à faire ce putsch pour s’enrichir et lui donner beaucoup d’argent pour ses basins et bijoux. Je te jure, crois-moi mon frère togolais, derrière tout grand criminel se cache une femme. Comment veut-on que les hommes de ce pays soient honnêtes quand leurs femmes ont des yeux aussi gros que les testicules d’un cochon, hein ? Peux-tu comprendre que les femmes d’un instituteur ou d’un policier qui gagnent à peine cinquante mille par mois, peux-tu comprendre que les femmes de ces pauvres demandent à leur mari de leur coudre un basin brodé chaque semaine pour les mariages, hein ? Comment cet instituteur ne va pas vendre des notes aux élèves, hein, mon frère togolais, comment ce policier ne va pas traquer des taximen et les escroquer injustement, hein, comment il ne va pas laisser les motocyclistes violer les feux tricolores contre cinq cents francs CFA, hein, dis-moi, mon frère. Le pire c’est qu’elles nous mentent et nous trompent, elles ont la langue aussi tordue que le pénis du canard, le cœur aussi dur que les yeux du crabe. Non, sérieux, c’est quel genre de femmes ça là hein ? Moi, de toute façon, ma décision est prise, maintenant, c’est une femme blanche ou rien, y a pas question que ces rastas dégoûtants qui ne se lavent même pas nous en mettent plein la vue tous les jours avec des femmes blanches, de vraies femmes, alors que moi je sacrifie mon temps avec des femmes noires… »

Nous arrivâmes devant le bar après une trentaine de minutes, quand le chauffeur était encore occupé à me raconter comment sa femme l’avait quitté, il y avait juste six mois, après trois ans de mariage, pour aller vivre avec un de ses amants dans le même quartier, parce que ce dernier venait de  gagner deux millions au tiercé et s’était acheté une télé écran géant avec abonnement Canal+, un frigo, une moto chinoise, une gazinière… « Tu vois, devant un monsieur qui a percé ainsi, et qui vit désormais dans le luxe comme un ministre, c’est pas moi un sale taximan qui vais faire le poids aux yeux de ma femme. Tout le monde se moque de moi dans le quartier, me traitant de lâche et d’homme indigne, me conseillant d’aller récupérer ma femme, même si je dois tuer mon rival, que la justice me donnera raison… mais dis-moi, mon frère togolais, est-ce que tu me vois, moi, un taximan qui n’a même pas dix mille francs d’économies, gagner un procès dans ce pays devant un homme qui a gagné deux millions au tiercé, hein. Si j’ose m’engager dans cette procédure judiciaire, je risque de vendre mon vieux taxi-là sans aucun résultat, d’ailleurs ce sont les juges même qui commenceront à me la labourer, ma femme…»  

Une dizaine de petites péripatéticiennes, décalquées dans des robes tellement transparentes qu’on y voyait la peau de leurs fesses et la couleur de leur string,  perchées sur des escarpins plus hauts que les Chinois qui les ont fabriqués, parfumées et maquillées comme des adeptes ratées de mamiwata, vinrent encercler la voiture qui s’était arrêtée juste devant le bar, excitées comme des collégiennes togolaises en chaleur. Le conducteur, comme piqué par une soudaine folie, lâcha le volant, se tint la tête des deux mains, et commença à hurler, tournant sur son siège, les yeux allumés : « Tchiééééé, wallahi, c’est quoi ça, hein, Allah ! C’est des filles des gens comme ça ? Regarde comment elles sont habillées ! Quelle dépravation des mœurs dans ce pays ! Des filles qui n’ont même pas vingt ans, des filles qui n’auraient normalement pas encore poussé des seins, si on vivait à une époque normale, des filles qui devraient normalement être encore en train de dormir à côté de leur mère, qui viennent se prostituer, Allah ! Regarde leurs derrières bombés, regarde leurs poitrines ! Eh, les gens mangent de bonnes choses dans la vie, hein, mon frère togolais ! Paie-moi rapidement, je vais faire deux tours et je reviens en prendre une pour la nuit. Dis-moi, quelque chose que même les ministres, même les députés, même les imams, même les pasteurs, même les marabouts, même les personnalités de ce pays viennent manger, alors dis-moi, c’est moi un sale taximan qui vais m’en priver, hein ? Cinq mille francs au plus et je vais passer une nuit de rêve avec de la chair fraîche et efficace ! Ne les trouve pas petites, hein, mon frère togolais, tu les vois minuscules comme ça à l’air libre mais dans un lit elles sont plus femmes que nos mères à toi et à moi réunies, même si tu y mets deux troncs de baobab ensemble ça va rentrer, allez, paie-moi, faut que je revienne vite ici, avant que les ministres ne viennent les chercher toutes. »   

Je fis signe, par téléphone, à Mahamat que je venais d’arriver, en me précipitant vers une boutique en face du bar pour acheter un paquet de Protector+. Souley, l’un de mes meilleurs amis, me l’a toujours dit, un homme, un vrai, ne rentre jamais dans un bar sans avoir des préservatifs dans la poche, parce que nul ne peut savoir quand rencontrer, dans un bar, une baleine saoulée à décapiter à la va-vite, une libellule éblouie par les lumières nocturnes à sa mettre sous la dent pour bien continuer la soirée. Le premier jour où il m’avait donné ce sage conseil, il m’avait cité l’adage de la tortue qui répond quand on lui demande pourquoi elle se déplace toujours avec sa carapace qu’elle ne sait où la nuit peut la surprendre, et qu’elle bouge toujours avec sa maison pour ne pas être contrainte un jour de dormir à la belle étoile.

Le boutiquier, un Maure ou un Touareg, croyant que j’avais dans mon lit une proie prête à être dépecée, me tendit, en souriant, le paquet en me souhaitant bon travail. « Sale Maure ou Touareg, ai-je pensé en sortant de la boutique, tes frères sont en train de se faire des millions en prenant des otages occidentaux et toi tu es là, ignare, à foutre ta gueule de loser dans les affaires d’honnêtes gens comme moi. »   

A suivre…

Note : Ce texte, dont le titre est inspiré du célèbre titre « Comment faire l’amour avec un Nègre sans sa fatiguer » est écrit pour saluer l’élection de l’éminent écrivain d’origine haïtienne Dany Laferrière à l’Académie française. Tant qu’existeront des hommes comme ce monsieur, le rêve de forger des mots, de les rendre plus beaux, plus doux, plus vivants, hantera toujours des générations et des générations.

 

 

 


Comment boire des Flag avec une Tchadienne sans se retrouver dans le lit d’un Nigérian (Première Partie)

Flag

« C’est en plein sommeil que la mort viendra me chercher », sagesse d’un troubadour togolais des années 70. Comme quoi, si la mort vous veut, même caché dans l’anus d’une tortue, elle ira vous dénicher.

J’étais tranquillement couché chez moi, mercredi soir, riant des injures savoureuses que s’envoyaient ma voisine d’en-haut et son mari, le second accusant la première d’une énième infidélité, la traitant de trou sans fond incapable de se remplir de toutes les eaux de ruissellement pourries de Bamako, de nymphomane insatiable jusqu’au point d’aller se faire fabriquer un clitoris artificiel au Nigeria, de viande faisandée que même la hyène la plus affamée n’oserait renifler, et la catin insatiable au clitoris artificiel Made in Nigeria ripostant qu’elle acceptait tout, mais qu’elle rappelait à son mari qu’elle n’était pas une fille de pute comme il l’était, lui dont la mère avait été surprise, à 70 ans, en pleine partie de jambes en l’air avec le copain de 31 ans d’une de ses nièces, lui dont la mère avait été surnommée dans son village « maman où est ton slip ? » depuis le jour où elle avait déshabillée en plein marché par une femme en furie dont elle détournait le mari, lui dont la mère, à 81 ans, achetait et regardait toujours des films pornos chinois, peuh…

J’étais, donc, en train de me gaver de ces juteuses injures instructives que je garde jalousement pour les sortir à qui de droit au moment opportun, avec cette grande passion par laquelle les célibataires savourent les querelles des mariés, quand mon téléphone portable sonna. Mahamat, un Tchadien, ancien camarade de classe, l’un de mes amis les plus fidèles au Mali depuis 2009, m’invitait dans un bar très connu de Bamako. Deux étudiantes tchadiennes venaient d’arriver à Bamako pour les études, et elles avaient besoin de compagnie pour leur première nuit bamakoise. « Des Tchadiennes, dis-tu ? » que je lui ai demandé en insistant sur la nationalité. « Bien sûr que oui, ce sont mes cousines, et moi je ne vais rien manger dedans, tu pourras choisir celle que tu veux, et je te l’arrange, je tiens à ce que tu laisses une partie de toi chez nous, au Tchad. » Laisser une partie de moi au Tchad, mais pourquoi pas, hein, mon cher ami, je serais d’ailleurs prêt à laisser une partie de moi dans chaque pays au monde si j’y avais des amis aussi attentionnés, aussi intelligents, aussi sincères que toi.

Disons que j’ai gardé un très bon souvenir des Tchadiennes depuis mon aventure avec Lydie, une étudiante tchadienne de 22 ans avec qui j’ai mené la vie en 2010. Trois mois de relation, et cette jeune fille m’avait réellement démontré qu’il y a encore sur cette Terre des hommes des femmes disposées à aimer – je ne sais pas trop ce que signifie cette expression qu’aiment tant utiliser les filles, être disposé à aimer, mais j’ai aussi commencé à l’utiliser pour parler d’amour. La Lydie, donc, était tellement disposée à m’aimer que pendant nos trois mois passés ensemble, elle avait payé, avec l’argent que lui envoyait son père, garde du corps d’un proche collaborateur d’Idriss Débi, mon loyer, mes factures, nos sorties les week-ends, nos dîners, une partie de mes frais de scolarité… une disposition à m’aimer qui avait fini à me disposer à l’aimer moi aussi, jusqu’à ce matin où on l’avait informée que son père venait d’être abattu dans une tentative d’assassinat de son patron, et qu’elle devait rentrer sur-le-champ, définitivement, au Tchad. Elle avait beaucoup pleuré, me suppliant de la suivre au Tchad, j’y trouverais du travail, on se marierait, on ferait beaucoup d’enfants comme si on était des Nigériens – j’avais failli vomir en imaginant ma maison remplie d’enfants… Moi aussi j’avais beaucoup pleuré, pensant à mon loyer et mes factures que je devais recommencer à payer moi-même, et l’avais supplié, avant son départ, de me payer six mois de loyer. Par amour. Notre amour à elle et à moi.

Bref, mercredi soir, je ne me suis pas fait prier pour accepter l’invitation de Mahamat, préférant aller tenter une fois de plus ma chance auprès d’une Tchadienne gâtée de pétro CFA disposée à m’aimer, plutôt que de rester chez moi à écouter ce dictionnaire des injures ignobles que mes voisins toqués ont décidé de me réciter cette nuit. D’ailleurs, je savais très bien que ça n’allait plus beaucoup durer, cette partie d’injures, parce que comme me le disait mon père, les querelles d’un couple, c’est comme le caca d’un lézard, ça comporte toujours une partie noire et une partie blanche. Le cocu, devant les mouvements de poitrine de la catin, allait finir par se calmer, à douter même si elle l’avait vraiment trompé, à lui dire que ça va, les gens les écoutaient, les enfants allaient se réveiller, elle n’avait qu’à se taire enfin et venir se coucher, et l’infidèle, n’en demandant pas plus, allait faire semblant de pleurer un peu, de lui demander pourquoi il doutait d’elle, hein, que comment il pouvait croire qu’elle pouvait le tromper, hein, que… que… et le cocu dupé allait la prendre dans ses bras, et elle n’allait pas dire non, et ils allaient se coucher, et ils n’allaient pas dormir directement, et elle allait, en le faisant avec lui, penser à l’autre, et lui, en le faisant avec elle allait l’imaginer le faisant avec l’autre, mais il n’allait pas s’énerver… jusqu’au jour où il apprendra encore de la bouche d’un de ses amis qu’elle l’a toujours trompé.

Je me suis rapidement habillé. Ai pris mes pièces d’identité, c’est-à-dire deux billets de mille francs, au cas où la patrouille policière me demanderait ma carte consulaire expirée depuis six mois et que je remplace toutes les nuits par un billet de mille francs à chaque contrôle de police. J’ai pris un taxi, mes yeux plus myopes que ceux d’un professeur togolais d’Histoire-Géographie ne me permettant pas de conduire la nuit.

A suivre…

Note : Ce texte, dont le titre est inspiré du célèbre titre « Comment faire l’amour avec un Nègre sans sa fatiguer » est écrit pour saluer l’élection du l’éminent écrivain d’origine haïtienne Dany Laferrière à l’Académie française. Tant qu’existeront des hommes comme ce monsieur, le rêve de forger des mots, de les rendre plus beaux, plus doux, plus vivants, hantera toujours des générations et des générations.

  

 


Ah, vous avez donc peur de la mort, M. Arthème !

Arthème Ahoomey-Zunu
Arthème Ahoomey-Zunu

8e lettre ouverte au Premier ministre togolais Arthème Ahoomey-Zunu

 

Bamako, le 18 novembre 2013

Monsieur le Premier ministre,

J’ai appris, comme la plupart des Togolais, que vous êtes actuellement malade et hospitalisé en France. Et j’ai un peu hésité avant de vous envoyer cette nouvelle lettre, la bienséance de nos coutumes exigeant qu’on ne bouscule pas les malades, surtout quand ils ont votre âge et votre importance. Mais j’ai surtout pensé à ce proverbe de chez nous : « Un lion, même amaigri, n’est pas un chien, mais un lion. » Vous demeurez donc Premier ministre, même sur votre lit de malade, et vos engagements restent vos engagements.

Je viens, donc, pour la huitième fois consécutive, vers vous, sur votre lit de malade, à propos d’Anselme Sinandaré, cet enfant togolais de 12 ans tué par balles le 15 avril 2013 par vos soudards lors d’une manifestation des élèves pour réclamer de meilleurs traitements à leurs enseignants. Souffrez, Monsieur le Premier ministre, oui, veuillez bien souffrir que je vous choque en vous rappelant une fois de plus que nous, Togolais, frères et sœurs d’Anselme, attendons toujours les enquêtes que vous avez promises sur la mort de notre frère, le 18 avril 2013, sur les ondes de la Radio France internationale, RFI. C’est juste un rappel, et je ne vais pas faire long. Vous êtes malade.

Monsieur le Premier ministre, vous avez dû avoir peur quand votre maladie, encore obscure pour nous autres de la plèbe, vous a attaqué. N’est-ce pas ? Peur de mourir. Votre famille, votre femme et vos enfants ont aussi eu peur. Peur de vous perdre, vous qui leur êtes si cher. Vous avez immédiatement exigé qu’on vous expédie en France, un vrai pays, pour vous faire traiter par de vrais médecins, dans un vrai hôpital. Parce que vous n’avez aucune confiance au pays que vous dirigez, aucune confiance aux hôpitaux que vous avez construits, aucune confiance aux médecins et autres agents de santé que vous y employez… Soit. L’adage le stipule si bien : « Seul celui qui traîne l’hernie connaît le vrai poids de son hernie.» Vous savez ce que vous avez mis dans ces hôpitaux togolais comme matériel et personnel, et vous savez, vous seuls, pourquoi vous préférez partir en Occident vous faire traiter chaque fois que vous remarquez le moindre bouton sur votre visage.

Vous avez, donc, Monsieur le Premier ministre, eu peur de mourir. N’est-ce pas ? Vos proches aussi. Et sur votre lit de malade actuellement, vous expérimentez cette angoisse que l’on ressent devant la mort quand on s’en approche. Vous voyez, dans tous ces yeux qui vous entourent, la peur de perdre un être proche, cher. Et vous pouvez facilement imaginer, juste imaginer leur réaction, leur douleur, leur enfer, s’il arrivait, oui, s’il arrivait qu’on vienne leur dire… qu’on vienne leur dire ce qu’on est parti dire aux parents, aux amis, aux proches d’Anselme Sinandaré ce 15 avril 2013, après qu’une de ces bêtes féroces que vous formez au Togo a ajusté son fusil et l’a abattu.

Mais, Monsieur le Premier ministre, contrairement à vos proches qui sauront la maladie qui vous aura emporté, les proches d’Anselme, si aucune enquête n’est faite sur sa mort, si son tueur n’est pas identifié et convenablement puni, les proches d’Anselme, eux, pleureront non seulement leur bien-aimé, mais aussi cette justice morte dans notre pays, et dont leur fils, leur ami, leur frère, n’a pas pu bénéficier, cette justice dont n’ont pas bénéficié des milliers et des milliers de Togolais gratuitement assassinés par la seule et même main, ce régime que vous servez. Et ils seront éternellement malheureux. Éternellement.

Monsieur le Premier ministre, je ne vais pas continuer avec ces hypothèses macabres, à vous parler de mort et d’assassinats. Vous êtes sur un lit de malade, et vous avez peur de la mort. Normal. Comme le dit le dicton : « Le boucher ne comprend le râle du mouton agonisant que quand il se retrouve avec un couteau sur la gorge. » Je vous souhaite, donc, de tout cœur, un prompt, un très prompt rétablissement. Un lit de malade est un très bon lieu de repentance. Profitez-en et revenez-nous beaucoup plus fort, beaucoup plus sain. Beaucoup plus juste. Surtout. 

Très cordialement

Yao David Kpelly

PS : Ah, Monsieur le Premier ministre, j’oubliais, je voudrais vous faire lire ce message qui m’a été envoyé sur Internet le 06 Novembre 2013, par un frère togolais : « Salut David, j’aimerais te faire une suggestion. Refusant d’assumer sa responsabilité dans l’assassinat du jeune élève Douti Sinanlengue battu à mort par les spadassins du régime, le gouvernement Ahoomey-Zunu avait affirmé qu’il était mort d’une péritonite. Et un faux certificat médical avait été délivré à cet effet. Ironie du sort, c’est le Premier ministre lui-même qui souffre aujourd’hui d’une péritonite. C’est ce qui ressort du conseil des ministres d’aujourd’hui. On y lit : ‘’Sur l’état de santé du Premier ministre, le Chef de l’Etat a tenu à informer le Conseil que le Premier ministre a été évacué à l’étranger pour y être opéré d’une péritonite faisant suite à une appendicite non découverte à temps. L’opération s’étant bien déroulée, le Président de la République a souhaité un prompt rétablissement au Premier ministre ‘’. Si ça peut t’inspirer pour une nouvelle lettre ! » Des idées, Monsieur le Premier ministre ?

 

 


Notre Lampedusa s’appelle Togo, Mr Arthème

Arthème Ahoomey-Zunu
Arthème Ahoomey-Zunu

7e lettre ouverte au Premier ministre togolais Arthème Ahoomey-Zunu

Bamako, le 18 Octobre 2013

Monsieur le Premier ministre,

J’espère que vous allez bien, vous et votre famille. Nous nous portons à merveille, nous aussi. Gloire au Ciel.

Je crois, Monsieur le Premier ministre, que vous connaissez ce proverbe de notre peuple éwé qui stipule que tant que le pou circulera dans la tignasse, les doigts y circuleront aussi pour l’attraper. Eh bien, Monsieur le Premier ministre, notre pou circule toujours dans la tignasse, et il faut que nos doigts y circulent pour l’attraper. Notre pou, ce gendarme ou militaire ou policier togolais qui, en avril passé, a abattu un enfant togolais innocent de 12 ans, Anselme Sinandaré. Un assassinat que vous avez promis sur les ondes de la Radio France internationale, RFI, le 18 avril 2013, d’élucider à travers une enquête, une enquête dont nous n’avons aucune information depuis six mois maintenant. Le pou assassin circule dans nos têtes, circule au Togo, mais votre enquête pour le démasquer tarde, Monsieur le Ministre, et je me fais le devoir, en qualité de citoyen togolais, de frère d’Anselme, de vous le rappeler pour la septième fois.

Monsieur le Premier ministre, vous avez sûrement appris le drame qui a, il y a quelques jours, secoué le monde entier, celui de ces centaines d’Africains noyés aux larges de l’île de Lampedusa, dans leur traversée vers l’Europe. Vous l’avez appris, ce énième drame lié à l’immigration des Africains vers le rêve occidental, et vous avez soit poussé un soupir de compassion devant cette pitié, cette honte sans nom, soit murmuré que cela leur apprendra, à ces immigrés têtus, à ne plus vouloir quitter l’Afrique et vous exposer aux yeux de toute la Terre, comme si l’Afrique était devenu un enfer. De toute façon, ce drame vous a ému parce qu’une scène aussi inhumaine émeut toujours chaque humain qui a su garder au fond de lui une petite trace d’humanité, ou vous a laissé indifférent. Tout dépend de votre degré d’humanité.

Mais, Monsieur le Premier ministre, au-delà de votre indignation ou de votre indifférence, et avec un peu d’analyse, vous devez comprendre que ce drame ayant frappé ces infortunés Somaliens et Erythréens est aussi un drame togolais. Le drame de ces hommes sans espoir, ayant vécu dans la misère, les larmes, les humiliations… et qui sont morts dans la plus grande atrocité, les yeux rivés sur une pâle lueur d’espoir, est aussi celui de la majorité du peuple que vous dirigez, le peuple togolais.

Monsieur le Premier ministre, y-a-t-il finalement une différence entre ces Somaliens et Erythréens noyés à Lampedusa dans leur espoir de rejoindre l’Europe pour y trouver un peu de dignité et ce jeune Togolais de 12 ans abattu comme une bête durant une manifestation où il réclamait plus de dignité pour ses enseignants, ceux-là qui sont chargés de forger son avenir, sa dignité à lui ? Y-a-t-il une différence entre ces sinistrés de Lampedusa et tous ces Togolais tués par centaines, par milliers, depuis presque cinquante ans maintenant, parce qu’ils ont osé réclamer, espérer plus de dignité ? Y-a-t-il, Monsieur le Premier ministre, y-a-t-il une différence entre les naufragés de Lampedusa et ces centaines de Togolaises, les ventres gonflés de vie et d’espoir, décédées, tuées dans des centres de santé au Togo parce qu’elles n’y ont pas trouvé le minimum de soins pour les aider à donner la vie ?    

Monsieur le Premier ministre, Lampedusa n’est pas une île où des Africains entassés dans des bateaux de fortune vers l’Occident se noient. Lampedusa, c’est le symbole de cet abîme qui engloutit des hères sans espoir, cherchant une toute petite dignité, un semblant de joie de vivre, et qui n’ont trouvé que la mort, que l’indignité. Et des hommes ayant vécu et ayant rendu l’âme sans la moindre joie de vivre, sans la moindre dignité, sans avoir bénéficié de la moindre justice ici-bas, vous pouvez, si vous le voulez bien, en compter des dizaines, des centaines, des milliers, des millions au Togo.

Monsieur le Premier ministre, à défaut d’une vie digne, d’une vie vivante, vivable, ce que désirent, réclament désormais les Togolais est une mort digne. On ne peut vivre indigne et mourir indigne chez soi. La mort d’un enfant de 12 ans abattu, sans raison, comme un chien errant, une mort dont les motifs, tout comme le nom de l’auteur sont restés flous, obscurs, cachés depuis six mois maintenant, est une mort indigne. La mort d’Anselme Sinandaré est une mort indigne. Tous ces Togolais assassinés directement ou indirectement par ce régime que vous servez avec une si grande passion sont morts d’une mort indigne, parce que trop gratuite. Aucun humain, alors pas même un seul, n’accepterait de mourir si tragiquement comme le fut Anselme, sur la terre sienne, et que six mois après, rien ne soit entrepris par ses frères pour punir son assassin.

Monsieur le Premier ministre, le petit Anselme aurait préféré mourir à Lampedusa, être repêché et enterré sur une terre étrangère, ou même finir dans les entrailles d’un monstre marin, au lieu d’être tué par son propre frère, chez lui, sans que la moindre justice ne lui soit rendue. Tous ces Togolais engloutis par votre clan depuis cinquante ans auraient préféré mourir à Lampedusa et être pleurés par des étrangers, au lieu d’être fauchés, si injustement, si gratuitement, sur le sol de leur patrie, et ne même pas avoir droit aux honneurs que méritent tous les morts.

Monsieur le Premier ministre, ce drame de Lampedusa n’est pas le premier, et il ne sera pas le dernier. Demain, après-demain, aussi longtemps que l’Afrique restera ce qu’elle est aujourd’hui pour ses fils, une horreur, des bateaux, des dizaines de bateaux, des centaines de bateaux transportant des Africains à la quête d’une trace de dignité se dirigeront vers Lampedusa. Certains arriveront à bon port, d’autres n’y arriveront pas. Et chaque fois que vous verrez un homme mourir à Lampedusa, Monsieur le Premier ministre, chaque fois que vous verrez des groupes d’Africains engloutis dans les abysses de Lampedusa, pensez à Anselme et à tous les Togolais dont votre régime porte la mort sur la conscience, pensez à tous ces Togolais que votre régime tuera tant qu’il continuera de s’imposer aux Togolais. Oui, pensez à Anselme, et interrogez votre humanité.

Très Cordialement

Yao David Kpelly

 

                                                                                                         


Les Togolais sont heureux, Messieurs de l’O.N.U

Ban Ki-Moon, Secrétaire Général de L'ONU
Ban Ki-Moon, Secrétaire Général de L’ONU

Cher Monsieur Ban Ki-Moon, chers Messieurs de l’O.N.U,

C’est par les incontournables réseaux sociaux que je viens de lire le rapport intitulé « World Happiness Report 2013 » commandité par the « Sustainable Development Solutions Network » une initiative de l’Organisation des Nations Unies. Dans ce rapport, vous avez classé 156 pays selon des indices de bonheur sur la période 2010-2012, 156 pays représentant tous les continents, et j’ai été étonné de voir mon pays, le Togo, en dernière position. Le Togo est donc le pays où les populations sont les plus malheureuses sur ces 156 pays, que dit votre rapport ! Et il paraît, d’ailleurs, que ce n’est pas la première fois que notre pays occupe ce rang, et qu’il a été dernier dans certains de vos rapports précédents sur le bonheur. C’est rassurant pour nous, parce qu’on se dit au moins que vous connaissez notre pays, ce qui n’était pas évident, quand on considère l’indifférence totale dont font preuve votre institution et toutes les autres institutions internationales vis-à-vis de la situation sociopolitique du Togo.

Chers Messieurs, votre ONU était là, quand, aux lendemains des Indépendances des Etats africains, l’un de ses membres les plus influents, la France, avait fait assassiner le père de l’Indépendance du Togo, pour le remplacer par un cultivateur-lutteur-traditionnel-militaire n’ayant participé en rien à la lutte pour la décolonisation du Togo, n’ayant aucune notion, alors aucune, de gouvernance. L’ONU était là, quand Eyadema, puisqu’il faut l’appeler par son nom, comme la peste de La Fontaine, a anéanti tous les espoirs de développement du Togo naissant, fondant, pendant 38 ans, son règne sur des mises en scène cocasses, la torture, le meurtre, le mensonge, la corruption, la prévarication… L’ONU, la vôtre, était là, en 2005, quand à sa mort, l’armée togolaise et les institutions internationales africaines avaient intronisé, dans le sang de centaines de Togolais révoltés, son fils Faure Gnassingbé – que vous connaissez très bien, puisque que vous l’invitez fréquemment à vos sommets. Et jamais, votre ONU n’a pensé à sauver le Togo suivant ses missions – ses missions sur papier bien sûr.

Messieurs, il paraît, et on le voit très bien, que l’ ONU, votre ONU n’intervient que dans de vrais pays, c’est-à-dire des pays qui sont très riches en ressources minières, le pétrole en tête. Et notre pays, le Togo, n’a pas de pétrole. Ah, ouais, il y avait, entre-temps, eu ce buzz selon lequel on avait découvert du pétrole sur notre côte. Ce fut la débandade dans le pays. La rumeur avait rapporté que le président Eyadema avait nommé un de ses neveux ministre du Pétrole, en attendant l’exploitation, et ce dernier avait demandé une avance sur salaire, avait envoyé ses six enfants étudier en Occident, s’était construit trois villas à Lomé, et s’apprêtait à prendre une quatrième femme avant que des experts occidentaux ne viennent affirmer que le pétrole que renfermait notre sous-sol n’était même pas suffisant pour alimenter un lampion à la veillée funèbre d’un nourrisson au village. Notre pays n’a donc pas de pétrole, pas suffisamment pour vous intéresser. Pas même du cacao comme la Côte d’Ivoire, ou de l’or comme le Mali, ou de l’uranium comme le Niger. Voilà pourquoi, devant l’ONU, on ne pèserait pas lourd, comme pays. Soit.

Mais, Messieurs, chers Messieurs de l’ONU, comme le dit ce proverbe togolais : « même dans un fleuve aux eaux troubles, les petits caïmans arrivent à s’amuser ». Les Togolais, fatigués de vous appeler au secours, ayant compris qu’ils n’intéressent ni votre institution ni les autres institutions internationales censées pourtant les protéger, ayant compris qu’ils ne peuvent faire leur bonheur qu’avec la désastreuse situation dans laquelle ils sont abandonnés depuis presque 50 ans maintenant et qu’ils ont tout tenté pour éradiquer sans succès, ont fini par créer leurs propres indices de bonheur, différents des indices avec lesquels vous faites vos classements.

Quand dans tous les pays limitrophes les étudiants perçoivent autour de deux cents mille francs CFA chaque année comme bourses, l’étudiant togolais se contente de quatre-vingts mille francs « d’aides », et sa plus grande prière est que les autorités aient l’ineffable magnanimité de les lui payer à temps. Et chaque fois qu’il perçoit une tranche de vingt mille, après trois mois, il est aux anges. Le jeune diplômé togolais a fini par voir un salaire de cent mille francs CFA par mois comme une aubaine, et il est heureux, quand il arrive, après cinq ans de chômage – un délai raisonnable – à décrocher, par le plus improbable des hasards, un travail qui lui rapporte soixante mille par mois, parce qu’il se sent plus chanceux que ses dizaines de collègues diplômés qui finissent conducteurs de taxi-moto. Manger au moins une ou deux fois par jour, arriver à accoucher et sortir vivant d’un hôpital public, avoir un toit, gagner un procès face à un Libanais, ne pas mourir avant 50 ans… tous ces faits banals, triviaux sous d’autres cieux, sont devenus des sources de bonheur pour les Togolais.  

Il vous suffit, Messieurs de l’ONU, d’aller dans des temples togolais, suivre les témoignages et actions de grâce, pour comprendre comment les Togolais ont relativisé la notion de bonheur, et ont appris à être heureux dans leur déchéance cinquantenaire : « Nous avons construit notre propre maison et nous nous y installons dès la semaine prochaine, nous sommes heureux, ma famille et moi, et nous remercions Dieu, Alléluuuuiiiiiaaaa », « Mon mari, qui n’a que trente-six ans, vient d’acheter une moto pour faire taxi-moto pour son propre compte, Gloire à Dieu, je suis si heureuse », « J’ai ma maîtrise depuis quatre ans seulement, mais je viens d’avoir du travail comme comptable dans une micro-finance, j’y crois à peine, je suis mort de joie, Dieu soit loué » « Le policier qui faisait la cour à ma fille et qui menaçait de l’enfermer si elle n’accepte pas ses avances vient d’être muté dans une autre ville, ma fille est sauvée, Praise the Lord ! » « Le gendarme qui a acheté cent mille francs de sodabi chez ma femme depuis deux ans a finalement décidé de la payer, mon âme loue le Seigneur, Amen ! », « J’ai gagné à la loterie-visa, Dieu est grand ! »…

Oui, chers Messieurs, même si, à vos yeux, ces gens qui témoignent ne sont pas heureux, parce que ne répondant pas à vos beaux indices onusiens, ils le sont dans leur monde. Ils se créent, avec leurs propres moyens de laissés-pour-compte, leur bonheur. Votre institution nous classe chaque année comme les plus malheureux au monde, mais pouvez-vous nous dire ce qu’elle fait, cette institution ronflante et budgétivore qui installe des dictatures partout au gré de ses intérêts, pouvez-vous nous dire ce que fait l’ONU pour nous rendre heureux au Togo ? Méditez cette question, et répondez y quand vous nous classerez encore derniers dans votre prochain rapport.

Très cordialement

Un Togolais étonnamment pas malheureux

 


Les Sœurs Kardashian chez Faure Gnassingbé

Les soeurs Kardashian (crédit image: www.peoplepremiere.fr)
Les soeurs Kardashian (Crédit image: www.peoplepremiere.fr)

Hier, je prenais une petite Castel ou Flag – je n’ai pas l’habitude de vérifier sur l’étiquette, parce que les bars de Bamako ont cette particularité d’être cachés et sombres, va savoir pourquoi, mon vieux -, je prenais donc, hier, une petite bière dans un bar ivoirien avec trois amis maliens, quand une discussion sur l’investiture du nouveau président malien, Ibrahim Boubacar Keita alias IBK, m’a encore rappelé une évidence que j’ai toujours cherché à ignorer, à nier. Justement, quand on parle d’IBK, on voit son fouet, parce que le gars, il paraît qu’il ne blague pas, qu’avec lui cette pagaille à laquelle nous avons été habitués dans ce pays ne passera plus, que nous serons désormais dressés aussi droits que la lettre « i », qu’avec lui nous deviendrons aussi sages que le pagne d’une nouvelle veuve, que fini la corruption, les pots de vin, les graissages de pattes, les c’est-ton-frère-fais-le-asseoir-quelque-que-part-à-côté-de-toi, que fini les petites étudiantes qui montrent les fils de leurs strings et leurs perles en métal pour déconcentrer leurs profs et les induire dans la tentation, que fini, surtout, les virées nocturnes de nous autres qui ne jurons que par les bars et les bouteilles de bière, parce que les musulmans radicaux qui l’entourent vont le pistonner à fermer les bars, boîtes à putes et autres clubs de striptease qui nous dévergondent ici…

Bref, durant une discussion, hier, sur la prochaine investiture d’IBK, autour de ces petites Castels que nous prenions avec avidité comme si c’étaient les dernières, mes amis maliens m’ont une fois de plus révélé cette évidence que je n’ai toujours pas voulu accepter. Notre président, Faure Gnassingbé, est l’un des présidents les moins connus d’Afrique. J’ai eu à le remarquer depuis mon arrivée au Mali il y a cinq ans, il y a très peu de Maliens qui connaissent Faure Gnassingbé. Les rares qui peuvent le mentionner, l’appellent, vaguement, Faure Eyadema, avec l’ombre de son défunt père planant sur lui. Je ne peux compter le nombre de fois où j’ai répété à mes étudiants que le président du Togo n’est pas Yayi Boni, corrigé ces amis qui me demandent si le Togo est une partie du Bénin, sermonné ces autres qui, goguenards, me disent que le Togo est un pays limitrophe du Cameroun et son président est Sassou N’guesso – Quelle horreur ! Avec tout ce que nous avons comme calamité au Togo, il faut encore que Sassou N’guesso soit notre président ?

Mars 2013. J’attendais mon vol pour Paris dans une salle d’embarquement de l’aéroport de Vienne. Un Asiatique vint s’asseoir à côté de moi et commença à discuter avec moi. Après quelques minutes, il chercha à regarder mon passeport que j’avais en main, et me demanda où se situait le Togo. « En Afrique de l’Ouest, entre le Bénin et le Ghana », lui avais-je répondu. Il me fit savoir qu’en Afrique il ne connaissait que quelques rares pays dont l’Afrique du Sud, le Sénégal où il avait eu une copine – ah, les Sénégalaises !, le Cameroun qui joue bien au foot – « jouait bien », que j’aurais dû lui rappeler, la Côte d’Ivoire où il avait eu une autre copine – décidément ces petits Asiatiques et leur libido !, le Mali avec les islamistes…  Je lui fis savoir que ce n’était pas un crime qu’il ne connaisse pas le Togo, qu’en dimensions, c’est un tout petit pays, tellement petit qu’un militaire boiteux devenu président avait jugé bon de l’offrir, à sa mort, comme héritage, à coups de machettes, de grenades et de fusils, à un de ses fils qui est son actuel président et qui s’appelle Faure Gnassingbé. L’Asiatique murmura le nom de notre président pendant quelques secondes, comme on le fait quand on veut mettre un visage sur un nom qu’on connaît, et me demanda si Faure Gnassingbé n’était pas un ancien boxeur célèbre africain. Je courus dans les toilettes pour pouffer de rire. Faure Gnassingbé sur un ring !

Paradoxalement, le président gabonais, Ali Bongo, arrivé au pouvoir au Gabon dans les mêmes conditions que Faure Gnassingbé après la mort de son père Omar Bongo, Ali Bongo qui fait à peine quatre ans à la tête du Gabon, est mille fois plus connu que Faure Gnassingbé qui dirige le Togo depuis huit ans maintenant. Et pourtant, Ali Bongo ne peut pas affirmer qu’il a eu plus de mérite en prenant le pouvoir au Gabon que Faure Gnassingbé au Togo. Il a à peine tué une dizaine de Gabonais pour arracher le pouvoir, alors que Faure Gnassingbé, plus compétent, plus précis, a tué, en 2005, plus de cinq cents Togolais pour prendre le pouvoir. Alors, qu’est-ce qu’il a, Ali Bongo, plus que Faure Gnassingbé, hein ? Le gros ventre ? La tête chauve ? La femme blanche ? Mais alors, si c’est la femme blanche, dites-le-nous, nous allons chercher une de ces petites Asiatiques vendeuses de sandwich dans nos capitales à notre président.

Donc, le constat est là, et beaucoup de Togolais peuvent le témoigner, hors de notre pays, les gens ignorent notre président comme Monica Belluci ignore le capitaine Sanogo (j’ai beau suivre des cours de remise à niveau, je n’arrive pas à l’appeler par son nouveau grade de général). Hors de l’Afrique, ça peut passer qu’on ne connaisse pas notre président, mais à l’intérieur de notre continent, en Afrique de l’Ouest, au Mali, à deux frontières du Togo, qu’on me répète partout que le président togolais c’est Yayi Boni, ça donne quand même un petit coup au relent patriotique. C’est pourquoi en réfléchissant bien hier nuit, après cette nouvelle raclée que j’ai prise avec mes amis maliens qui m’ont dit que le président de notre pays, Yayi Boni, viendra à l’investiture d’IBK en septembre prochain, je me suis dit qu’il faut pousser les conseillers en communication de notre présidence à revoir la communication de notre président. Ces messieurs ne peuvent pas seulement se contenter de faire lire des discours ampoulés, des discours aussi surfacturés que les services d’une tapineuse nigériane, à notre président, il faut chercher à le vendre, notre fort Faure national, hors du Togo.

J’ai donc pensé à un truc simple, mais qui peut être très efficace à court terme. Faire jouer notre président dans une émission télévisée de grand public. L’émission musicale « The Voice » aurait été très appropriée, avec Faure Gnassingbé comme candidat, mais pour qui a déjà écouté notre président parler, ce n’est pas gagné, il a une voix qui tremble. Faure Gnassingbé interprétant « Let it be » par exemple, ce sera comme Assurancetourix dans Axtérix et Obelix, vaut mieux ne pas l’écouter. J’ai aussi pensé à une nouvelle saison de la célèbre série « Prison Break » avec Faure comme acteur principal mais avec tous ces efforts physiques et ces acrobaties, nous risquons de tuer notre président, sachant que sa biographie précise que le sport qu’il fait le mieux c’est le vélo – un vélo à trois roues, j’imagine. Finalement j’ai retenu la téléréalité qui cartonne actuellement «Les Sœurs Kardashian ». On pourrait intituler la saison : « Les Sœurs Kardashian au Togo » où Faure Gnassingbé jouera le copain de Kim Kardashian. Là au moins il sera dans son élément. Bon, je crois.