David Kpelly

Fiche de lecture du roman « Le Continent du Tout et du presque Rien »  de Sami Tchak

Sami Tchak
Sami Tchak

Depuis son premier roman « Femme infidèle », publié en 1988, l’écrivain franco-togolais Sami Tchak a, en trois décennies, construit une œuvre riche et exigeante composée d’une vingtaine de romans et d’essais qui font voyager le lecteur entre le Togo, l’Afrique, la France, et l’Amérique latine. Une œuvre dont les thèmes les plus récurrents sont : l’immigration, la sexualité, la violence, le racisme, le pouvoir, la vieillesse…

« Le Continent du Tout et du Presque Rien », son dernier roman sorti cette année, revient sur ces thèmes dont se sert l’auteur de « Place des Fêtes » (Gallimard, 2001) pour évoquer la complexité des rapports de l’être humain avec soi et avec les autres.

Assis dans une luxueuse villa à Bamako, face au fleuve Niger, Maurice Boyer, Français, septuagénaire, veuf, professeur d’ethnologie à la retraite, disciple de Gorges Balandier, se remémore sa vie. 

Quand une formalité académique se métamorphose en parcours initiatique

Parti à Tèdi, un petit village de la région centrale du Togo, pour ses recherches doctorales, le jeune étudiant français se retrouve face à une société dont la profonde complexité semble tourner autour de trois personnages. Le chef du village, Wouro-Tou (Chef Éléphant), représentant de l’autorité administrative et politique, un homme d’âge mûr, polygame ayant épousé toutes ses femmes par le rapt, qui peut se montrer aussi cruel que rusé. L’imam, un érudit local, nanti d’une licence en philosophie obtenue à Paris, qui observe le jeune chercheur avec méfiance. Amamatou, l’épouse préférée du chef, qui exprime sa révolte contre son mariage forcé à travers l’adultère.

Ce qui, à la base, représentait pour le jeune Français une formalité académique, devint pour lui une expérience humaine marquante, une sorte de case initiatique d’où il sortira vidé d’une grande partie de ses préjugés et prétentions, mais enrichi d’un capital élevé d’expériences qui le suivront durant toute sa carrière universitaire et sa vie. Tèdi deviendra ainsi la lucarne par laquelle Maurice Boyer observera l’Afrique.

Car de l’Afrique, l’ethnologue ne se détachera plus. Durant toute sa carrière, il ne sera question que du continent noir, et de son histoire, sa sociologie, sa géographie, sa géopolitique complexes.

La meilleure formule pour dire l’Afrique

Nous croisons, au fil des pages, des personnages hétéroclites quant à leurs profils socioprofessionnels, leurs origines, leur âge et la couleur de leur peau, mais qui, à la fin, ne font qu’un dans leurs limites à aller au bout de leurs prétentions à nommer le continent noir.

Que ce soit la brillante universitaire Aurélie la Châtaigne, épouse de Maurice Boyer, qui voit la fin du salut de l’Afrique dans la mort de feu son amant sénégalais Babacar Ndiaye, ou Safiatou Kouyaté, la sensuelle maîtresse et ex-étudiante du narrateur, portée par la fougue de la jeunesse et grisée par le succès de sa carrière d’auteure, que ce soit le professeur retraité ivoirien Zakari Tchagbalé meurtri par la dictature dans son pays d’origine le Togo, ou Bernard Faucon-Larron, ex-collaborateur de Jacques Foccart convaincu que l’Afrique n’est qu’une invention de l’Europe, chacun croit fermement avoir la meilleure formule pour dire l’Afrique.

Hymne à la connaissance

Et, au milieu de cette chorale de sentences qui s’affrontent, il y a le grand rire de l’écrivain franco-ivoirien Gauz qui se moque d’une certaine conception du panafricanisme, « une idéologie qui n’a que des ‘‘pères fondateurs’’ et pas une seule mère cachée dans un couloir de l’Histoire », et les injonctions presque paternalistes du Haïtien Jacques Birette qui juge que les Africains manquent de fierté et doivent prendre exemple sur Haïti qu’il considère comme l’une des plus grandes nations au monde.

« Le Continent du Tout et du Presque Rien », c’est aussi les expériences plus intimes de Maurice : les frustrations de cet universitaire n’ayant pas eu une carrière à la hauteur de ses rêves, mais qui est désormais convaincu que toutes les possibilités de sa vie sont derrière lui. Nous plongeons également dans son quotidien avec sa femme Aurélie, et vivons les dernières expériences de ce couple qui a vieilli, qui entrevoit sa fin dans la morosité des jours difficiles marqués par la maladie, mais qui s’aime, plus par la chair, mais par ce qui les a liés : l’amour de la connaissance.

Car ce roman n’est, en résumé, que cela. Un hymne à la connaissance. La connaissance de soi, la connaissance de l’autre. L’autre qui, en réalité, n’est que ce soi qu’on n’a pas toujours la force d’interroger, mais qui reste le meilleur miroir dans lequel l’on puisse se voir et se connaître.

Sami Tchak, « Le Continent du Tout et du Presque Rien », Paris, Jean-Claude Lattès, 2021, 320 pages.


Monsieur Ouattara, votre sécurité ne vaut pas la vie de cent personnes

Alassane Ouattara

Monsieur Ouattara, je suis un citoyen togolais, voisin et frère de la Côte d’Ivoire, le pays que vous dirigez depuis six ans. Permettez-moi, tout d’abord, de vous souhaiter beaucoup de courage dans la gestion de toutes ces mutineries qui embrasent votre pays depuis un certain temps. Vous êtes, aujourd’hui, dans la posture d’un père de famille condamné à vivre sous le même toit avec des enfants ayant sombré dans le grand banditisme et pouvant prendre les armes contre lui n’importe quand. Mais passons, vous auriez dû y penser quand vous faisiez appel à des bandits, des drogués, des gangsters et des rebelles pour vous aider à prendre le pouvoir.

Monsieur Ouattara, je vous écris par rapport à une situation vécue le dimanche 25 juin 2017 dans un avion de la compagnie Air Côte d’Ivoire en partance de Lomé pour Abidjan. Il sonnait 09H25 minutes. Nous étions une centaine de passagers installés dans un bombardier de la compagnie aérienne ivoirienne, quand on nous informa que notre décollage allait prendre une vingtaine de minutes de retard, l’aéroport d’Abidjan étant fermé pour raisons de sécurité à cause d’un voyage présidentiel.

Je ne vous reporterai pas ici toutes les injures, les menaces, les malédictions et mauvais sorts dégainés contre vous par les passagers, des Togolais, des Ivoiriens, des Congolais, des Ghanéens, des Nigérians, des Camerounais… mais je peux juste vous confirmer une chose : vous êtes, Monsieur Ouattara, un président très détesté. Sans doute l’un des plus détesté du continent noir.

Nous avons fini par décoller après une vingtaine de minutes de retard et, sur fond de commentaires désobligeants, de railleries et de quolibets sur vous, nous arrivâmes à Abidjan. Mais au moment de la descente, on nous informa une fois de plus qu’à cause d’un retard de votre vol, l’aéroport était toujours fermé et que nous étions obligés, tout comme d’autres avions, de tournoyer dans les airs pendant une vingtaine de minutes, le temps que vous décolliez.

Branlebas. La colère des passagers contre vous, Monsieur Ouattara, devint hystérie. Une sexagénaire congolaise derrière moi sortit sa Bible et récita un chapelet de malédictions contre vous, votre famille et votre descendance. Notre petit avion à la dérive tanguait dans une zone de turbulence, certains passagers réclamant qu’on nous amène atterrir à Yamoussoukro, une autre ville de la Côte d’Ivoire, ou bien à Conakry ou Accra, des capitales africaines proches d’Abidjan. Les vingt minutes de retard devinrent trente, quarante puis cinquante. Et nous atterrîmes, enfin, les cœurs en rage, la peur au ventre, désespérés, après le départ de votre avion.

Monsieur Ouattara, nous le savons tous dans ce continent : nos humeurs, nos peurs, nos angoisses, nos inquiétudes sont le dernier des soucis de ceux qui dirigent nos pays. Mais, soyez rassuré, ce mépris, ce dégoût que vous, les dirigeants, vous nourrissez envers nous, vos administrés, est réciproque. Si nous en avions la capacité, nous aurions trouvé un moyen de ne plus jamais poser les yeux sur vous.

Donc, pour votre sécurité (puisque vous n’avez aucune confiance en nous, au point de fermer et de bloquer tout dans le pays chaque fois que vous passez ou devez voyager), construisez, vous et vos compères, des aéroports personnels loin de nous, dans des profondeurs où vous n’aurez plus à nous éviter, étant donné que vous nous suspectez de vouloir vous tuer. Construisez-les, nous le permettrons, avec l’argent public devenu votre argent, nous n’en dirons rien. Nous avons déjà vu certains d’entre vous construire des palais de milliards de francs dans leurs bourgades natales de moins de 100 habitants, des palais ayant pour seuls habitants les lézards, les rats et les serpents et autres reptiles qui s’y accouplent et y défèquent à volonté. D’autres ont allongé des routes bitumées depuis nos capitales sans routes vers les villages de leurs mères, juste pour y passer deux jours dans l’année. D’autres encore ont, avec l’argent public, c’est-à-dire leur argent, construit des hôpitaux personnels à eux et leurs familles. Un aéroport pour vous seuls, qui nous permettrait de jouir tranquillement de nos aéroports nationaux, ne serait pas un gâchis.

Parce que, Monsieur Ouattara, tant que vous et vos pairs continuerez de vous mélanger à nous autres de la tourbe, eh bien, vous n’aurez pas le choix, vous serez obligés de composer avec nous, de subir nos colères, nos indignations, nos injures, nos malédictions… chaque fois que, pour décoller, vous nous contraignez à risquer nos vies (nos vies de rien de tout, à vos yeux, mais des vies quand même) dans les airs. Car votre sécurité ne vaut pas la vie de cent personnes. Pas même celle d’une seule !

 


Non, cher Monsieur Valls, ce n’est pas à la France de croire au Togo !

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Cher Monsieur Valls, c’est un secret de polichinelle pour nous, Africains francophones, qu’entre nos pays et votre pays, la France, se sont tissés, depuis des décennies, des liens très étroits, très sombres, très louches, qui, au fil des ans, des décennies, malgré les dénonciations et les promesses de rupture, ne font que s’affermir.  La Françafrique, appelons l’hydre par son nom, puisque c’est d’elle qu’il s’agit.

Nous savons également, cher Monsieur Valls, que l’une des pratiques de la secte françafricaine consiste, à vous, hommes politiques français de tout bord, de gauche ou de droite, à venir sillonner les palais présidentiels de nos pays à l’approche des élections chez vous. Que venez-vous chercher chez nous durant ces périodes ? Nous ne disserterons pas sur ce mystère séculaire, même si beaucoup de langues affirment, mordicus, que vous venez y chercher des valises d’argent pour aller financer vos compagnes électorales. Mais passons, laissons vos valises et leurs contenus douteux sur vos consciences.

Cher Monsieur Valls, c’est, donc, sous le sceau officieux de la françafrique et sous celui officiel d’une tournée africaine, que vous vous êtes rendu, le 28 octobre 2016, à Lomé, au Togo pour, avez-vous dit, réchauffer vos liens avec le Togo qui pense que la France l’a délaissé. Vous avez explicité ce motif dans une déclaration : « Nous n’avons pas suffisamment porté attention à ce pays [le Togo], qui se tourne pourtant vers nous, qui attend beaucoup, beaucoup de la France. » Votre ton, cher Monsieur Valls, est si infantilisant qu’on se représente le Togo sous la forme d’un bébé rachitique et affamé, assis dans la poussière, le visage baigné de larmes et de morve, les deux bras ouverts, vous suppliant, vous et votre pays la France, de le porter sur vos cuisses pour vous occuper de lui. Mais passons toujours, l’Afrique se plaît à jouer au bébé, pourquoi la France ne se plairait-elle pas à jouer à sa mère ?

Vous avez également déclaré à Lomé, cher Monsieur Valls, que « la France croit au Togo. » Une phrase si courte, mais si chargée. Parce que ce que vous avez oublié, ou avez, par arrogance, ignoré en prononçant cette phrase, cher Monsieur Valls, c’est que le Togo est, avant tout, une propriété commune, la propriété commune d’un groupe d’hommes et de femmes qui y ont, d’une manière ou d’une autre, lié leur destin, comme vous avez lié le vôtre à la France, votre pays. Et c’est à ce groupe d’hommes et de femmes, les Togolais, de croire en leur pays. Ce n’est donc pas à la France de venir croire, par procuration, en leur pays pour eux.

C’est au jeune chômeur togolais qui, jour après jour, voyant ses diplômes vieillir, sa valeur sur le marché du travail se déprécier, s’adonne, désespéré, à l’alcool et à la drogue, de croire au Togo.

C’est à l’étudiant togolais qui se dirige, le ventre vide, vers un campus universitaire où il est beaucoup plus sûr de croiser des corps habillés cagoulés que ses enseignants, de croire au Togo.

C’est à l’élève de six ans qui suit ses cours sous un hangar de branchages tenant lieu de salle de classe, sur un bout de brique, son cahier sur les cuisses, faute de table-banc, de croire au Togo.

C’est à l’immigré togolais qui préfère mourir en terre étrangère dans des conditions difficiles plutôt que de renter dans son pays de croire au Togo.

C’est à la femme enceinte qui fait presque ses adieux à ses proches avant de se diriger vers l’un des rares centres hospitaliers que compte son pays et qu’elle voit plus comme un mouroir qu’un lieu de sauvetage de croire au Togo.

Voilà, cher Monsieur Valls, ceux qui doivent croire au Togo. Mais ils n’y croient pas, ils n’y croient plus, parce qu’il y a si longtemps que leur pénible quotidien et leur pénible vie leur ont montré qu’ils n’ont rien à attendre de ce pays, leur pays. Voilà pourquoi quand vous êtes occupé, vous, à prononcer vos discours mensongers pour vos intérêts personnels de politicien, ils ont, tous ces Togolais qui n’attendent plus rien de leur pays, la tête tournée vers votre pays, la France, qu’ils voient comme leur Eldorado.

Ils le savent, cher Monsieur Valls, que chez vous, ce ne sera pas facile pour eux, ils savent qu’ils doivent y subir un déclassement social duquel la plupart d’entre eux ne sortiront jamais, ils savent qu’ils doivent y faire face aux affres du racisme, aux humiliations de l’exil, aux morsures de la nostalgie… Mais ils sont prêts à y aller, même au prix de leur vie, quand vous, cher Monsieur Valls, serez en train de prononcer, sur d’autres tribunes, des phrases auxquelles vous ne croyez pas, faire des déclarations fallacieuses qui, vous le savez, ne vous engageront en rien, trancher sur des situations dont vous ignorez tout. Absolument tout !


Ôtez ces treillis que les Togolais ne sauraient aimer !

Militaires togolais (Crédit image: www.republicoftogo.com)
Militaires togolais (Crédit image: www.republicoftogo.com)

Qui a organisé la fête sur Internet et les réseaux sociaux ? Qui, le premier, a entonné la chanson ? Qui, le premier, l’a reprise ? Qui, le premier, a joué la musique ? Qui, le premier, a marqué des pas de danse ? Qui, le premier, a applaudi ? On ne le saura pas. Nos yeux ont seulement vu, il y a une semaine, sur les réseaux sociaux, dans les forums des sites web et partout sur Internet, des internautes togolais, beaucoup d’internautes togolais faire la fête, une vraie fête, une fête-fête.

Ils ont fêté quoi ? La mort de cinq militaires togolais, casques bleus de l’ONU, tués, le dimanche 29 mai 2016, au Nord Mali par des terroristes islamistes.

Tout a commencé, sur la Toile, à l’annonce de la macabre nouvelle, par des commentaires indifférents comme : « Bof, on s’en fout », « En quoi ça nous regarde » « Ok, on a entendu» «  Et alors ? »… puis, peu à peu, les langues se sont déliées, les rancœurs et les haines se sont libérées, la fête a, ainsi, commencé : « Bien fait pour eux, pour une fois que ce ne sont pas des civils togolais qui sont tués par leurs balles assassines », « Eux aussi ils meurent ? Mort de rire », « Cinq seulement, ce n’est rien comparé aux milliers de Togolais qu’ils ont tués », « S’ils pouvaient tous crever ainsi pour qu’on ait la paix au Togo » « C’est eux qui soutiennent la dictature togolaise non, hi hi hi, on verra bien s’ils continueront de le faire quand les djihadistes les auront tous tués »…

« Horreur ! » criez-vous ? « Pauvres de nous », que j’ai crié, moi. Ils ont réussi, ces corps habillés togolais, à nous transformer en des monstres. Des monstres pas même capables d’écraser la moindre larme, fût-elle conventionnelle, hypocrite, sur les corps de leurs frères déchiquetés dans des conditions si atroces, des monstres capables de rire, de faire la fête sur les cadavres des leurs. Nous qui, pourtant, sommes d’une culture qui respecte tellement la mort, honore tellement la mémoire des frères défunts que nous avons cette chanson que nous chantons, en larmes, durant les veillées funèbres, sur les corps de nos disparus : « Frère, nous nous querellions toi et moi tous les jours, mais je te veux mon ennemi  vivant que mort. »

Qu’est un soldat ? Un humain, un frère avec un treillis et une arme. Un treillis et une arme qu’il porte, sur serment, pour défendre et protéger ses frères contre les ennemis.

Mais quand le soldat devient celui qui pour rien tourne son arme contre ses frères, celui qui tue des dizaines, des centaines, des milliers de ses frères et les noie ou dans la lagune ou dans la mer juste pour faire plaisir à une dictature cinquantenaire familiale qui lui paie à peine son pain de chaque jour, celui qui, armé d’un fusil, d’un gourdin et d’une machette décapite ses frères qui ne réclament qu’une chose, leur dignité, celui qui piétine pour un oui, égorge pour un non, envoie en exil pour ci, mutile pour ça, quand le militaire, celui qui est censé défendre ses frères contre l’horreur devient, lui-même, horreur… quand l’armée devient le bourreau du peuple qu’elle a pour mission de défendre, le résultat ne peut être que la macabre fête à laquelle nous avons assisté, il y a une semaine, sur internet : des citoyens chantant, dansant, jubilant sur les corps de leurs frères militaires sauvagement tués, implorant le Ciel de descendre la mort sur les autres. Triste réalité : notre réalité.

Par quelle magie, quelle science, quel art, les Togolais peuvent-ils oublier toutes les victimes qu’a faites le treillis, toute la quantité de sang des Togolais que la terre togolaise a bue des mains du treillis, tous les Togolais tués et noyés en mer par le treillis, tous les Togolais décapités, mutilés, emprisonnés, envoyés en exil, réduits en loques humaines… par le treillis, surtout que pour tous ses crimes le treillis n’a jamais pris conscience, eu ni l’humilité encore moins la volonté de présenter des excuses et se repentir, qu’il continue, le treillis, au jour le jour, d’être ce qu’il a toujours été au Togo : une horreur ?

Aucune fioriture, aucun discours, aucun rapport… aucun mensonge ne peut occulter la vérité : les Togolais, l’écrasante majorité des Togolais, détestent leur armée et, d’ailleurs, tout ce qui est corps habillé dans leur pays. Le treillis ne leur rappelle que sang, que larmes, que cadavres, que cris, que  lamentations. Le treillis au Togo : que notre sang, que nos larmes, que nos cadavres, que nos cris, que nos lamentations.


Ce n’est pas par l’odeur du pet qu’on reconnaît un vieux (dix-septième partie)

Arafat DJ, le Yorobo 5050 55555 000 volts (Crédit image: www.youtube.com)
Arafat DJ, le Yorobo 5050 55555 000 volts (Crédit image: www.youtube.com)

Si tu danses pas Arafat DJ en boîte, tu danses quoi alors ?

« Ma chérie, pourquoi nécessairement y aller, en boîte de nuit, en jean plaqué et body ? Je m’y sentirai mieux en basin boubou ou en veste, c’est plus ample et aéré, tu sais toi-même que mes courbatures… » essaya de bredouiller l’inspecteur des Impôts de classe exceptionnelle à sa femme. « Parce que la mode, mon bébé, tu te vois comme un vieux, Kader, mais moi Alima ta femme je ne t’ai jamais vu ainsi, tu es jeune de chez jeune, jeune choco, pas même un jeune quatre poches naviguant entre la trentaine et la quarantaine, hein, moi je t’ai toujours vu comme un jeune cinq étoiles, tout frais tout dur, allez, mon jeunot, viens m’essayer les jeans et body pour que je vois ton flow.» Elle lui déposa un baiser humide sur les lèvres et Kader Konaté n’ajouta plus un seul mot.

La séance d’essayage fut pénible, très pénible pour K2. Chaque fois qu’il réussissait, après trois ou quatre chutes manquées, à introduire ses deux jambes dans un jean plaqué, il ressentait dans son entrecuisse une forte pression du rigide tissu sur sa hernie naissante. Les T-shirts body, eux, manquaient de lui couper le souffle, lui serrant le ventre et la poitrine.

Mais Allah étant grand, et Alima n’étant pas petite, surtout dans les baisers sur la bouche pour réconforter son mari, K2 arriva à trouver un ensemble jean-body convenable qui lui martyrisait l’entrecuisse, le ventre et la poitrine moins que les autres. Amina.

L’essayage des chaussures « All Star » fut un cauchemar. K2 avait toujours porté des chaussures nu-pieds et ses orteils s’étaient habitués à être aussi libres que les seins d’une mère de jumeaux. Ce matin de chemin de croix donc, une fois que ses pieds disparaissaient dans les All Stars, que le vendeur, pressé de plumer ces deux pigeons venus se poser dans sa cuisine de si bonne heure, serrait les lacets, une colonie de fourmis surgissaient et commençaient à lui piquer les pieds avec frénésie, l’obligeant à hurler, demandant qu’on les lui ôte, malgré les caresses d’Alima…

Mais Allah étant grand, et Alima n’étant pas petite, surtout dans les caresses sur le dos, on arriva à repérer une paire de All Stars où il n’y avait pas de fourmis qui surgissaient après la fermeture des lacets, du moins pas assez. Hamdoulilah !

Le look d’enfer fut couronné par un pendentif en argent que choisit Alima. MC Kader Konaté voulut protester, dire que ce n’était pas convenable qu’il porte ça, à son âge, lui qui n’était pas rappeur, que d’ailleurs la religion musulmane ne permettait pas le port de bijoux aux hommes, que le prophète Mahomet promettait l’enfer à… que le Coran interdisait… que les sourates recommandaient… Alima, après lui avoir posé un baiser humide sur les lèvres, lui expliqua qu’un ensemble jean-body avec All Stars sans pendentif au cou, c’était aussi incomplet qu’une Sénégalaise sans perles bine-bine à la hanche, aussi approximatif qu’une péripatéticienne ghanéenne en robe courte sans string fleuri en bas, aussi terne qu’une Malienne allant au mariage sans faux cheveux, faux cils, faux ongles, faux seins…

Les trois jours précédant la grande sortie furent consacrés à l’entraînement aux danses à la mode, sur les sons qui enflammaient, ces temps-là, les boîtes de nuit bamakoises. Kader Konaté fut tour à tour initié, la chaîne de télévision Trace Africa aidant, aux pas de danse des jeunes chanteurs nigérians : Davido, Wizkid, P-Square, Tiwa Savage, Iyanya, Kcee, Flavour…

Alima lui apprit également à se défouler sur les sons Coupé-Décalé des DJ ivoiriens, avec une fixation particulière sur les shows du Zeus d’Afrique, le Deux-Fois-Koraman, le Commandant Zabra, le Yorobo 58500 volts, le Yorobo 75 800 volts, le Yorobo 10 000 000 000 255 volts… l’inénarrable, l’inimitable, l’indéboulonnable, l’intuable, l’ininsultable… Arafat DJ : « Avancez, avancez, avancez, avancez, reculez, reculez, reculez, Gborgbolor gangsta gbogborlor, yé, yé… » Tout le monde connaissait la formule en vogue dans la colonie des rats de boîte de nuit : « Si tu danses pas Arafat DJ en boîte, tu danses quoi alors ? »

Pas facile pour Kader Konaté, broyer ses vieux os et transformer en pièces détachées ses articulations dans des acrobaties aussi dangereuses, mais Allah étant grand, et Alima n’étant pas petite, surtout dans les massages nocturnes, Kader Konaté apprit à danser le Coupé-Décalé ivoirien et Cie. Allah soit loué !
A suivre…


Ce n’est pas par l’odeur du pet qu’on reconnaît un vieux (Back soon !)

Bientôt de retour
Bientôt de retour

Ce proverbe éwé a raison : « Même quand l’urine s’en va vadrouiller partout dans le monde, elle revient toujours couler contre la cuisse. »

Après des semaines de silence et d’interruption de votre feuilleton « Ce n’est pas par l’odeur du pet qu’on reconnaît un vieux », je reviens remettre les pendules à l’heure. L’interruption était justifiée pour deux grandes raisons : mon engagement, à travers mes articles, dans les élections présidentielles au Togo et le drame qui l’entoure – Faure Gnassingbé a officiellement viré en dictateur en présentant sa candidature pour un troisième mandat-, et la sortie de mon nouveau livre : « Pour que dorme Anselme. »

Les élections ne se sont pas encore déroulées, et la promotion de mon livre continue. Mais dès la semaine prochaine, si tout va bien, je reprendrai le feuilleton là on je l’ai laissé.

Ensemble, nous continuerons de vivre le périple de Kader Konaté, ce géronte malien aux multiples actes de naissances, inspecteur des impôts de classe exceptionnelle devant Allah et devant les magouilles, Kader Konaté à qui ses très jeunes épouses en font voir de toutes les couleurs…

A lundi prochain alors, chers lecteurs, et merci de votre patience. Toujours.


Ce n’est pas par l’odeur du pet qu’on reconnaît un vieux (Seizième partie)

Boîte de nuit (Crédit image: www.senenews.com)
Boîte de nuit (Crédit image: www.senenews.com)

Un bon mari, ça va en boîte de nuit

Kader Konaté, étonné, sursauta. Lui, en boîte de nuit ? Benyamin Netanyahu, dans un long boubou, la tête voilée, priant dans une mosquée wahhabite en Arabie saoudite, aurait été dix fois moins incongru que lui, Kader Konaté, se déhanchant dans une boîte, entouré d’une foule d’adolescents surexcités par leur libido naissante.

Posément, en passant les doigts dans les cheveux d’Alima, il lui expliqua qu’il l’aimait, qu’elle savait très bien qu’il l’aimait et était prêt à tout faire, tout tenter pour lui faire plaisir, mais, sincèrement, il fallait qu’elle oublie cette histoire d’anniversaire en boîte de nuit. Il lui fêterait son anniversaire à la maison, devant le nombre d’invités qu’elle voulait. Mais en boîte, non.
La jeune fille fit une moue montrant qu’elle était complètement dégoûtée par la méchanceté de son mari qui ne voulait pas lui faire plaisir, le premier plaisir qu’elle lui demandait depuis leur mariage, alors qu’elle faisait tout, chaque jour, et surtout chaque nuit, elle caressait tout, suçait tout, écartait tout, remuait tout, avalait tout, tout pour lui faire plaisir… Non, elle était vraiment dégoûtée, elle ne savait pas que c’était ainsi que les hommes étaient méchants.

K2, au bord des larmes, la serra contre lui, lui expliqua que ce n’était pas parce qu’il ne voulait pas lui faire plaisir, mais c’était juste le lieu où elle proposait de fêter l’anniversaire qui ne lui convenait pas. Il lui précisa que la dernière fois où il était parti en boîte de nuit, ou ce qui en tenait lieu à l’époque, il ne se souvenait même plus, cela devait faire au moins quarante ans. Il était jeune. C’était l’époque où la boîte de nuit était un enclos de branches de palmiers monté à la hâte, où le DJ était celui qui acceptait d’amener dans la boîte, dans l’enclos, sa radio cassette quatre piles, où la durée de la soirée dépendait de la résistance des piles, puisque tout s’arrêtait une fois que les piles n’arrivaient plus à tourner les cassettes, où les chansons en vogue étaient : « C’est malheureux mon associé, tu m’as déçu oh mamaaaaaaaaa, en amour il ne faut jamais tricher hooooooooo » et « Sweet mother, i no go forget you, for this suffer you suffer for me yéééééé… » C’était loin. Très loin. Non, il ne pouvait pas aller en boîte.

Alima se fâcha, se dégagea des bras de son mari, tourna la face contre le mur, et commença à chanter des chansons où elle se disait une petite fille amoureuse d’un homme qui ne l’aimait pas, que si elle avait su que ce monsieur qui lui était paru si gentil le jour où elle l’avait vu pour la première fois était si méchant elle n’allait jamais accepter de l’épouser, que tous ses amis lui avaient dit de s’enfuir et ne jamais accepter cet homme mais elle ne les avait pas écoutés, qu’elle voyait maintenant les conséquences, qu’elle avait envie de se suicider…

L’inspecteur des impôts se rappela ce proverbe : « On ne prive pas d’eau un arbre qui donne de bons fruits. » Cette fille le rendait heureux. Ce n’était pas à cause d’une ou deux heures à passer en boîte de nuit qu’il allait la contrarier, la décourager dans son élan de femme sublime. Il la reprit dans ses bras, essuya les deux filets de larmes serpentant sur ses joues, et lui murmura : « Comme tu veux, ma chérie, tes désirs sont des ordres, on ira fêter ton anniversaire en boîte de nuit. » Alima poussa un grand cri de joie, fit, svelte, une brusque acrobatie, se retrouva écartée sur son mari, donna deux grands coups de reins en applaudissant et en criant « Merci mon mari, merci mon mari… » . K2 se sentit raide, tout raide, et avala une gorgée chaude de salive. Qu’Allah soit loué dans sa Miséricorde, Lui qui met les raideurs où il faut au moment où il faut. Amina.

Le lendemain, jour de shopping. Il fallait acheter les habits de la boîte. Alima choisit une petite robe courte et des escarpins d’une dizaine de centimètres. La mode. Kader Konaté voulut acheter une veste, mais la jeune femme, en riant, lui fit savoir que c’était trop ringard, aller en boîte de nuit en veste, que même les Mauritaniens et les Nigériens ne faisaient plus ça, qu’il lui fallait porter un jean plaqué et un body bien moulant pour faire choco. K2 faillit s’écrouler de stupeur en s’imaginant en jean et body… dans une boîte de nuit.

A suivre…


Ce n’est pas par l’odeur du pet qu’on reconnaît un vieux (Quinzième partie)

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 Une bonne femme, ça réveille les raideurs refroidies

« Un bon cuisinier sait reconnaître un goret qui fera une bonne sauce dans le roulement de ses couilles », dit le dicton.

Kader Konaté avait déjà imaginé les folles nuits que la jeune Alimata lui procurerait. Ces deux plantureuses fesses juvéniles et rebelles que tentait vainement de maitriser un slip surchargé, des fesses qui semblaient lui crier, à lui Kader Konaté leur nouveau et sûrement leur premier propriétaire : « Kader fais vite, nous n’en pouvons plus, fais vite, paie la dot et épouse-nous, dompte-nous très rapidement, et laisse-nous te montrer ce que nous pouvons réaliser dans ton lit, épouse-nous vite, Kader… » Oui, ces fesses qui semblaient lui susurrer cette mielleuse invite. Ces perles bine bine et leur tintement tcha tcha tcha suivant les coups de reins de leur patronne. Ces deux seins durs, amandes gonflées de désir, qui n’attendaient que sa bouche pour être tétés…

Il frémit intérieurement un moment, pensant furtivement à sa chose-là, son impolie de machine intrajambaire qui lui jouait de très mauvais tours des fois, se refroidissant en pleine séance de fouille archéologique, ou qui, souvent, ô la honte, refusait de se raidir au bon moment, arrachant des jurons enragés à ses femmes allumées attendant leur becquée, leur pain nocturne. Celle-là, l’Alimata, avec ses courbes et sa croupe de star de porno slovaque, il en fallait vraiment une raideur, une bonne raideur, une raideur qui dure, pour la nourrir à fond. Mais, inch Allah, il trouverait une solution définitive, on lui avait parlé d’un guérisseur chinois d’une banlieue de Bamako qui jurait faire raidir même les cadavres. Il irait le voir, Alhamdoulaye.

Il ne fallait plus attendre, parce que la sagesse stipule que c’est à force d’attendre que la tortue lui ramène de l’eau que la musaraigne ne s’est jamais lavée et sent toujours mauvais. Se dépêcher. Apprivoiser cette petite princesse de plaisir. Très rapidement, avant qu’un preneur plus offrant, un bâtard de paysan bambara ne vienne proposer le double voire le triple de ce qu’il proposait pour la dot. Il isola rapidement son ancien beau-père, son nouveau beau-père, quelques anciens de la famille Sylla, le faux griot Kouyaté et leur demanda de fixer très rapidement la date des fiançailles et du mariage. Il allait tout régler à l’avance, frais de fiançailles et de mariage dès le lendemain… On approuva sa décision et l’applaudit.

La semaine suivante, on fit les fiançailles. Deux semaines après, Kader Konaté épousa Alimata Sylla d’abord à la mosquée, ensuite devant le maire. Une grande cérémonie de mariage avec tous les emberlificotages que peut engendrer un mariage à Bamako : festival de basins jaune, vert, bleu café, rouge… brodés avec toute l’extravagance qui caractérise la ringardise, convoi de motos et de voitures avec de jeunes et vieux conducteurs irresponsables faisant des acrobaties mortelles sur la voie publique en klaxonnant sous le regard amusé des policiers, griots affabulateurs chantant de fausses louanges à des parvenus narcissiques les arrosant de billets de banque neufs, prêches ennuyants et creux de quelques dealers de sourates et lanceurs occasionnels de fatwas carburés à trois verres de mauvais thé…

En à peine deux mois de mariage, Kader Konaté changea. Positivement. Parce que Alima, malgré son jeune âge, était une très bonne femme, une fille très bien éduquée. Bonne à la cuisine. Bonne au salon. Et, surtout, bonne au lit la nuit. L’inspecteur des impôts commença à aller au travail de plus en plus tard, négligeant même certaines de ses « affaires ». Ses cheveux devenaient de plus en plus noirs, la mariée se chargeant, chaque trois jours, de les lui teindre avec du noircissant Yombo. Son visage prenait de moins en moins de rides et dégageait plus de soleil. Et, surtout, son ventre s’arrondissait un peu plus chaque jour, signe extérieur africain de l’aisance et la paix du cœur. K2 était heureux avec sa nouvelle femme, Allah soit loué !

Puis vint ce jour où, après la séance de massage qu’elle lui offrait chaque matin, Alima, miaulant, la main sur le reste de la raideur de Kader Konaté, lui dit en lui mettant la langue dans l’oreille gauche : « Bébé (Kader Konaté était redevenu bébé à plus de soixante-dix ans), bébé, je sais que tu l’ignores, mais tu sais, jeudi prochain c’est mon anniversaire, je veux qu’on le fête en boîte de nuit. A « Texas Boy Night Club », tu sais, il y a une piscine là-bas dans la boîte, on va fêter autour de la piscine, je vais inviter mes copines et leurs copains, hein, hein, tu m’écoutes, hein, hein, hein, bébé, hein ? »

A suivre…