David Kpelly

Le vieux docteur et son rival malade


Six heures et quart à Bamako. Entre vingt et vingt-deux degrés Celsius. Je suis au département Odontologie du Centre hospitalier universitaire de Bamako. Coincé entre deux grosses mémères chantant des berceuses bizarres en bambara à leurs gosses pleurnichant. Qu’elles font tellement d’enfants, les Sahéliennes, les Maliennes et Nigériennes surtout ! Brice Hortefeux, champion en blagues racistes, déclarerait, en riant goguenard « Que fait une Malienne ou une Nigérienne quand elle ne baise pas ? Elle accouche ». Et à Pascal Sevran de rectifier « C’est pas elles, c’est les bites de la mort de leurs maris, faut les leur couper. »

Je suis, donc, au département Odontologie du Centre hospitalier universitaire de Bamako, la tête en feu sous la douleur, pestant sous ce désagréable concert de cris et de pleurs de ces gosses baignés de morve et d’urine. Voici plus de trois jours que je ne dors pas bien, que je ne mange pas bien, que je vis mal, à cause d’une molaire, cassée depuis mon enfance, qui a décidé de me torturer durant cette période de froid. Les calmants et antibiotiques dont je me gave à longueur de journée n’ont rien pu changer à mon calvaire. Cette nuit, spécialement, je n’ai pas fermé l’œil pour trente minutes, sous la vive douleur, et les rares instants où j’arrivais à m’assoupir étaient entrecoupés de cauchemars. D’horribles cauchemars. Le tout dernier de ces rêves terrifiants, qui m’avait fait prendre la résolution qui m’a fait venir ici ce matin, était particulièrement horrible. Je m’étais vu en compagnie de Faure Gnassingbé, le président de la République togolaise, et quelques-uns de ses vieux ministres, en train de fêter le 13 Janvier, la date de l’assassinat du père de l’Indépendance de notre pays que Gnassingbé Eyadema, feu notre mal-aimé père de la nation, avait pendant presque quatre décennies érigée en fête nationale ! Voir Faure Gnassingbé en rêve est déjà en soi l’un des plus grands malheurs qu’on puisse souhaiter à un Togolais normal, et se voir en sa compagnie en train de célébrer un anniversaire d’assassinat ! Je m’étais réveillé, en sursaut, terrifié, le corps en sueur, en hurlant « Non, mon Dieu, pas ça, je ne veux pas, pas ça, mon Dieu… » ! Il faut que je me fasse enlever cette vilaine maudite dent, avais-je décidé, avant qu’elle ne me fasse rêver de Jacob Zuma m’amenant niquer des séropositives ou Silvio Berlusconi m’invitant à caresser le clitoris d’une pute mineure. Je dois me faire enlever cette dent. Impérativement ! Dès le matin !

Euh… Ouais… Je suis, donc, au département Odontologie du Centre hospitalier universitaire de Bamako. Mon tour arrive après plus de deux heures d’attente dans la douleur et sous les hululements de ces petits hiboux de gosses insensibles à mon pétrin. Je me dirige, le menton enflé soutenu par la main gauche, vers le cabinet N° 6 où je dois me faire traiter. Je frappe et ouvre la porte. Stupéfaction, stupeur d’un homme fraîchement marié qui rentre le soir et surprend au lit sa nouvelle dulcinée gémissant, de plaisir, sous les coups de boutoir de son chien. Je laisse un « Euh… » lent et étiré sortir de ma bouche chaude, sous le regard plus stupéfait que le mien du docteur assis devant son bureau, à deux mètres de moi. Il m’avait aussi reconnu ! Seules les montagnes ne se rencontrent pas ! Ce vieil adage a raison. Aujourd’hui c’est aujourd’hui, comme on le dit chez moi !

Mars 2008. J’étais stagiaire bling bling à la Banque de l’Habitat du Mali. Je venais à peine d’arriver au Mali, encore sous le charme irrésistible de la beauté ineffable des Maliennes. Mariam D. une jeune stagiaire comme moi, m’emballait particulièrement. Belle, bien évidemment, avec une chute de hanches à faire bander un vieillard moribond atteint d’un cancer de la prostate en phase terminale. Le genre de femme pour laquelle vous êtes prêts, mes chers enfants, à aller dépecer le Loch Ness avec les mains nues. Il me fallait cette fille ! Obligatoirement !

A la drague ! Invitations presque tous les midis dans des restaurants huppés de Bamako, quelques sorties les week-ends, de petits cadeaux emballés… avec mon maigre salaire de stagiaire ! Ah, virus intrajambaire, quand tu nous tiens ! Rien de consommé jusque-là, je le précise, elle n’est pas une de ces filles qui se laissent transpercer facilement, m’avait-elle prévenu. J’étais étranger et cela rendait l’affaire plus compliquée. Mais j’espérais. Elle acceptait volontiers toutes mes invitations, et c’était un très bon signe, la nique vient toujours après les invitations acceptées, notez-le dans vos agendas de la drague, mes petits. Je devais espérer. J’espérais. Et j’espérai jusqu’au jour où elle me confia une mission, pour la débarrasser d’un lourd fardeau qui l’emmerdait depuis des mois. Elle avait dépouillé pendant plus de six mois un vieux vert-galant qui ne voulait plus la laisser tranquille. Je devais passer par tous les moyens pour la libérer, définitivement, de ce vieux parasite. Adepte des coups louches, j’acceptai cette mission si facile et lui demandai d’arranger un rendez-vous, dans un bar très visité, avec son vieillot. J’allais me charger du reste.

Cette après-midi, entre treize et quatorze heures, je débarquai, suivi d’un ami malien, dans le bar où le papito trinquait tranquillement avec Mariam D.

– Monsieur, c’est donc vous qui avez décidé, depuis un certain temps, de harceler ma fiancée, hein ! Elle a passé tout son temps à vous demander de la laisser tranquille mais vous avez, irresponsable que vous êtes, continué de la poursuivre. Eh bien, je vais vous montrer aujourd’hui qu’il faut se respecter quand on est âgé.

Le vert-galant, subitement flétri sous le regard de la cinquantaine de clients qui buvaient dans le bar, se leva timidement et me demanda de me calmer, tout allait se régler dans le calme.

– Je ne vais pas me calmer, ai-je hurlé en bombant le torse pour imposer ma petite taille, vous harcelez ma fiancée et vous me demandez de me calmer, hein ! Regardez ce vieux libidineux qui ne peut pas se respecter, que voulez-vous régler dans le calme avec moi, hein, mon vieux bouc ? Je vais vous apprendre ce soir à vous respecter, vieil idiot…

Et ce monsieur d’une soixantaine d’années, vilipendé pour sa libido insatiable, s’était calmement frayé un chemin, la tête baissée et lourde de honte, entre les clients qui le dévoraient des yeux en murmurant, jusqu’à sa voiture, sous mes injures et menaces… Je gagnai Mariam D. définitivement libérée de son pian, pour trois mois, avant de me faire plaquer un beau matin, parce qu’elle me trouvait trop pingre et pas très gentil.

Ce matin donc, avec une partie de mon visage enflée, je me retrouve, après presque trois ans, devant cet homme que j’avais humilié, en blouse blanche, m’attendant pour m’arracher ma dent ! Celui qui me prend pour son rival, son ennemi, doit me soulager de ma vive douleur ! Terre et Ciel !

– Euh, rentrez vite et refermez la porte si vous êtes venu en consultation, j’ai d’autres patients à recevoir, me grogne-t-il en se levant, comme je suis toujours, embrouillé, debout à la porte, mon carnet de consultation en main, la bouche entrouverte, le cœur tambourinant.

Je sais très bien ce que j’aurais fait à un rival dans ces conditions, et je ne peux accepter qu’il me le fasse. Bien le torturer pour lui montrer que la vie ne s’arrête pas entre les cuisses d’une petite fille frivole. Faut que je traîne ma dent malade dans un autre cabinet dentaire de la ville, un cabinet privé, au lieu de me faire martyriser par ce vieux revanchard.

– Non, monsieur, bredouillé-je sous la douleur, l’étonnement et le désespoir, je ne suis pas venu en consultation, je cherche un doc… docteur qui travaille ici.


La pauvre page Facebook de Faure Gnassingbé

Faure Gnassingbé sur sa page Facebook

Prologue

Créés pour permettre aux internautes de se retrouver, rester en contact, et s’échanger des infos de par le monde, les réseaux sociaux, Facebook et Twitter surtout, deviennent au jour le jour de véritables outils de soulèvement et de  résistance des peuples. Ayant fait leurs preuves en 2010 en permettant aux internautes de mettre ensemble leurs voix pour exiger la libération de journalistes arbitrairement interpellés comme l’Ivoirien Théophile Kouamouo, ces réseaux sociaux continuent de faire parler d’eux durant cette nouvelle année notamment dans le cadre des soulèvements populaires en Tunisie et en Egypte. Pour connaître l’effet que font ces véritables trublions sur les détenteurs des pouvoirs illégitimes dans le continent noir, nous interviewons, en qualité de blogueur pour Mondoblog, Faure Gnassingbé, président de la République togolaise, prototype du Président mal élu et rejeté par son peuple, qui se lâche complètement, et dit, sans détours, tout ce qu’il pense des réseaux sociaux.

Blogueur : Bonjour Monsieur le Président, en ces temps-ci où Internet commence sérieusement à rentrer dans les habitudes des peuples africains, pouvez-vous nous dire ce que vous pensez des réseaux sociaux, notamment Facebook et Twitter ?

Faure Gnassingbé : Hum, permettez-moi, Monsieur le blogueur, de vous dire que le seul réseau social que j’aime, que j’adore, c’est le Rassemblement du Peuple togolais, le parti politique que m’a légué mon père en mourant en 2005, et dont je suis très fier, même si aujourd’hui il existe en son sein des vieillards irresponsables que je demande nuit et jour à Dieu de tuer parce qu’ils me mettent les bâtons dans les roues et…

Blogueur : Euh, Monsieur le Président, Facebook

Faure Gnassingbé (serrant la mine) : Bah, écoutez, je n’ai pas l’habitude de mâcher mes mots, je vous dis donc sans détours que je n’aime pas Facebook et tous ces réseaux sociaux dont vous me parlez. Eh bien, comment voulez-vous que j’aime ces trucs-là à travers lesquels on ne fait que raconter des cochonneries sur vous, hein ? Pétez dans votre chambre, vous verrez sur le Net la page Facebook de l’association « Le pet de Faure Gnassingbé » avec des dizaines de milliers de fans, arrachez à un footballeur sa nana, c’est Twitter qui vous sabote au monde entier, détournez un tout petit milliard, c’est le fan club « Faure escroc » qui voit le jour sur le Net ! Non, je déteste ces réseaux sociaux, je maudis leurs fondateurs, parce que c’est du pur terrorisme, vous comprenez, hein, Facebook c’est comme Al Quaïda, ça vous la fout la trouille à chaque seconde. Imaginez qu’il y avait Facebook et Twitter en 2005, croyez-vous que j’aurais pu devenir président du Togo avec toute cette fraude et tuerie, hein. C’est Facebook et Twitter qui allaient montrer au monde entier les images des militaires rentrant dans les bureaux de vote et détalant avec des urnes, des militaires tuant les militants de l’opposition, mes milices et rares sympathisants bourrant les urnes des bulletins de mon parti… et jamais la France n’aurait pu avoir la force de m’imposer, parce que tous les peuples du monde auraient crié haro sur moi, pauvre baudet. Et puis, vous voyez, ma page Facebook m’a particulièrement humilié, figurez-vous que moi qui suis Président très longtemps avant Barack Obama je n’ai qu’à peine cinq mille amis, alors que ce petit métis prétentieux qui est élu il y a deux ans a plus de dix millions d’amis, le double de la population de mon pays. Quelle injustice, hein, mon Dieu ! Non, Facebook et Twitter, c’est de vrais opposants, vous comprenez, hein, ces réseaux sociaux sont pires que mes opposants. Mon opposition s’appelle Facebook.

Blogueur : Mais, Monsieur le Président, Facebook n’est pas seulement utile pour divulguer les coups bas des dictateurs, ça permet aussi de faire des rencontres intéressantes, décrocher de belles filles par exemple, vous n’aimez pas ?

Faure Gnassingbé (subitement détendu et souriant) : Ah là ! Fallait me le dire ! On peut donc rencontrer des miss, des Top modèles, des stars de cinéma sur Facebook, hein ! Figurez-vous, Monsieur le blogueur, que jamais aucune de ces têtes vides de conseillers qui m’entourent ne m’en a parlé ! C’est intéressant alors ! Vous voyez, le problème avec Facebook, c’est que vous n’arrivez jamais à avoir les amis que vous voulez, parce que quand vous leur envoyez des invitations, ils ne les acceptent jamais, et c’est des pestiférés dont vous ne voulez pas qui désirent vous ajouter à leurs amis. Figurez-vous qu’il y a deux semaines, en ouvrant ma  boîte électronique, je tombe sur ce message : « Facebook, Silvio Berlusconi souhaite vous ajouter à ses amis. » Dites-moi, n’est-ce pas le comble de la poisse, hein ? Je vais faire quoi avec ce vieux tire-sur-tout à la bite toujours tendue, hein ! Vous imaginez une amitié entre moi et Berlusconi ? C’est des mineures qu’il va me présenter tous les jours alors que moi j’aime pas les petites filles, je suis pas un pédophile, je suis pas un prêtre, voyons. Je redoute même le jour où ce sera Jacob Zuma qui m’envoie une invitation. Là ce sera la mort, parce que lui c’est pas des mineures qu’il va me présenter mais des séropositives. Vous voyez le danger avec votre Facebook-là, hein ?

Blogueur : Monsieur le Président, vous auriez donc pu exiger le blocage de ces réseaux sociaux au Togo si vous en aviez eu le pouvoir ?

Faure Gnassingbé : Bien sûr que oui ! Mais vous voyez, Monsieur le blogueur, ces réseaux sociaux c’est comme un sac de porc-épic, le porter est un problème, ne pas le porter en est un autre. Même si vous les suspendez, le jour où le peuple en aura plein le cul et se soulèvera, vous êtes foutu, c’est le cas du pauvre Ben Ali de la Tunisie. Heureusement que les Togolais c’est de petits poltrons, ils sont pas comme les Arabes, quand ils se soulèvent et que les militaires tuent un parmi eux, eh bien, hi hi hi, le reste s’en va se cacher. Ah, mes pauvrets !

Blogueur : Que faites-vous donc, Monsieur le Président, pour lutter contre ces effets très néfastes des réseaux sociaux pour votre pouvoir ?

Faure Gnassingbé : Très bonne question, je contrôle les militaires, parce que vous savez que c’est grâce à eux que je suis au pouvoir. Je ne leur permets pas d’avoir des comptes Facebook et Twitter, et je contrôle leur accès à Internet. Mais on m’a raconté qu’il y en a parmi ces vieilles brutes qui se cachent pour tchatcher sur Facebook, on m’a aussi raconté que certains parmi eux envoient même des lettres d’invitation à mes copines sur Facebook, mais, wallahi, le jour où je mettrai la main sur l’un d’eux, eh bien, c’est agban agbodji, c’est-à-dire je vais le chasser sur-le-champ. Comment pouvez-vous comprendre cette trahison de ces vieux hommes de caste qui veulent m’assassiner avec votre Facebook-là, hein ?

Blogueur : Monsieur le Président, quelle est la personne que vous aimeriez le plus avoir comme amie sur Facebook ?

Faure Gnassingbé : Michelle Obama, la femme d’Obama. Ah, je la kiffe grave, celle-là, voilà plus d’un an que je lui envoie des messages d’invitation sur Facebook mais elle répond jamais. Qu’elle peut être suffisante, celle-là ! On dirait qu’elle est blanche, alors qu’elle est noire, noire comme moi. Pauvre de moi !

Blogueur : Quelle est la personne que vous n’aimeriez jamais avoir comme amie sur Facebook ?

Faure Gnassingbé : Abdoulaye Wade, le président du Sénégal, car être l’ami d’un vieux vieillard, c’est rien que des tas de problèmes, le jour où il va être hospitalisé, vous êtes tenu de lui rendre visite, alors que moi j’aime pas l’odeur des hôpitaux, et quand il va défunter, eh bien, vous devez vous occuper de ses enfants et de sa femme, mais dites-moi, Monsieur le blogueur, je vais faire quoi avec une si vieille femme comme celle de Wade, hein ! Même Moubarak, qui dispute le record de vieillesse avec Abdoulaye Wade en Afrique, ne voudrait pas d’une femme de cet âge.

Blogueur : Merci, Monsieur le Président

Faure Gnassingbé : Merci, Monsieur le blogueur, mais avant que vous ne partiez, montrez-moi comment on peut avoir de belles filles sur Facebook. Si j’arrive à décrocher une gonzesse canon, eh bien, je procède à un remaniement ministériel et je vous bombarde ministre de la Communication, parce que je…

Epilogue

« David, mais, tu parles avec qui dans ton sommeil, hein, dis, il est huit heures et quart, tu vas pas en cours aujourd’hui ? »

Je sursaute sous la main froide de Ruth ma fiancée étonnée de me voir toujours dans les bras de Morphée à cette heure, et parlant avec un interlocuteur imaginaire. Ah, je rêvais donc !

1- Titre inspiré du titre, Le pauvre Christ de Bomba de l’écrivain camerounais Mongo Beti.


Je déteste les militaires, mon fils !

Les militaires, cauchemar des Togolais

« Donc tu veux me signifier que parmi toutes ces filles que tu encadres depuis maintenant deux ans, toute cette multitude de filles qui t’entourent, tu n’as trouvé personne à part une potentielle criminelle, hein ! Tu déconnes, mais alors tu déconnes vraiment, mon fils, en voulant me faire accepter ce choix démoniaque que tu crois avoir fait. Quel foyer peux-tu bâtir avec une femme qui va passer tout son temps à terroriser les civils, si elle ne veut les tuer pendant les périodes électorales, une femme que tout le monde montrera du doigt, maudira à son passage, une femme qui passera toute sa vie à semer larmes et désolation partout où elle mettra pied, hein ! Tu veux donc avoir des enfants avec un monstre, hein, c’est ce que t’a conseillé l’une de tes multiples crises de caprice ! Eh Dieu, j’ai donc passé toute ma vie à me vider de mon sang pour t’inscrire à l’école pour que viennes me présenter une analphabète comme femme ! Tu veux donc me dire que tu n’as trouvé aucune fille instruite, une fille normale, qui pourra te mettre en valeur, hein ! Mon fils, tu dois chercher une autre fille, celle-là, toi-même tu sais que je ne l’accepterai jamais, tu comprends, hein, jamais ! »

Le marteau avait déjà frappé la table. L’audience était levée. Je le savais pertinemment. Ma mère, Mère Marthe, ne sait jamais dire oui après avoir dit non. Cette fille ne passera jamais chez elle. Jamais ! Et Dieu seul sait que je peux commettre toutes les bêtises, sauf épouser une femme que n’aime pas ma mère. Mon amour de mère.

« Maman »

Ma voix tremblait légèrement, sous l’effet de la colère et du désespoir.

« … »

« Maman, tu es en ligne ? Tu m’écoutes ? »

« Je t’écoute, mon fils »

Posément, sans la laisser sentir la colère qui me broyait les entrailles, je commençai à lui expliquer ce qu’elle ne savait pas. Ce que nous ne savons pas là-bas chez moi, au Togo. Le militaire n’est pas un démon, un homme-cauchemar. Un militaire, ce n’est pas ces terroristes analphabètes que nous connaissons au Togo, ceux-là qui ont aidé feu Eyadema à martyriser le Togo pendant trente-huit ans, pour commettre le grand forfait en 2005 à la mort de ce dernier en intronisant dans le sang de milliers de Togolais son fils détesté et vomi par la quasi-totalité du peuple togolais, ces saoulards qui ne sont bons que quand ils jouent au loto ou défilent en lançant en l’air leurs couilles, ces malabars plus analphabètes que des gris-gris qui vous lancent « S’il te plaît ma frère, ton carte, tu es pris… » quand ils se substituent à la police pour vous arrêter devant votre maison la nuit…

Ma maternelle, comme presque tous les Togolais, n’avait du militaire que cette mauvaise image que nous ont donnée ces assassins au Togo, un homme non instruit et sans cœur qui tue et terrorise pour entretenir la dictature d’un tyran. Pour ma mère, le militaire c’est ce bourreau qui a assassiné à coups de gourdin son jeune frère, mon seul oncle maternel, en 2005 lors de la boucherie qui a intronisé Faure Gnassingbé notre petit vodou…

Et, pendant plus de quinze minutes, très calmement, le cœur tambourinant, je lui avais expliqué, à ma mère, que ce n’était pas le cas, que l’armée est une noble, très noble institution, l’une des plus nobles institutions d’un pays, que j’ai eu tout le temps de le remarquer ici au Mali… Que ce n’est pas un corps qui ne renferme que des brutes analphabètes comme nous le voyons chez nous, qu’on y retrouve des Bac+ 4, des Bac+5 et même plus, que même moi qui suis aujourd’hui dans le Marketing et la Gestion je peux un jour me retrouver dans l’armée… Que c’est le cas de cette jeune fille de vingt-trois ans que j’ai décidé d’épouser, celle-là qui a obtenu son Bac en Sciences exactes avec la Mention Bien à dix-huit ans, qui a été la meilleure de sa promotion durant ses quatre années passées en Sciences Eco à l’Université, et qui a décidé, après sa maîtrise, d’intégrer une école supérieure de l’armée malienne juste par passion pour l’armée… Que c’est une fille très gentille qui reçoit très civilement tous mes compatriotes, et très serviable tout comme les Togolaises, qu’elle ne demande pas de l’argent en désordre comme le font les jeunes filles maliennes parce qu’elle ne porte pas de basin riche, ne se maquille pas à outrance, qu’elle est simplette, tout comme les Togolaises, qu’elle sait aller chercher de l’eau à la fontaine tous les matins et souffler sur un feu de bois, tout comme les Togolaises, qu’elle est une vraie femme au foyer, tout comme les Togolaises, qu’elle n’est pas excisée, tout comme les Togolaises, qu’elle est…, qu’elle n’est pas, qu’elle est… tout comme les Togolaises…

« Maman, tu es en ligne ? Tu m’écoutes ? Ah, j’aurais d’ailleurs dû te le dire depuis le début, figure-toi qu’elle est chrétienne, chrétienne protestante comme nous. Ruth, qu’elle s’appelle, toi vois, hein, maman, Ruth, la bonne belle-fille de la Bible, Ruth dont tu aimes tellement l’histoire, maman. Son père, sa mère, ses oncles et tantes, toute sa famille est chrétienne, chrétienne protestante, comme nous. Nous récitons même ensemble des prières chaque fois qu’elle me rend visite. Ah, qu’elle aime prier pour toi, sa future belle-mère, et pour mes sœurs ses futures belles-sœurs, une vraie Ruth celle-là, une Ruth Ruth, tu vois, hein, maman, et… »

« Mon fils, ne m’énerve pas, tu sais très bien que je n’accepterai jamais une belle-fille militaire, une criminelle. Cherche une autre fille. Une vraie fille. »

Non, pas un militaire !


SOS, l’éducation malienne a coulé !

Etudiante d'un institut privé du Mali

J’avais passé une grande partie de la nuit du vendredi dans un maquis ivoirien, en train de l’avaler, je veux dire me saouler la gueule, avec des amis, comme un policier burkinabé à la fin de mois, parlant politique ivoirienne… et filles – bien sûr -, ayant oublié que j’étais invité le samedi pour siéger dans un jury pour une soutenance dans une école supérieure privée de Bamako. J’étais sollicité pour juger la forme du document. Rentré autour de deux heures dans un état indescriptible, je m’étais effondré dans un profond sommeil, pour ne rouvrir les yeux qu’à neuf heures. J’étais en retard pour la soutenance, et je dus appeler pour signaler mon absence en tant que membre du jury, en décidant de m’y présenter au moins comme spectateur, pour ne pas créer trop de frustrations.

Ma première grande grâce de l’année, Dieu venait ainsi de me la faire en m’empêchant de siéger dans le jury de cette soutenance.

L’auteur du mémoire, en fin de cycle DUT (Diplôme universitaire de Technologie) en Informatique de Gestion, qui s’était plu à remplir toute la salle d’une centaine d’invités, avait passé toute la séance à dire  « ma mémoire » pour désigner son document, « la thème », « un entreprise »… malgré les corrections des membres du jury. Le thème sur la page de garde du document et écrit au tableau contenait un « aux Mali » qui m’avait durant toute la séance donné des idées de meurtre. Le document n’était pas justifié, était mal paginé, et contenait plus de trois caractères différents. Le plus énervant, c’est quand notre cher petit salaud se permit de rétorquer, quand un membre du jury lui fit savoir que son document était bourré de fautes de grammaire et de conjugaison, « Non, monsieur, ce n’est pas possible que mon document contienne des fautes, j’ai installé un dictionnaire sur mon ordinateur. »

Eh bien, la grâce que m’avait faite Dieu se trouvait juste là, car j’eusse été membre de ce jury, jugeant la forme de son document, que j’aurais pris un ineffable plaisir à décapiter son brouillon pas même bon à se torcher le cul dont il était si fier, passer plus d’une heure à sortir toutes les fautes grossières qui jonchaient toutes les lignes de son document, bien l’insulter et l’humilier, grand Casanova qu’il était, devant ces belles filles qu’il avait invitées tout seul. Remarquez une petite teinte de jalousie dans ma démarche si vous voulez ! J’aurais même exigé qu’il soit ajourné, qu’il présente un autre document. Et tous ses parents et amis m’auraient détesté, moi un étranger qui barrait la route au bonheur de leur fils. Qui sait même s’ils n’auraient poussé loin leur vengeance en m’expédiant comme un colis des islamistes terroristes vers ma dictature militaire, analphabète et cinquantenaire de pays ?

Le comble du ridicule, c’est quand le jury délibéra et donna une moyenne de 14/20 soit une mention Bien à cet étudiant en Informatique de Gestion qui n’était pas arrivé à expliquer son thème de mémoire, ni définir le terme « système d’exploitation» !

Comment le Mali, le pays de Seydou Badian, d’Amadou Hampâté Bâ, de Yambo Ouologuem, ce pays qui fait partie de ceux-là qui ont offert à l’Afrique ses premiers intellos est-il arrivé là ? Que va devenir ce Mali dans dix ans dans ce processus vertigineux d’intégration et de mondialisation ?

J’étais là, parmi les invités contents, fiers de leur fils et ami qui venait de décrocher la mention Bien, quand je sentis une tape amicale sur mon épaule gauche.

– Bonjour monsieur !

– Quoi, Mariam, c’est toi, hein, mais t’as changé, t’es encore plus belle qu’avant, t’as même pris du poids, mais tu fais quoi ?

Elle faisait partie des premiers étudiants que j’encadrais durant les travaux dirigés quand je commençais mon expérience de prof de Marketing en 2008. Je n’avais normalement pas besoin de lui demander ce qu’elle faisait pour être si bien habillée. Une Malienne bien habillée, il faut toujours voir un homme derrière. D’abord. J’aurais dû lui demander « Mais dis-moi, que fait ton mari, quel âge a-t-il ? »

– Monsieur, j’ai commencé à travailler, j’occupe une poste de gestionnaire au direction générale des Impôts.

Dégoûté, je me rappelai la mise en garde d’un de mes compatriotes quand je venais d’arriver au Mali, et que je poussais des cris d’étonnement devant l’extraordinaire beauté de la quasi-totalité des Maliennes, « Eh bien, toi qui aimes tellement le français, sache que derrière ces beaux visages que tu apprécies tant, se cachent des fautes grossières qui peuvent te faire vomir tous tes intestins ! »

Membre du jury d'une soutenance au Mali en 2009


Papa Eyadema, le poète fessologue

 

Eyadema

Ah, quel mauvais Togolais que je suis, Allah ! Dire que je l’ai oubliée, cette date, cette date à nous Togolais, cette date qui se confond à notre destin de Togolais !

Comment le dire ? Le 13 Janvier passé, c’était notre date, la date de la libération du Togo. C’était notre fête de la Libération nationale. Quelle libération ? Eh bien, bande d’incultes, sachez que c’est le 13 Janvier 1963 que notre feu, regretté et reregretté, Gnassingbé Eyadema a libéré notre pays le Togo de la voie du développement qu’il avait empruntée depuis 1960 sous le père de l’indépendance, Sylvanus Olympio, pour le placer sur la voie, ô combien glorieuse, du parti unique, de la dictature, du meurtre, du vol des deniers publics…  en assassinant lâchement, non, glorieusement, ce dernier. Et ce jour qui marque le début du calvaire du peuple togolais, nous le fêtons avec joie, parce que c’est notre jour à nous. Nous avons le droit de fêter ce que nous voulons chez nous, c’est pas votre problème, bande de diffamateurs qui n’aimez pas notre cherissime Papa Eyadema qui vivra à jamais dans nos mémoires.

Figurez-vous donc que c’est ce grand jour, le jour de notre destin, que j’ai laissé filer depuis trois jours, sans l’avoir commémoré ! Crime de lèse-feu-Eyadema ! Bien, pour me rattraper, tard valant toujours mieux que jamais – même s’il vaut mieux ne jamais se marier que de le faire tard -, j’ai décidé de me rappeler notre bien-aimé père de la nation en publiant trois des plus célèbres anecdotes qui circulaient sur cet homme-mythe de son vivant.

Le poète fessologue

Papa Eyadema, raconte-t-on, avait une préférence très particulière pour les bobarabas, les nanas aux derrières bien dégagés, les Femmes-Himalaya. Et quand il se retrouvait dans sa couche avec une de ces dames aux grosses fesses, souvent arrachées à ses collaborateurs ou piquées pendant les séances d’animation qui jonchaient tous les coins et recoins où il mettait pied, il lui murmurait avant le début des hostilités : « Ô femme, fais-moi monter sur ta montagne de Sion, pour que je puisse voir dans la vallée, cette vallée pleine de merveilles et de surprises. Fais-moi monter sur ta montagne, pour que je puisse voir toute la beauté de Jérusalem. Car beaucoup de choses me répugnent ici-bas, et j’ai besoin de m’élever. Fais-moi donc, femme-élevation, femme-profondeur, monter sur ta montagne sainte. » Eh bien, pourquoi n’appréciez-vous pas cette brillante démonstration de rhétorique, hein, tas de jaloux ? Nous on fait la nique à Baudelaire, Lamartine, et même Hugo. Un clin d’œil à l’Académie Goncourt qui doit penser à honorer la mémoire de cet illustre poète baroque qui n’est inspiré que devant les paires de fesses, avant que nous ne formions nous-mêmes une Académie Goncourt au Togo pour le faire. On vous aurait avertis, tas de provocateurs. 

La modification des maudits 

L’équipe nationale togolaise de foot, reconnue pour sa médiocrité, venait de perdre un match contre un pays voisin sur un score humiliant. Quand la nouvelle fut rapportée à Eyadema, grand fan du foot, il piqua une colère d’enfer et hurla « Mais pourquoi l’entraîneur n’avait-il pas fait jouer Zidane, hein ! ». On lui fit savoir que Zidane n’était pas un joueur togolais mais français. « A quoi sert donc la coopération entre le Togo et la France, hein,  hurla le boss en donnant un grand coup de pied au ministre des Affaires étrangères et de la Coopération, je maudis cette équipe et cette modification la suivra toute sa vie. » Un de ses ministres osa sa vie en lui faisant savoir que le nom dérivé du verbe maudire n’est pas modification mais malédiction. « Je m’en fous, vociféra Papa Eyadema sur les nerfs, modification ou malédiction, je maudis cette équipe »… Et la modification suit l’équipe nationale de foot du Togo, humiliation à la Coupe du monde 2006 en Allemagne, crash  en Sierra Leone en 2007, tragédie en Angola en janvier 2010, faux match contre le Bahreïn en 2010…

Les kilos de dix mille

« Vous voulez combien pour faire quoi, hein, vous voulez combien pour faire quoi, hein, donnez-leur cinq kilos, donnez-leur dix kilos… » Presque tout le monde connaît cette chanson au Togo. C’était, paraît-il, le refrain que fredonnait notre bien-aimé et regretté, dix fois regretté, père de la nation quand Untel venait lui annoncer qu’Untel lui avait dit qu’Untel aurait dit à sa femme qu’Untel voulait envoyer Untel l’assassiner, lui le président à vie du Togo. Le rapporteur, pour son exploit, bénéficiait donc, paraît-il, de cinq ou dix kilos de dix mille francs – les recettes du Port autonome de Lomé -, selon les humeurs du dictateur, euh, du père de la nation. Le supposé fauteur de coup d’Etat était traqué, arrêté, maltraité, enfermé, torturé puis assassiné… pour le bien-être de la nation togolaise. Dommage que personne n’ait pu informer notre cher regretté Papa Eyadema que les démons du Royaume des morts s’étaient entendu pour l’arracher ce 05 février 2005 pour aller rôtir à petit feu en enfer comme un poulet-bicyclette de la Rue Princesse, et permettre à son petit morveux héritier d’assumer ses envies de petit prétentieux looser.

Allez, on lève les coupes, pour le 13 Janvier ! Vive le 13 Janvier, vive la fête de la Libération, vive Papa Eyadema, euh, non, il est mort, mort les deux pieds en l’air comme une poule atteinte de grippe aviaire. Vive Bébé Eyadema, qui survit, qui vivote dans la lâcheté !

Eyadema


Haïti, lève-toi et marche !

A Dany Laferrière, Prix Médicis 2009

 Un an que la nature, méchante marâtre, t’a, encore, frappé. Très sévèrement. Un an que tu as, encore, pleuré. Que tu as le plus pleuré. Un an qu’on t’a, encore, pleuré. Qu’on t’a le plus pleuré. Un an que tu as, encore, fait pitié. Que tu as, encore, donné raison à tes détracteurs qui te qualifient de terre maudite. Un an, Haïti, que ton nom se confond, dans toutes les mémoires, au malheur, à la catastrophe… à la malédiction.

Un an, Haïti ! Et tu pleures encore ! Tu pleures toujours ! Pas seulement les deux cent mille de tes fils que tu as, en quelques secondes, perdus. Pas seulement les décennies d’ahans que tu as vues s’écrouler en un clin d’œil. Pas seulement ton destin de terre mal-aimée de la nature. Mais ta tragédie d’une mère piétinée par tous, même ses fils.

Oh, Haïti, tu le sais maintenant, tu l’as d’ailleurs toujours su, la nature n’est pas ton seul ennemi. Les tremblements de terre, les catastrophes naturelles de toutes sortes, le cholera et toutes les autres maladies qui ne t’ont jamais épargné ne sont pas tes seuls oppresseurs. L’Occident, la France, l’Espagne et les autres conquérants avides de ton sang ne sont pas tes seuls bourreaux, ô Haïti ! Haïti, tu es malade de toi, de tes propres fils, de ton propre sang. Tu as mal à toi, Haïti. Si dans ton état actuel, on peut encore se déchirer pour le pouvoir sur ton sol, Haïti, tu portes en toi un mauvais sang. Ton sang t’infecte, Haïti ! Les Duvalier se suivent, n’ont pas le même nom, mais se ressemblent. Tous tes dirigeants s’appellent Duvalier, Haïti ! Tous tes politiques sont des Duvalier ! Des hommes-monstres, qui n’ont pas de cœur, qui ne peuvent pas avoir de cœur, pour, enfin, avoir pitié de toi.

Voici un an que tes vrais fils, le bas peuple, ce peuple si magnifique, est debout, toujours téméraire, pour te reconstruire. Que tes belles femmes sont prêtes, comptant sur leur frêle force et leur incommensurable courage, à tout recommencer. Que tes hommes veulent, une énième fois, faire le rite séculaire, celui-là qu’ont toujours fait leurs pères, rebâtir. Mais tes fils aveuglés par le pouvoir et l’or, ceux-là qui ont ton destin en main, ne peuvent pas, ne veulent pas t’aider à te relever. Les Duvalier, tes hommes politiques, tes cauchemars, sont toujours debout. Et toi, Haïti, tu es toujours à genoux, les larmes aux yeux, tendant la sébile, comme un crasseux mendiant, sous le regard presque narquois de la communauté internationale. Tu es demeuré, pendant toute une année, un mangeur de sacrifices !

Haïti, toi l’aînée de toutes les républiques noires ! Toi qui as donné Dany Laferrière, Lionel Trouillot, Frakétienne… Toi la terre-culture ! Toi qui es le symbole de la résistance. Toi qui es le symbole de l’harmonie de la nature ! Toi la perle des Caraïbes, que décrivait Christophe Colomb en 1492 comme une mer de cristal, une côte de sable d’or ceinte de cocotiers, d’abricotiers des tropiques et d’orchidées multicolores… ! Tu es toujours là, pleurant, sale, humilié, malade, raillé… dans la boue ! Oh Haïti !

Non, il temps, Haïti ! Il est vraiment temps que tes politiques s’entendent, qu’ils comprennent que c’est toi qui dois donner l’exemple, le bon exemple, à toutes les autres républiques noires qui ont les yeux fixés sur toi. Que toi, Haïti, qui as donné à tous les peuples noirs le goût de la résistance, de la liberté, tu leur apprennes, enfin, à dissocier une scène politique d’un champ de bataille. Que tu apprennes aux autres républiques noires, tes cadettes, à organiser des élections transparentes et non suivies de violence. Il est temps, Haïti, que ton rayonnement inspire tous les peuples noirs ! Il est temps, Haïti, que tes politiques s’entendent, pour te laver ton éternel affront. Il est temps, Haïti, que tu reprennes ton destin en main.

Et ce jour qui marque le triste anniversaire de ton historique malheur, tous les Noirs qui t’aiment encore, qui t’aiment toujours, malgré tout, et qui croient toujours en toi, qui n’ont que leur cœur à t’offrir, d’une seule voix, te disent, comme les disciples du Christ à ce paralytique qui leur demandait des pièces de monnaie : « Haïti, lève-toi et marche ! ».


La promesse des astres

 

Michel Germaneau

Cette nouvelle, je l’ai écrite en juin 2010, quelques semaines avant l’exécution du Français Michel Germaneau au Sahel par les terroristes de L’AQMI. Je l’ai dédiée à sa mémoire au lendemain de sa mort en la publiant dans un journal togolais. Ces mots, chers frères, pour se souvenir de ces deux jeunes Français exécutés le 08 janvier 2011 par ces mêmes sinistres hommes qui ne méritent, il faut le leur souhaiter, que le pardon du Seigneur.

 

Fred Lacroix, assis sur une chaise sous le seul arbre qui ombrageait la cour, mains et pieds liés comme toujours quand il était hors de sa cellule, regardait les trois hommes, à quelques mètres de lui, assis sur des tapis, deviser dans leur langue. Cette langue qu’ils parlaient toujours entre eux. On eût dit qu’ils se disputaient. Un mélange, lui paraissait-il, de l’arabe et d’une langue africaine. Il ne la comprenait pas, cette langue qui entretenait le mystère devenu son compagnon depuis presque deux semaines. Et n’avait d’ailleurs jamais cherché à la comprendre. Car, ce qu’elle lui inspirait, cette langue, c’était une sorte de tristesse indescriptible, une tristesse qui ne rend pas triste mais qui remplit de pitié. Cette tristesse qui inonde l’âme, quand le cœur n’a plus la force de couver la haine et le dégoût.

Cependant, pour la première fois depuis leur rencontre, cette langue l’intéressa. Elle détenait la clé, la solution à l’énigme. Elle était devenue le devin qui devait lui prédire l’avenir. Ce que demain serait pour lui. Il  eût tout donné pour comprendre juste un passage, une phrase, un mot de cette discussion. Juste un seul mot lui eût suffi pour établir des hypothèses à partir de force interprétations, pour aboutir à une conclusion.

Il concentra toute son attention sur le trio qui faisait de grands signes de mains pour appuyer les mots, poussant tantôt des jurons tantôt des éclats de rire. Le soleil, affaibli et pâlissant, comme un combattant sentant son imminente défaite, illuminait les trois visages qu’il voyait de profil et qui se crispaient ou se détendaient selon la douceur ou l’aigreur de la voix.

Rien à comprendre dans ce cafouillage de mots qui se cognaient entre leurs dents et leur langue, sortaient presque décomposés, s’écrasaient dans le lourd silence qui pesait sur les lieux, avant de s’évanouir, loin, dans le vide, avec l’écho.

Ils parlaient de lui. Il le savait très bien. Ils ne pouvaient parler que de lui. Depuis leur rencontre, il était devenu le centre de leur vie, comme eux ils étaient devenus celui de la sienne. Ils ne vivaient désormais que pour lui. Ils pensaient pour lui, mangeaient et buvaient pour lui, ne dormaient pas pour lui… et ne pouvaient se parler que pour lui. Ils le lui avaient même dit le premier jour de leur rencontre : « Vous serez notre première victoire ou défaite. Par vous, notre combat vivra ou mourra. Vous voyez donc que nous sommes obligés de bien vous traiter, de vous consacrer toutes nos attentions. Ne craignez donc rien, vous êtes en sécurité et tout ira bien, pour vous et pour nous, inch Allah. »

Ils parlaient de lui. De demain. Ils commentaient la nouvelle. Mais comment ? Leur bonne ou mauvaise foi, Fred n’en savait rien. Ils avaient pourtant tenu leur promesse de bien le traiter durant les treize jours qu’il avait déjà passés chez eux, comme ils le lui avaient promis le premier jour. Ils avaient toujours été à son service, mettant à sa disposition, dans les plus brefs délais, tout ce dont il avait besoin : livres, cigarettes, rafraîchissants, amuse-gueules… tout sauf le téléphone. Mais feraient-ils encore preuve de cette bonne foi demain ? Etaient-ils différents de leurs pairs qui s’étaient toujours illustrés par leur cynisme et effronterie ? Etaient-ils plus honnêtes que ceux dont parlaient tous les médias internationaux sur fond d’avertissements et de menaces ? Eux si étranges malgré leur gentillesse apparente, exagérée, et presque inventée, sauraient-ils faire preuve d’humanisme ?

L’autre partie non plus ne le rassurait. Elle pouvait ne pas tenir sa promesse demain. Tout pouvait très facilement basculer. Dans le monde des politiques, tout bascule si facilement. Une saute d’humeur, un sursaut d’orgueil d’un des décideurs, et son destin serait scellé. Il n’avait rien de plus que ses trois compatriotes qui étaient passés par la même voie que lui. Les politiques avaient promis mais n’avaient pas tenu leur promesse. Sa petite vie ne pouvait pas pousser tout un Etat, un Etat fier de sa force et de ses stratégies, à s’incliner devant les revendications d’une bande de délinquants fanatiques sans lois… Ces messieurs des palais, bon chic bon genre, accepteraient-ils demain de perdre leur superbe en capitulant ?  

Fred ne croyait ni en la superstition, ni en la géomancie, la magie, la numérologie, l’astrologie… et toutes ces autres manœuvres qu’il jugeait indignes d’un homme qui sait réfléchir. Cependant, ce matin, après la nouvelle qui lui fut apportée par celui qui, apparemment, jouait le rôle du caïd du groupe, il s’était surpris en train de demander un exemplaire du quotidien national. Il s’ennuyait avec ses livres et voulait jeter un coup d’œil à l’actualité du pays, avait-il menti. Quand le journal lui fut rapporté autour de midi par le plus jeune de ses compagnons qui s’était excusé de son retard, il ne regarda même pas la une qui affichait pourtant des titres très alléchants et sauta sur l’avant-dernière page, où se trouvait… l’horoscope. Il voulait connaître ce que lui prédisaient les astres ! La journée était, disaient les astres à travers le journal, à lui et à tous ceux qui sont nés sous le signe du Lion, une journée très capitale car elle verrait signer un accord très déterminant dans leur vie. « Des incongruités incohérentes comme toujours », avait-il murmuré en jetant le journal, malgré tous les efforts qu’il faisait pour y croire.

Mais il fallait y croire. Il fallait croire la voix des astres. Il fallait croire que demain serait un autre jour, un grand jour. Son jour. Les astres devaient avoir raison. Avant la nuit, les hommes politiques appelleraient. Ils comprendraient qu’ils ne devaient pas le laisser quitter éternellement sa famille restée chez lui, et qu’il n’avait plus revue depuis plus d’un an. Les hommes politiques, du haut de leur piédestal, comprendraient qu’il fallait fléchir devant cette bande de terroristes pour sauver sa vie. Ils appelleraient avant la nuit pour signer l’accord de sa libération. Promesse des astres. Et demain, il serait libre. Demain, il quitterait, pour toujours, ce coin perdu du Sahel qu’il avait rejoint depuis plus d’un an, après sa retraite, pour y monter une association de prise en charge des victimes du Sida.

Plût au ciel que les astres fussent de bons devins ! Demain, il parlerait à l’ambassade de France devant des dizaines de journalistes qui lui poseraient des tas de questions. Comment s’était-il fait kidnapper ? Comment avait-il été traité pendant les treize jours de détention ? Pouvait-il décrire les hommes qui l’avaient kidnappé ? Que lui disaient-ils ? De quoi parlaient-ils… Des questions et des questions, comme savent en poser les journalistes quand les terroristes libèrent un otage. Il se contenterait de répondre rapidement en gardant son calme, avant de s’envoler pour la France, auprès de sa famille, loin du Sahel, loin des terroristes…

Il sentit un léger frisson lui parcourir tout le corps. Les trois terroristes riaient aux éclats. Ils parlaient de lui. De demain. Car eux, ils n’avaient pas de souci à se faire pour demain. Ils savaient quoi faire si les prévisions des astres se révélaient fausses, s’il arrivait aux politiques de ne pas tenir leur promesse. Ils l’avaient averti depuis les premières heures du matin : « Monsieur Fred, nous venons de discuter avec des représentants de votre gouvernement qui nous ont promis de libérer notre frère Rachid emprisonné à Paris et payer la rançon que nous exigeons pour votre libération. Si demain, avant midi, l’heure de rigueur que nous leur avons fixée, ils honorent leur engagement en nous versant les 50 000 euros et en libérant Rachid, vous serez tranquillement libéré. Mais s’ils osent nous berner, nous vous égorgerons avant le soir, inch Allah. »

Bamako, le 10 Juin 2010

© 2010 – David Kpelly – Tous droits réservés


Le rival presque cocasse d’un Président ! 1

 

Baobab Fils a succédé à son père Baobab Père à la tête de la République de Soutacountry, petit pays imaginaire de l’Afrique de l’Ouest voisin du Togo, selon la formule du de-père-en-fils. Le de-père-en-fils ? Bah, c’est cette nouvelle forme de succession dans les républiques du  continent noir qui permet aux pères de la nation de passer, comme un domaine familial, le fauteuil présidentiel à leur fils adoré, le fils de la nation, avec la bénédiction des institutions internationales africaines, la communauté internationale, la France en bandoulière, bien sûr. Inventée dans les laboratoires de la République démocratique du Congo par Kabila Père qui a passé la main à Kabila Fils, la formule a été testée avec un ineffable succès au Togo en 2005 avec Gnassingbé Père et Gnassingbé Fils, et son succès a inspiré le Gabon qui l’a aussi expérimentée, avec brillot, en 2009 avec Bongo Père et Bongo Fils. Aujourd’hui, la demande est très importante, et le prochain candidat sur la liste d’attente pour goûter aux bienfaits de cette honorable formule est le Sénégal où Karim Wade, dans une fiévreuse impatience, attend que son Mathusalem de paternel la ferme, enfin, définitivement, pour lui permettre de rentrer dans le palmarès, ô combien glorieux, de ces fils bien-aimés qui succèdent à leur père à la tête des républiques, des démocraties africaines.

Soutacountry, le voisin imaginaire du Togo, a donc aussi, il y a un peu plus de cinq ans, appliqué cette formule qui échoue très rarement en remplaçant feu Baobab Père par son fils Baobab Fils. Un destin avorté, diable ! Car Baobab Fils a tout prévu dans sa vie sauf le fauteuil présidentiel. Son rêve qu’il a depuis son enfance nourri est de devenir un célèbre acteur de porno ! Passer toute sa vie, tous ses jours, toutes ses heures à la foutre au fin fond de ces gonzesses stringuées dont il reluque les rondeurs et imagine les profondeurs dans les magazines érotiques.

Le chien ne pouvant pas changer sa façon de s’asseoir, Baobab Fils ne renonce pas à son rêve d’enfance, le rêve de sa vie, même devenu Président. Tout ce qui peut l’avaler passe dans son lit. Les veuves de son défunt père, les femmes de ses frères, de ses ministres et députés, les revendeuses de pagne du grand marché de la capitale, les artistes de gospel deux fois plus vieilles que lui, les Miss qu’il arrache aux stars de foot, les étudiantes, les lycéennes, les collégiennes, les apprenties… les profondes, les pas-profondes, les larges, les fermées, les poilues, les rasées, les pas-si-poilues-que-ça… mon vieux, tu parles, le jeune Président, fort, de Soutacountry défonce tout ! La théorie est simple, tout trou est trou, pourvu que le quelque chose-là puisse disparaître dedans !

Choisir étant toujours difficile quand il y en a trop, Baobab Fils, le jeune Président, n’est pas arrivé, après cinq ans de règne, à choisir une première dame dans sa ribambelle de minettes. La presse privée, aimant toujours se la jouer star, voulut en parler mais une panoplie d’amendes foutues à des journalistes par-ci, des arrestations par-là, firent revenir le calme.

L’affaire devint incongrue, indigeste, quand, il y a quelques mois, un chef d’Etat occidental décida de recevoir tous les présidents africains francophones avec leurs épouses. Blaise Compaoré y était avec sa belle nana, Paul Biya avec Chantal et sa perruque, même Abdoulaye Wade y avait traîné sa vieille conquête même si on les avait trouvés trop vieux dans le groupe… Mais Baobab Fils était encore seul, seul comme toujours, parmi tous ces couples, ne sachant toujours pas qui officialiser dans sa kyrielle de compagnes !

Humilié par ses homologues, raillé par la presse privée, matraqué par ses détracteurs, hué par les mauvaises langues… Baobab Fils décida, trois mois après sa mésaventure, de choisir une femme légitime, une seule, messieurs et dames écoutez bien, une seule ! Tout un évènement !

Le choix fut difficile, très difficile, mais porta finalement sur une jeune étudiante de vingt-deux ans. La femme d’un instituteur béninois. Détail de moindre importance, d’autant plus que la personnalité du conjoint de la jeune fille n’aurait pu rien changer dans la décision du Président. Les enfants, on ne refuse pas sa femme à son président, apprenez à respecter l’autorité, bande d’indisciplinés ! Tout se passa vite. Mariage retransmis en direct sur la chaîne de télévision nationale, jours fériés, chômés et payés sur toute l’étendue du territoire, réjouissances populaires forcées… Sous les yeux calmes et la bouche cousue de l’instituteur béninois cocu !

Mais c’est mal, très mal connaître un Béninois ! Mieux vaut lui arracher les deux yeux que de lui piquer sa femme ! Les voisins affirmèrent que pendant toute la semaine que dura le mariage du Président, le cocu ne ferma pas l’œil même pour une seule nuit, chantant d’un ton terrifiant dans sa chambre : «  L’enfant qui veut jouer avec les couilles de son père finit par devenir fou, le gosse qui veut voir le pénis du chat finit par devenir cinglé, on ne piétine pas un Béninois sans être puni, mes ancêtres, si vraiment chaque semaine je vous tue un coq, humiliez celui qui a décidé de m’humilier dans ce pays, humiliez-le, humiliez-le… »

La semaine passée, m’a-t-on raconté, conte ou légende, mythe ou réalité, soit trois mois après le mariage somptueux du Président, la première dame, qui était seule dans son appartement, comme poussée par une force surnaturelle, se précipita, autour de vingt-trois heures, hors de sa chambre, s’engouffra dans sa voiture et conduisit, sans se faire accompagner par un seul de ses gardes, vers le plus grand cimetière de la capitale, où dormait l’un des fous les plus crasseux de la capitale qui y avait changé une tombe en appartement.

Conte ou légende, mythe ou réalité, la jeune première dame gara avec frénésie sa voiture juste devant le cimetière, sortit en courant vers la tombe-appartement du fou, et se jeta, en larmes, dans les bras de ce dernier qui dormait profondément en criant : « J’ai envie de toi ce soir, mon amour » !

Le fou, comme libéré pour quelques instants des effets de sa folie, poussa un grand « Quoi » d’étonnement. Qu’était-il en train de voir ? Faisant un effort pour légèrement se dégager des étreintes de la jeune dame qui était déjà en train de se mettre en tenue d’Eve, le fou fit le signe de croix et récita intérieurement le Pater Noster pour bénir le Ciel dans toute sa Miséricorde. Ah, que les voies du Seigneur sont insondables ! pensa-t-il. L’heure de son bonheur avait, enfin, sonné ! Il pardonna à Dieu toutes ces années de folie qu’Il lui avait plaquées. Prit tout son temps pour consommer et reconsommer cette chair fraîche qui lui était offerte gratis, dans toutes les positions praticables dans le meilleur des mondes possibles d’un fou. De quoi compenser toute une vie d’abstinence forcée ! Satisfaits, rassasiés, gavés, les deux niqueurs s’endormirent profondément, nus, enlacés, sur la tombe-appartement, sous les hululements des hiboux et des chouettes qui n’en croyaient pas leurs yeux.

Conte ou légende, mythe ou réalité, les premiers passants virent le tableau baroque et s’étonnèrent. Le fou dormait dans les bras d’une femme, d’une fille ! L’étonnement devint stupéfaction, stupeur, quand ils s’approchèrent. La première dame, la femme légitime du tout-puissant Président fort Baobab Fils, en chair et en os, dormant, nue, souillée, dans cette crasse sans nom, dans les bras d’un fou !

Et la nouvelle, m’a-t-on raconté, arriva aux journalistes privés qui jusque-là rongeaient leur frein en silence contre le jeune Président. En un clin d’œil, ils prirent des photos et titrèrent tous à leur une « Le Président vient de se faire arracher sa nouvelle femme par l’un des fous les plus fous de notre pays ! »

1- Titre inspiré du titre La Ruine presque cocasse d’un polichinelle de l’écrivain camerounais Mongo Beti.